1.1. Le PDV du narrateur.

Dans l'exemple qui suit:

‘En tête de la caravane, il y avait les hommes, enveloppés dans leurs manteaux de laine, leurs visages masqués par le voile bleu. Avec eux marchaient deux ou trois dromadaires, puis les chèvres et les moutons harcelés par les jeunes garçons. Les femmes fermaient la marche. ’ ‘C'étaient des silhouettes alourdies, encombrées par les lourds manteaux, et la peau de leurs bras et de leurs fronts semblait encore plus sombre dans les voiles d'indigo. p7’

, le lecteur se trouve incontestablement devant un point de vue, mais le problème c'est qu'il ne peut pas l'attribuer à une source à cause de l'absence d'un focalisateur explicite.

Puisque ce fragment ne comporte pas de personnage en position d'observer, le lecteur infère que ce point de vue est attribué, par défaut, au narrateur32 qui regarde "la caravane".

Le focalisé est donc le terme "la caravane" développé et aspectualisé à travers "les hommes", "les femmes" et "les animaux":

  • les hommes: enveloppés dans leurs manteaux de laine, leurs visages masqués par le voile bleu;
  • les chèvres et les moutons: harcelés;
  • les femmes: fermaient la marche;
  • les silhouettes des hommes et des femmes: alourdies, encombrées par les lourds manteaux;
  • la peau de leurs bras et de leurs fronts: semblait encore plus sombre dans les voiles d'indigo.

Même remarque dans l'exemple suivant:

‘Parfois arrivaient les restes d'une armée, décimée, sans chefs, sans femmes, des hommes à la peau noire presque nus dans leurs vêtements en loques, le regard vide et brillant de fièvre et de folie. p44 ’

Dans le fragment précédent, si le lecteur ne trouve aucune difficulté à poser qu'il y a un point de vue, où ce qui est aspectualisé est "l'armée" et ce qui la compose, en l'occurrence "les hommes", par contre ce même lecteur se heurte à une difficulté quand il s'agit d'attribuer ce PDV, puisque le focalisateur est absent.

Mais à défaut de présence d'un personnage explicite voyant ces hommes, le lecteur infère qu'il s'agit ici du PDV du narrateur qui voit sans indication explicite de sa présence:

Les focalisés sont donc:

  • l'armée: décimée, sans chefs;
  • les hommes: à la peau noire presque nus dans leurs vêtements en loques, le regard vide et brillant de fièvre et de folie.

Dans l'exemple qui suit:

‘Ici il souffle maintenant, le vent mauvais, le vent tiède qui vient du nord, qui apporte la brume de la mer. Autour de Tiznit, disséminés comme des bêtes perdues, les hommes bleus attendent, à l'abri de leurs huttes de branches. p397 ’

, c'est le même mécanisme qui est à l'œuvre puisque aucun focalisateur n'est mentionné. Comme pour les exemples précédents, le lecteur attribue ce PDV, en dernier recours, au narrateur qui perçoit deux focalisés, en l'occurrence:

  • le vent développé et aspectualisé: il souffle, il est mauvais, il vient du nord et apporte la brume de la mer;
  • les hommes bleus: disséminés comme des bêtes perdues; et ils attendent à l'abri de leurs huttes.

Il est inutile de multiplier ce genre d'exemples qui sont nombreux dans le premier texte, mais le plus important à souligner, selon nous, est qu'en l'absence d'un focalisateur-personnage explicite, le lecteur se résout à attribuer ce type de PDV au narrateur, par défaut, comme le suggère A. Rabatel.

Notes
32.

L'attribution du PDV au narrateur, par défaut, en l'absence d'un personnage, est suggérée par A. Rabatel: "Faudrait-il en conclure qu'en l'absence de personnage focalisateur disponible, les perceptions et/ou pensées représentées ne seraient plus un PDV?...Notre démarche repose sur le fait qu'il n'y a pas lieu de considérer différemment des phénomènes linguistiques similaires: dès lors que l'on se trouve face aux mêmes mécanismes de représentation des perceptions et/ou des pensées, on est fondé à conclure qu'il s'agit bien d'un PDV. À qui, dès lors, attribuer ce PDV? Il nous semble que ces perceptions et pensées représentées réfèrent à la subjectivité du narrateur...", (1998: 101).