1.1. Quelques explications concernant le schéma du récit.

Pour ce qui concerne les situationsinitiale et finale, F. Revaz postule ceci: "on ne parlera "d'état" ou de "situation" que lorsqu'il y a caractérisation effective d'un sujet: le sujet est (ou a) X; le sujet n'est pas (ou n'a pas) X", (F. Revaz; 1997: 169).

Le nœud et le dénouement sont les "déclencheurs" qui caractérisent le récit par rapport aux autres types d'action:

  • le nœud: la définition qu'en donne F. Revaz est empruntée à B. Tomachevski; ce dernier affirme que lenœud est "l'ensemble des motifs qui violent l'immobilité de la situation initiale et entament l'action", (1965: 274)51.
  • le dénouement: "loin de constituer la "résolution" d'une Situation initiale problématique, conduit au contraire à une Situation finale encore plus compliquée", (F. Revaz ; 1997: 177).

Il est clair que pour F. Revaz, on ne parle de "récit" que dans le cas où le nœud et le dénouement seraient présents:

‘Composer un récit, c'est donc nouer et dénouer une intrigue. En l'absence de Nœud et de Dénouement aux bornes de l'action, on ne peut plus parler de forme narrative, même si la succession des actions présente une unité. (Ibid. : 177)’

"L'action", elle, doit être "unifiée" et se caractérise par "la présence d'un agent animé (personnage humain ou anthropomorphe), doté d'une volonté qui provoque le changement ou tente de l'empêcher, (Ibid. : 75).

F. Revaz emprunte la notion de "proposition narrative", (notée: Pn1, Pn2, Pn3, Pn4, Pn5 dans le schéma) à J. M. Adam; elle est définie par ce dernier comme

‘constituée d'un prédicat (Préd.) et d'arguments-acteurs (A). Le prédicat se réfère soit aux propriétés des personnages (énoncé d'un état: prédicat qualitatif), soit à leurs actions (énoncé d'un faire: prédicat actionnel), (J. M. Adam; 1985: 37) ’

Exemples:

Le grand Schtroumpf est vieux;

Le grand Schtroumpf part en voyage.

(1) se résume ainsi:

Énoncé d'état + A = être vieux (Grand Schtroumpf);

(2) donne ceci:

Énoncé de faire + A = partir (Grand Schtroumpf).

Les cinq propositions narratives que nous venons de voir: les situationsinitiale et finale, le nœud, le dénouement, et l'action donnent ensemble une séquence narrative, ou un récit.

Nous terminons avec cette dernière remarque en insistant sur le fait que "le récit" ou

"la séquence narrative" n'est qu'une séquence parmi d'autres qui peuvent entrer dans la composition d'un "texte": ainsi pour J. M. Adam, (1999) "un texte" se compose de cinq types de séquences, qui sont: les séquences narrative, descriptive, argumentative, explicative, et dialogale.

Pour ce qui concerne le "texte", J. M. Adam affirme qu'il fait

‘l'objet d'une théorie générale des agencements d'unités (ce qu'on appellera la texture pour désigner les faits micro-linguistiques et la structure pour les faits macro-linguistiques) au sein d'un tout de rang de complexité linguistique plus ou moins élevé. Cet objet abstrait était celui des "grammaires de textes", il reste, dans une autre configuration épistémologique, l'objet de la linguistique textuelle. (J. M. Adam; 1999: 40). ’

Pour revenir au schéma de F. Revaz, nous pensons qu'un exemple permettra de mieux comprendre le fonctionnement des cinq propositions narratives (Pn):

*L'histoire du prince qui ne pouvait pas manger 52.

[Pn1] Ilétait une fois un roi qui avait un fils; celui-ci faisait toute la fierté de son père. Le jeune prince était un élève appliqué, un cavalier rapide comme l'éclair et un escrimeur surpassant les meilleurs guerriers. [Pn2] Cependant, le bonheur du roi se trouva soudain troublé. En effet, brusquement, le prince ne put plus prendre la moindre nourriture; il devint de jour en jour plus blême et plus maigre, à la grande désolation du roi.

[Pn3] Les cuisiniers de la cour présentaient au jeune prince les mets les plus fins: des chapons rôtis, des cochons de lait parfumés au romarin, des carpes bien en chair pêchées dans l'étang du château, des langoustes grillées provenant de mers lointaines, des fruits exotiques et mille friandises. Le pauvre prince se contentait de hocher la tête, puis se détournait. C'est alors que le roi fit venir au chevet de son fils les médecins et les savants les plus brillants de la planète. Ils s'engagèrent dans d'interminables délibérations, inclinant la tête de-ci de-là; mais, en fin de compte, ils ne purent apporter aucune aide au prince. Par une nuit où la tempête faisait rage, le roi désespéré était assis au chevet de son fils, ne sachant plus que faire. Tout à coup, on frappa à la porte du château; les chiens se mirent à aboyer et les gardes se réveillèrent en sursaut. "Qui est là ?" cria le capitaine, brandissant sa hallebarde. "Je ne suis que le compagnon du boulanger" répondit une voix claire. "Va-t-en, sinon..." menaça le capitaine de la garde royale. Mais, à cet instant, le roi arriva en toute hâte et donna l'ordre d'ouvrir la porte.

[Pn4]"Le prince retrouvera santé et bonne humeur s'il en mange" dit en riant le compagnon boulanger qui montrait au roi surpris un pain léger et doré. Lorsque le prince en eut mangé à satiété, il se sentit effectivement mieux. [Pn5] Des messagers répandirent la bonne nouvelle dans tout le royaume. Le peuple manifestait sa joie et pensait: le pain est un aliment riche et sain dont les vertus sont bien souvent méconnus...

La situationinitiale, [Pn1] est euphorique: le fils du roi est doté de toutes les qualités: c'est un élève appliqué, un cavalier rapide, et un bon escrimeur. Cette situation d'équilibre est tout à coup perturbée par un évènement inattendu; c'est le nœud [Pn2]: une maladie rend maigre le fils qui ne peut plus manger.

On fait tout pour que le prince recouvre sa santé [Pn3], c'est l'action, cette dernièrese trouve subdivisée en sous-actions:

  • les cuisiniers préparent les mets les plus fins, mais le prince "se contentait de hocher la tête, puis se détournait": premier échec.
  • le roi a fait venir des médecins et des savants, mais n'ont pas réussi à guérir son fils: deuxième échec.

Après les deux tentatives échouées, le roi est désespéré.

Une nuit, on frappe à la porte du château: c'est le compagnon du boulanger qui propose de guérir le prince: il apporte du pain.

[Pn4]:leprinceest enfin guéri après qu'il a mangé le pain, c'est le dénouement.

[Pn5]: retour à la situationinitiale d'équilibre, et d'euphorie liée à la guérison du prince.

Notes
51.

B. Tomachevski, 1965 (1925); "Thématique", in Théorie de la littérature. Textes des Formalistes russes réunis, présentés et traduits par T. Todorov, Paris, Seuil, pp263-307.

52.

Exemple donné par F. Revaz, (1997: 184).