3. Les discours direct libre et indirect libre dans le premier texte.

Après avoir examiné le DDL dans le deuxième texte, nous passons au premier texte qui lui aussi présente des exemples posant des difficultés d'interprétation liées aussi bien au discours direct libre qu'au discours indirect libre: sachant, comme nous l'avons vu plus haut, que ce qui différencie le DIL du DDL c'est l'emploi du temps verbal: en effet si le DDL se combine avec le présent, celui du DIL s'utilise avec l'imparfait; tandis que ce qui rapproche les deux formes ce sont l'absence du verbe introductif, de la conjonction de subordination "que", et des guillemets.

Comme nous allons le voir dans la partie consacrée au temps, le premier texte présente une structure verbo-temporelle originale:

Dans l'extrait qui suit:

‘L'homme au fusil, celui qui guidait la troupe, appelait Nour et il lui montrait la pointe de la petite Ourse, l'étoile solitaire qu'on nomme le Cabri, puis, à l'autre extrémité de la constellation, Kochab, la bleue. Vers l'est, il montrait à Nour le pont où brillent les cinq étoiles Alkaïde, Mizar, Alioth, Megrez, Fecda. Tout à fait l'est, à peine au-dessus de l'horizon couleur de cendre, Orion venait de naître, avec Alnilam un peu penché de côté comme le mât d'un navire. Il connaissait toutes les étoiles, il leur donnait parfois des noms étranges, qui étaient comme des commencements d'histoires. Alors il montrait à Nour la route qu'ils suivraient le jour, comme si les lumières qui s'allumaient dans le ciel traçaient les chemins que doivent parcourir les hommes sur la terre. Il y avait tant d'étoiles ! La nuit du désert était pleine de ces feux qui palpitaient doucement, tandis que le vent passait et repassait comme un souffle. p11’

, le lecteur ne sait pas s'il doit rattacher le DIL sous forme de proposition exclamative "il y avait tant d'étoiles !":

Dans l'extrait, les propositions qui prennent la forme d'un DIL sont elles aussi difficilement rattachables à une source déterminée; ces propositions sont:

‘Il y avait si longtemps que le général Moinier attendait cet instant. Chaque fois qu'on parlait du Sud, du désert, il pensait à lui, Ma el Aïnine, l'irréductible, le fanatique, l'homme qui avait juré de chasser tous les Chrétiens du sol du désert, lui, la tête de la rébellion, l'assassin du gouverneur Coppolani. ’ ‘"Rien de sérieux", disait l'état-major, à Casa, à Fort-Trinquet, à Fort-Gouraud. "Un fanatique. Une sorte de sorcier, un faiseur de pluie, qui a entraîné derrière lui tous les loqueteux du Draa, du Tindouf, tous les nègres de Mauritanie." ’ ‘Mais le vieil homme du désert était insaisissable. On le signalait dans le Nord, près des premiers postes de contrôle du désert. Quand on allait voir, il avait disparu. Puis on parlait de lui encore, cette fois sur la côte, au Rio de Oro, à Ifni. Naturellement, avec les Espagnols, il avait la partie belle ! Que faisait-on, là-bas, à El Aaiun, à Tarfaya, à cap Juby ? Son coup fait, le vieux cheikh, rusé comme un renard, retournait avec ses guerriers sur son "territoire", là-bas, au sud du Draa, dans la Saguiet el Hamra, dans sa "forteresse" de Smara. Impossible de l'en déloger. Et puis il y avait le mystère, la superstition. Combien d'hommes avaient pu traverser cette région ? pp374-375’

Dans l'extrait précédent, la difficulté pour le lecteur consiste en ce qu'il ne sait pas si les trois discordanciels sont à rattacher:

Dans l'exemple suivant rien n'indique que le discordanciel interrogatif commençant à partir de "peut-être que le jour où son père et sa mère" jusqu'à la fin, a pour source énonciative Nour, laissant de ce fait le lecteur dans l'indécision:

‘Nour ne sentait plus la main du guerrier aveugle agrippée à son épaule. Il avançait seulement, sans savoir pourquoi, sans espoir de s'arrêter jamais. Peut-être que le jour où son père et sa mère avaient décidé d'abandonner les campements du Sud, ils avaient été condamnés à errer jusqu'à la fin de leur existence, dans cette marche sans fin, de puits en puits, le long des vallées desséchées ? p362 ’

Même remarque dans l'exemple qui suit:

‘Tandis qu'il chevauche avec les officiers, l'observateur civil pense à tous ceux qui attendent la chute du vieux cheikh. Les Européens d'Afrique du nord, les "Chrétiens", comme les appellent les gens du désert─ mais leur vraie religion n'est-elle pas celle de l'argent ? Les Espagnols de Tanger, d'Ifni, les Anglais de Tanger, de Rabat, les Allemands, les Hollandais, les Belges, et tous les banquiers, tous les hommes d'affaires qui guettent la chute de l'empire arabe, qui font déjà leurs plans d'occupation, qui se partagent les labours, les forêts de chêne-liège, les mines, les palmeraies. Les agents de la Banque de Paris et des Pays-Bas, qui relèvent le montant des droits de douane dans tous les ports. Les affairistes du député Étienne, qui ont créé la "Société des Émeraudes du Sahara", la "Société des Nitrates du Gourara-Touat", pour lesquelles la terre nue doit livrer passage aux chemins de fer imaginaires, aux voies transsaharienne, transmauritanienne, et c'est l'armée qui ouvre le passage à coups de fusil. Que peut-il encore, le vieil homme de Smara, seul contre cette vague d'argent et de balles ? Que peut son regard farouche d'animal traqué contre ceux qui spéculent, qui convoitent les terres, les villes, contre ceux qui veulent la richesse que promet la misère de ce peuple ? À côté de l'observateur civil, les officiers chevauchent, le visage impassible, sans prononcer une parole inutile. Leur regard est fixé sur l'horizon, au-delà des collines de pierres, là où s'étend la vallée brumeuse de l'oued Tadla. pp377-378’

; en effet, si l'observateur civil est la source du DDL -un DDL qui apparaît sous forme d'une proposition interrogative (en italique) "l'observateur civil pense à tous ceux qui attendent la chute du vieux cheikh...mais leur vraie religion n'est-elle pas celle de l'argent ?"- par contre, et à partir de "que peut-il encore, le vieil homme de Smara" jusqu'à "la richesse que promet la misère de ce peuple ?", le lecteur hésite à considérer ces deux dernières interrogatives comme se rattachant toujours à l'observateur: