Il nous a paru normal, dans notre étude des personnages, de nous appuyer sur le travail de V. Jouve l'Effet-personnage (1992) parce que sa perspective cadre bien avec la nôtre en se proposant d'étudier "la saisie" des personnages opérée par le lecteur:
‘Nous emploierons le terme "saisie" dans le sens suivant: façon dont le lecteur appréhende le personnage à l'intérieur de l'univers narratif. (1992 : 56) ’Cette citation met en avant l'un des postulats les plus importants de l'approche qui s'intéresse de près au lecteur, et qui pose que les personnages présentés par le texte littéraire ne peuvent être "compris" et "saisis" que par le lecteur:
‘En raison de leur nature linguistique, les contours du personnage ne peuvent se prêter à une perception directe: ils exigent de la part du lecteur une véritable "recréation" imaginaire. Le personnage romanesque, autrement dit, n'est jamais le produit d'une perception mais d'une représentation. (Ibid. : 40) ’Le personnage n'est pas construit au hasard des interprétations du lecteur; ce dernier construit les contours du personnage en s'appuyant sur les instructions données par le texte:
‘L'œuvre se prête ainsi à différentes lectures, mais n'autorise pas n'importe quelle lecture. La liberté du lecteur est elle-même codée par le texte...la construction des signifiés, si elle appartient bien au destinataire, se fait sur la base des indications textuelles. (Ibid. : 15) ’Comme le lecteur que nous visons dans notre étude, V. Jouve s'intéresse au lecteur implicite de W. Iser:
‘Le narrataire extradiégétique (à ne pas confondre avec le narrataire intradiégétique qui, lui, est un personnage du récit) se présente comme ce lecteur virtuel posé à l'horizon de l'œuvre comme hypothèse indispensable. Ce rôle romanesque, dont l'existence nous paraît évidente, reçoit sa définition la plus convaincante dans l'œuvre de Iser sous le nom de "lecteur implicite". Débarrassée de tout empirisme, la notion de "lecteur implicite" renvoie à la somme des instructions du roman sur la façon dont il doit être lu. (Ibid. : 19) ’Les instructions textuelles attendent donc d'être sélectionnées et actualisées par le lecteur dont le rôle est présupposé uniquement par le texte.
‘L'acceptation du système de sympathie imposé par l'œuvre apparaît a priori comme l'effet d'un contrat. Il y a, comme préalable à la lecture d'un roman, une sorte d'engagement tacite en vertu duquel le lecteur est prêt à jouer le jeu. Lire, comme le rappelle Grivel25, c'est accepter le rôle que nous assigne le texte: "le récit inclut la participation du lecteur: il lui est notifié qui "aimer", qui "haïr". (Ibid. : 120)’Ce système de sympathie n'est pas construit arbitrairement, mais est "programmé" par le texte:
‘La dimension affective du personnage est d'abord liée aux modalités de sa "mise en texte". Si l'on sympathise avec Raskolnikov en dépit de son double meurtre, c'est essentiellement à cause des procédés romanesques. (Ibid. : 121)’Il ne faut pas oublier non plus que la dimension affective que le texte cherche à provoquer chez le lecteur constitue l'une des parties les plus importantes de la rhétorique qui cherche à provoquer l'adhésion du lecteur à travers son pathos, (en plus de l'ethos et du logos).
La sémiotique de A. J. Greimas26 nous a aidés beaucoup dans la saisie" des personnages, et cela à travers les différentes modalités comme le vouloir, le savoir, et le devoir...Cette sémiotique a bien démontré que l'investissement modal, à côté de la position syntagmatique dans le parcours narratif, constitue l'une des composantes essentielles pour définir un rôle actantiel; dans le Dictionnaire raisonné 27 lerôle actantiel est défini ainsi:
‘Les rôles actantiels, ainsi définis morphologiquement (par le contenu modal) et syntaxiquement (par la position de l'actant), relèvent de la syntaxe narrative de surface. ’La syntaxe narrative de surface s'intéresse aux énoncés d'état et aux énoncés de faire:
‘Aux relations (qui constituent la base taxinomique de la structure syntaxique profonde) et aux opérations-transformations (qui s'effectuent sur cette base), correspondent, au niveau plus superficiel, des "états" et des "faire", formulés en énoncés d'état et énoncés de faire, les énoncés de faire régissant les énoncés d'état, tout comme les transformations opèrent sur des relations28. ’Toujours dans le Dictionnaire, la définition donnée de cette syntaxe de surface insiste sur son caractère anthropomorphe, à l'opposé de la syntaxe fondamentale, logique et abstraite:
Par opposition à la syntaxe fondamentale, conçue sous forme d'opérations logiques, effectuées dans le cadre d'un micro-univers établi, la syntaxe narrative de surface est dite anthropomorphe du fait qu'à la suite de la conversion, elle substitue aux opérations logiques les sujets de faire et qu'elle définit les sujets d'état par leur jonction avec des objets susceptibles d'être investis de valeurs qui les déterminent. De même, les concepts de compétence modale et de performance qu'elle met en œuvre n'ont de sens que s'ils réfèrent à des sujets humains.
Nous aurons recours aussi à cette sémiotique dans notre tentative de définir "l'être du sujet", à travers la catégorie thymique, ou la passion.
Il faut ajouter que dans l'optique de A. J. Greimas les personnages que nous allons étudier sont des entités figuratives qui appartiennent au plan discursif.
Ch. Grivel. 1973; Production de l'intérêt romanesque, la Haye-Paris, Mouton.
Les ouvrages de base que nous avons consultés dans l'application de la théorie sémiotique sont: Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage (1979), et du Sens II, (1983).
Entrée: actantiel.
Voir entrée syntaxe narrative de surface.