7.4. Lalla: un personnage conscient de son corps.

Nous pensons que le fragment suivant est clair quant à l'importance du corps:

…il sait des choses que les hommes ne savent pas, il les voit avec tout son corps, pas seulement avec ses yeux. p129 ’

Cette proposition qui concerne le Hartani: "il les voit avec tout son corps", peut être aussi appliquée à Lalla, parce que le corps joue un rôle important dans la perception du monde, et parce que c'est à travers lui que Lalla prend conscience d'elle-même.

Dans l'exemple qui suit, il s'agit de la première expérience sexuelle de Lalla avec le Hartani, où elle sent le vertige dans son corps, et entend les battements de son sang:

‘Quand sa peau touche celle du Hartani cela fait une onde de chaleur bizarre dans son corps, un vertige...Le vertige tourne de plus en plus vite dans le corps de Lalla, et elle entend distinctement les battements de son sang, mêlés aux petits cris des chauves-souris. p140’

Dans l'extrait qui suit, c'est le corps qui est toujours mis en avant, mais cette fois-ci il s'agit de l'expérience qu'a eue Lalla de son corps dans l'établissement des bains quand elle était petite:

‘Les premiers temps, Lalla avait honte, elle ne voulait pas se mettre toute nue devant les autres femmes, parce qu'elle n'avait pas l'habitude des bains. Elle croyait qu'on la regardait et qu'on se moquait d'elle, parce qu'elle n'avait pas de seins et que sa peau était très blanche… Maintenant, ça lui est égal de se déshabiller. Même, elle ne fait plus attention aux autres. Au début, elle trouvait cela horrible, parce qu'il y avait des femmes très laides, et très vieilles, avec la peau fripée comme un arbre mort, ou bien des grosses, adipeuses, avec des seins qui ballaient comme des outres, ou bien d'autres qui étaient malades, qui avaient des jambes abîmées par des ulcères et des varices. p161’

Cette expérience avec le corps est liée au désir de Lalla de ne pas se mettre à nu devant les autres, car elle trouvait cela inhabituel; "elle croyait qu'on la regardait et qu'on se moquait d'elle", "parce qu'elle n'avait pas de seins et que sa peau était très blanche".

Consciente de son corps, Lalla l'était aussi des autres: "même, elle ne fait plus attention aux autres. Au début, elle trouvait cela horrible, parce qu'il y avait des femmes très laides, et très vieilles, avec la peau fripée comme un arbre mort…".

Même remarque dans l'exemple suivant, où Lalla observe le soleil qui pèse sur sa tête:

‘Le soleil est dur maintenant, il pèse sur la tête et sur les épaules de Lalla, il fait mal à l'intérieur de son corps. C'est comme si la lumière qui était entrée en elle le matin, se mettait à brûler, à déborder, et elle sent les longues ondes douloureuses qui remontent le long de ses jambes, de ses bras, qui se logent dans la cavité de sa tête. La brûlure de la lumière est sèche et poudreuse. Il n'y a pas une goutte de sueur sur le corps de Lalla, et sa robe bleue frotte sur son ventre et sur ses cuisses en faisant des crépitements électriques. Dans ses yeux, les larmes ont séché, les croûtes de sel font de petits cristaux aigus comme des grains de sable au coin de ses paupières. Sa bouche est sèche et dure. Elle passe le bout de ses doigts sur ses lèvres, et elle pense que sa bouche est devenue pareille à celle des chameaux…p214 ’

La chaleur générée par le soleil fait que Lalla en sente l'effet sur son corps:

  • d'abord sur sa tête et ses épaules avec le soleil "pèse sur la tête et sur les épaules de Lalla, il fait mal à l'intérieur de son corps";
  • après c'est au tour de ses jambes, de ses bras, et enfin de sa tête: "elle sent les longues ondesdouloureuses qui remontent le long de ses jambes, de ses bras, qui se logent dans la cavité de sa tête";
  • enfin "les larmes ont séché", et "la bouche est devenue pareille à celle des chameaux".

Ceci démontre que le corps est un tout, dont les différentes parties comme les jambes, la bouche, les yeux réagissent ensemble sous l'influence du soleil.

L'exemple qui suit (extrait du même chapitre) prolonge cette idée, puisque "la douleur monte des pieds, traverse les jambes, le long des os et des muscles, jusqu'à l'aine":

‘Par instants, la douleur monte des pieds, traverse les jambes, le long des os et des muscles, jusqu'à l'aine. p218’

Dans la deuxième partie du deuxième texte, Lalla prend conscience de son corps encore plus, surtout quand elle se rend compte qu'elle porte un être qui commence à vivre et à bouger dans son ventre:

‘Lalla se relève, elle marche en titubant, les mains pressées sur le bas de son ventre, là où il y a une douleur qui proémine. p327 ’

Même remarque dans l'exemple qui suit où la peur et la rumeur agissent sur son corps:

‘Il y a des jours où Lalla entend les bruits de la peur. Elle ne sait pas bien ce que c'est, comme des coups lourds frappés sur des plaques de tôle, et aussi une rumeur sourde qui ne vient pas par les oreilles, mais la plante des pieds et qui résonne à l'intérieur de son corps. p299 ’

Comme nous venons de le voir, plusieurs indices orientent le lecteur dans son interprétation que le corps est très important pour Lalla.