3.3. Correspondance entre les personnages des deux textes.

Après avoir noté la présence d'indices communs entre au moins deux personnages respectivement:

, le lecteur remarque qu'il y a emploi des mêmes indices pour des personnages appartenant à deux textes différents, d'où un autre type de correspondance.

Ainsi, au premier texte la peau des hommes du désert est "pareille au métal" (page 13), comme au deuxième texte où le regard du Hartani est "de métal" (page 132), et où les yeux de Lalla sont "couleur de métal" (page 336).

Au premier texte, le lecteur apprend que les "esclaves harratin essayaient de faire vivre quelques fèves" (page 16), et le lecteur note bien que le terme "harratin" fait référence au Hartani du deuxième texte.

La couleur de "cuivre" des visages des filles (page 22) et des cheveux du père de Nour (page 25) se retrouvent au deuxième texte:

‘Lalla marche sur le sable…et son visage couleur de cuivre. p82 ’ ‘Naman s'arrête de peindre…les enfants et Lalla regardent son visage de cuivre…p150 ’

Au premier texte, le cheikh Ma el Aïnine est fréquemment décrit comme "immobile" (pages 38, et 244), tout comme le Hartani au deuxième texte (pages 110 et 167); dans les deux exemples qui suivent, ce sont les propriétés "blanc" et "léger" dans la description du Hartani (page 214) qui rappellent au lecteur les mêmes propriétés rattachées au cheikh Ma el Aïnine au premier texte:

‘Sa silhouette blanche et légère…p214 ’ ‘Alors Nour, debout près de la porte, regarde une dernière fois la silhouette fragile du grand cheikh, couché dans son manteau blanc, si léger…p406 ’

Le regard du Hartani est "si lointain" (page 135), tout comme celui du cheikh Ma el Aïnine:

‘Ses yeux étaient fixes et son regard lointain…p41 ’

Dans le dernier exemple, le lecteur possède l'indice "fixes" des yeux du cheikh et qu'il retrouve chez le Hartani:

‘Cela se voit dans la façon qu'il a de regarder vers l'horizon, avec ses yeux fixes…p212’

Les enfants de la côte du premier texte ont des "cheveux rouges" (page 18): la propriété "rouges" est reprise au deuxième texte avec les cheveux presque rouges des bergers, les amis du Hartani:

‘…et des cheveux d'une drôle de couleur, presque rouges. p137 ’

Quand Naman le pêcheur tombe malade à cause du vent de malheur, c'est Lalla qui lui raconte les histoires, alors que d'habitude c'était lui qui le faisait (voir les chapitres trois et huit de la première partie du deuxième texte):

‘D'habitude, c'est lui qui raconte les histoires et elle qui écoute, mais aujourd'hui, tout est changé. Lalla lui parle de n'importe quoi, pour calmer son angoisse…p196’

Pareil pour le cheikh Ma el Aïnine qui d'habitude c'est lui qui donnait la bénédiction (voir les chapitres deux et quatre du premier texte où le cheikh bénissait respectivement Nour et le soldat aveugle), mais au chapitre six, et juste avant sa mort, il avait reçu la bénédiction de Nour.

La description de Naman avant sa mort au deuxième texte rappelle le lecteur celle de Ma el Aïnine au premier texte:

Naman Ma el Aïnine
-Naman était tout seul, couché sur sa natte de paille, la tête appuyée sur son bras: p196;

-son visage est maigre: p196;

-il respire encore, très lentement en sifflant: p207.
-le vieux cheikh est couché sur son manteau, la tête posée sur une pierre: p403;

-visage émacié: p404;

-Ma el Aïnine respire lentement: p403.

Al Azraq, l'Homme Bleu des histoires racontées par Aamma, dans le deuxième texte, avait reçu la pouvoir de guérir avec ses mains (page 181):

‘Il avait reçu le pouvoir de guérir avec ses mains…p181 ’

, comme Ma el Aïnine au premier texte:

‘Parfois, le soir, quand ils arrivaient devant le puits, des hommes et des femmes bleus, sortis du désert, accouraient vers eux avec des offrandes…Le grand cheikh leur donnait sa bénédiction, car ils avaient conduit leurs petits enfants malades de ventre ou des yeux. Ma el Aïnine les oignait avec un peu de terre mêlée à sa salive, il posait ses mains sur leur front…p245 ’

Lalla est présentée à un certain moment de sa vie comme une enfant (page76), tout comme Nour (page 21), et Lalla est fille d'une "chérifa" (page 89), tout comme Nour qui est fils d'une "chérifa" (page 54).

