2. Le discours direct libre, (le DDL).

Comme nous l'avons vu plus haut dans l'introduction, le DDL est l'une des formes que peut prendre le discours rapporté dans un texte fictif.

Pour ce qui concerne les caractéristiques du DDL, nous avons vu plus haut que:

‘Le style direct restitue textuellement, verbatim, avec le cas échéant ses particularités individuelles, de prononciation, de syntaxe, ses choix lexicaux et même ses erreurs, l'énoncé écrit ou oral. (Michel Juillard, Cahiers Chronos n° 5: 72) ’
  • pour ce qui concerne "libre", Anna Jaubert affirme ce qui suit:
‘L'adjectif libre a d'abord eu le sens purement formel, grammatical, de non subordonné.(Cahiers Chronos n° 5: 52) ’

Cela suppose qu'à l'opposé du discours indirect, le DDL (et le DIL aussi) ne comporte ni le verbe introductif, ni la conjonction de subordination "que", qui permettent tous les deux d'introduire une proposition subordonnée, comme dans:

"X dit qu'il part".

Il nous reste enfin à voir la différence entre le discours indirect libre (le DIL) et le DDL qui se partagent la propriété d'être "libre": toujours pour L. Rosier, l'indice privilégié du DIL est "la présence de l'imparfait", (Ibid. : 281), alors que le présent est la caractéristique du DDL;

  • au niveau formel ces deux formes se combinent avec tout ce qui renvoie à l'énonciation comme les déictiques, les discordanciels...
  • enfin tous les deux apparaissent sans le verbe introductif, ni la conjonction "que".

Pour ce qui concerne les "discordances énonciatives", L. Rosier réfère au terme de "discordanciel" qu'elle a emprunté à la grammaire de Damourette et Pichon49:

‘Seront appelés discordanciels, tous les mots ou locutions permettant d'attirer le dire du narrateur (rapporteur) vers le dit du personnage (locuteur dont on rapporte les propos): ils confrontent le discours citant au discours cité. Ces discordances vont toujours dans le sens d'une actualisation du discours cité. Elles se rencontrent indifféremment au DD, au DI, au DIL ou au DDL, mais toujours comme signes actualisateurs. (Ibid. : 153). ’

Ce qui nous importe ici c'est que, tout comme la deixis, les discordanciels renvoient à la dimension effective de la langue du discours cité, (le discours cité réfère aux paroles du personnage).

Exemples de discordanciels donnés par L. Rosier:

  • les connecteurs: mais, suivi de certes; après tout; peut-être...
  • les ruptures modales: type injonction, exclamation, interrogation.
  • et les morphèmes d'assertion ou de dénégation à tendance polémique comme: oui, si, non.

Exemple:

‘Elle s'était levée, oh descends, c'est qu'il me fait mal avec ses pattes, il me griffe, ses ongles sont durs, ça aussi c'est la vieillesse. (Danièle Sallenave, Un printemps froid: 15)50. ’

Dans cet exemple, il s'agit d'un DDL attribué au pronom personnel "elle" avec deux discordanciels, en l'occurrence:

  • l'exclamation: "oh";
  • et la modalité sous forme d'injonction: "descends".

Dans cet exemple, il y a d'autres signes qui renvoient à l'actualisation du DDL: d'abord le déictique personnel "me" qui fait référence à la première personne dans "c'est qu'il me fait mal" et "il me griffe", et ensuite le déictique temporel présent.

Notes
49.

Pour Damourette et Pichon, la forme discordancielle concerne l'emploi du "ne" de la négation dans sa corrélation avec "pas" "jamais" "rien"..., voir Des mots à la pensée, (7 tomes).

50.

Exemple tiré de L. Rosier (1999: 287).