Conclusion.

Nous pensons que le fait qu'un personnage comme Lalla connaît les agitations de la vie intérieure (les niveaux psychologique et passionnel vus plus haut) la rapproche encore plus du lecteur qui ne manque pas de faire le parallèle entre la vie de ce personnage et sa vie intime marquée elle aussi par des tourments:

‘Si l'odyssée de Bloom nous intéresse, c'est en tant que cheminement intérieur d'une conscience: c'est dans le mouvement même de ce "moi" à la recherche d'une hypothétique unité que le lecteur se reconnaît.. (V. Jouve; 1992: 135) ’

Nous pensons que les niveaux passionnel et psychologique confirment que Lalla n'est pas un personnage à contour "unifié" puisque dans les deux parties composant le deuxième texte, le lecteur s'est trouvé devant deux facettes formant le même personnage.

Il y a des indices dans le texte qui font que le lecteur interprète le personnage Lalla comme étant double, c'est le cas de l'exemple suivant:

‘Alors, pendant longtemps, elle cesse d'être elle-même; elle devient quelqu'un d'autre, de lointain, d'oublié. p98 ’

, ou dans l'exemple suivant avec "c'est un peu comme s'il y avait deux Lalla":

‘Elle ne sait pas bien pourquoi elle va dans cette direction; c'est un peu comme s'il y avait deux Lalla, une qui ne savait pas, aveuglée par l'angoisse et par la colère, fuyant le vent de malheur, et l'autre qui savait et qui faisait marcher les jambes dans la direction de la demeure d'Es Ser. p200’

Le photographe, lui aussi, entrevoit un autre être en Lalla:

‘Il regarde Lalla Hawa, et comme si, par instants, il apercevait une autre figure, affleurant le visage de la jeune femme, un autre corps derrière son corps; à peine perceptible, léger, passager, l'autre personne apparaît dans la profondeur, puis s'efface, laissant un souvenir qui tremble. pp350-351’ ‘Quand elle a ce regard étrange, le photographe ressent un frisson, comme un froid qui entre en elle. Il ne sait pas ce que c'est. C'est peut- être l'autre être qui vit en Lalla qui regarde et qui juge le monde, par ses yeux…p351 ’

Pour le redire encore une fois, le lecteur se rend compte à travers ces exemples que Lalla n'est pas une entité "unique" ou "unifiée", mais elle est définie par au moins deux "moi" qui la définissent.

En effet, nous avons vu plus haut qu'au niveau de la passion, et dans la première partie c'est l'axe euphorique qui domine puisque Lalla se sent contente et heureuse aussi bien dans la nature que quand elle se trouve avec Naman ou le Hartani (rappelons que la première partie est appelée "le Bonheur"), alors que dans la deuxième partie c'est plutôt l'axe dysphorique qui domine avec le développement de la passion "peur".

Le fait que Lalla ait connu le bonheur dans la première partie, et la peur dans la deuxième partie prouve que le lecteur s'est trouvé à la fin de sa lecture devant un personnage "double" qui a connu une double expérience relevant de la passion.

Même remarque concernant les rêves et les souvenirs qui sont présents dans la première partie, disparaissent dans la deuxième partie pour être remplacés par l' "hallucination", puis refont surface à partir du chapitre sept.

Pour conclure, disons que pour "saisir"80 Lalla, le lecteur a contribué activement dans la construction de cette part double aussi bien au niveau psychologique que passionnelle à travers les différents indices déployés par le texte.

Notes
80.

Pour V. Jouve la "saisie" est

la façon dont on appréhende le personnage à l'intérieur de l'univers narratif...la perception

du personnage comme réalité textuelle. (1992: 56)