Dans le premier texte, Nour est initié par son père (page 11), qui lui apprend les noms des étoiles, tout comme Lalla qui est initiée par le Hartani (deuxième texte, première partie):

‘C'est le Hartani qui lui a appris à rester ainsi sans bouger, à regarder le ciel, les pierres, les arbustes, à regarder voler les guêpes et les mouches, à écouter le chant des insectes cachés, à sentir l'ombre des oiseaux de proie et les tressaillements des lièvres dans les broussailles. p113 ’

Comme Lalla, Nour éprouve de l'angoisse et de la peur:

‘Alors, tout d'un coup, la peur revient, l'angoisse…p309 ’ ‘Il était étonné de voir tant de monde, et en même temps il sentait une sorte d'angoisse…p34’

En lisant les lignes qui suivent concernant Lalla:

‘…et elle entend distinctement les battements de son sang…p140’

, le lecteur se souvient des mêmes termes au premier texte pour Nour qui "percevait avec netteté les battements de son sang":

‘Il percevait avec netteté les battements de son sang dans les artères de son cou et de ses tempes, et le rythme de son cœur semblait résonner jusque dans le sol sous la plante de ses pieds. pp52-53’

Nour éprouve le sentiment du vide:

‘…Nour a senti encore une fois l'impression du vide et de la mort. p250’

, tout comme Lalla:

‘L'ombre reste opaque, le vide est grand, si grand, dans la chambre, que cela tourne et creuse un entonnoir devant le corps de Lalla, et la bouche du vertige s'applique sur elle. p287’

Au dernier exemple Lalla sent le vertige, tout comme Nour dans l'exemple qui suit:

‘Le regard entrait en lui, creusait son vertige. p432’

À la fin du premier texte, le lecteur apprend que Nour sentait le regard du cheikh Ma el Aïnine, après sa mort:

‘Nour sentait son regard, là, dans le ciel, dans les taches d'ombre de la terre. Il sentait le regard sur lui, comme autrefois, sur la place de Smara…p432’

, et se rappelle que Lalla aussi a senti le regard de l'Homme Bleu dans le deuxième texte:

‘C'est toujours le même regard qui guide, ici, dans les rues de la Cité; c'est un regard très long et doux…p414’

La nausée ressentie par Nour:

‘…Nour sentait la nausée dans sa gorge serrée. p437 ’

, se retrouve dans le deuxième texte concernant Lalla:

‘C'est comme une nausée, qui monte du centre de son ventre, qui vient dans sa gorge, qui emplit sa bouche d'amertume. p299 ’

Dans le deuxième texte, il est dit que ceux qui ont quitté leur pays, pour travailler en France, "sont pareils à des soldats vaincus":

‘Ils passent un peu courbés, les yeux vides, les vêtements déjà usés par les nuits à coucher par terre, pareils à des soldats vaincus. p273 ’

, le terme "vaincus" se retrouve au premier texte:

‘Tous, hommes, femmes, enfants aux pieds ensanglantés, ils avançaient sans faire de bruit, comme des vaincus, sans prononcer une parole. p227 ’

Les guerriers du désert au premier texte "erraient" à la recherche d'une terre (page 425), tout comme les immigrés au deuxième texte:

‘…les Nord-Africains, sombres, couverts de vieilles vestes, coiffés de bonnets de montagne ou de casquettes à oreillettes; des Turcs, des Espagnols, des Grecs, tous l'air inquiet et fatigué, errant sur les quais dans le vent…pp272-273 ’

Le lecteur ne manque pas de remarquer, aussi bien au premier qu'au deuxième texte, que des personnages apparaissent, puis disparaissent; ainsi, dans le premier texte:

‘Le père et la mère de Nour étaient retournés vers le désert. p401’

Même remarque dans le deuxième texte où le Hartani disparaît lui aussi, après sa fuite vers le désert, dès la fin du chapitre quatorze de la première partie, pour ne plus réapparaître ensuite, tout comme Aamma la tante de Lalla qui disparaît définitivement dès le chapitre six de la deuxième partie, et le photographe qui apparaît aux chapitres sept et huit de la deuxième partie, mais qui disparaît, après, complètement.

Les fils d'Aamma disparaissent dès le chapitre treize de la première partie, tout comme le mari d'Aamma qui s'éclipse dès le chapitre douze.

Comme nous venons de le constater, des personnages appartenant au premier texte renvoient à d'autres faisant partie du deuxième texte, et cela à travers certains indices qui leur sont communs, permettant d'établir une dimension intertextuelle.

Cette notion d'intertextualité va être étudiée dans la partie où nous allons démontrer que Lalla renvoie à Roquentin, le personnage de la Nausée de J. P. Sartre: dans Désert nous avons un autre type d'intertextualité, puisque des personnages appartenant à deux textes différents, mais entrant dans la composition du même livre, se renvoient aussi à travers les indices que nous avons vus plus haut.