1.1. Le commencement.

Le commencement constitue un moment important dans le deuxième texte de Désert, pour preuve sa présence dès l'incipit avec "matin" qui peut être défini comme le commencement du jour:

‘Mais la lumière du matin bouge un peu, comme si elle n'était pas tout à fait sûre. p75 ’

Le lecteur se rend compte de cette importance, surtout à la fin du texte (deuxième partie, chapitre dix), quand naît une fille fruit de l'amour de Lalla avec le Hartani, une naissance99 que le lecteur interprète comme le commencement d'une autre vie, et la possibilité de disposer d'autres chroniques100:

‘L'air entre enfin dans ses poumons, et au même instant, elle entend le cri aigu de l'enfant qui commence à pleurer. Sur la plage, la lumière rouge est devenue orange, puis couleur d'or. Le soleil doit toucher les collines de pierres, à l'est, au pays des bergers. p422’ ‘Quand l'enfant commence à téter, son visage minuscule aux yeux fermés appuyé sur son sein, Lalla cesse de résister à la fatigue. Elle regarde un instant la belle lumière du jour qui commence, et la mer si bleue, aux vagues obliques...p423’

Ces deux derniers extraits démontrent l'importance du moment initial, avec la naissance de l'enfant le matin -le matin est le début du jour- et l'emploi triple du verbe "commencer": "l'enfant qui commence à pleurer" (page 422), "quand l'enfant commence à téter" et "la belle lumière du jour qui commence", (page 423).

Le moment de la journée que Lalla et Radicz préfèrent est le matin, qui rappelons-le, constitue le début du jour; ainsi pour Lalla "le matin, le ciel est beau", mais quand le soleil approche du zénith, "le ciel pèse plus lourd" (page 93); et quand elle se réveille tôt, un matin, croyant que c'est le jour de la fête, elle profite pour voir "les premiers rayons de soleil" (page 166).

Quand Lalla décide de s'enfuir, c'est le matin qu'elle le fait:

  • ainsi c'est le matin qu'elle s'est enfuie de chez Aamma vers le désert, avec le Hartani, et ceci après que l'homme riche est venu une deuxième fois pour la demander en mariage:
‘Elle est partie, ce matin, avant le soleil. …et elle s'éloigne de la Cité, le long du sentier des chèvres, vers les collines de pierres…Mais la lumière du soleil apparaît peu à peu, de l'autre côté des collines, une tache rouge et jaune qui se mélange au gris de la nuit. Lalla est contente de la voir…p210-211’
  • c'est aussi tôt le matin, juste avant l'aurore que Lalla s'est enfuie de chez le photographe, pour retourner chez elle à la Cité (page 408).

Le lecteur apprend que Radicz (au chapitre neuf, deuxième partie), aime cet instant où "le soleil allume sa première lumière du matin, pure et nette":

‘Il avance en silence, tout seul dans la grande rue vide où le soleil allume sa première lumière du matin, pure et nette… La lumière arrive lentement, dans le ciel d'abord, puis sur le haut des immeubles…Radicz aime beaucoup cette heure, parce que les rues sont encore silencieuses, les maisons fermées, sans personne, et c'est comme s'il était seul au monde. pp386-387 ’

Le lecteur note bien tout au long du deuxième texte, la fréquence d'expressions relevant de tout ce qui tourne autour de l'idée du "commencement":

‘Ces choses étaient belles quand il les regardait, plus neuves, comme si personne ne les avait regardées avant lui, comme au commencement du monde. p129 ’

Quand Lalla accompagne le Hartani du côté des plateaux, elle descend pour "la première fois" à l'intérieur de la terre (page 126); et un jour, toujours avec le Hartani, dès qu'elle est entrée dans une grotte, "au commencement, elle ne voyait plus rien" (page 138).

Après la mort de sa mère et après avoir quitté le désert, Lalla se souvient "des premiers jours" quand elle s'est installée à la Cité avec sa tante Aamma (page 152), et elle se souvient aussi de la mer qu'elle a vue pour "la première fois":

‘Lalla s'assoit dans le sable, face à la mer, et elle regarde les mouvements lents des vagues. Mais ce n'est pas tout à fait comme le jour où elle a vu la mer pour la première fois…p153 ’

Tout le chapitre dix de la première partie abonde en expressions renvoyant au commencement: "quand il commence à pleuvoir", "le vent commence à souffler": (page 160); (page 161): "au commencement cela fait un fracas de métal", "les gros nuages blancs commencent à s'accumuler dans le ciel"; (page 162): "c'est là qu'Aamma a emmené Lalla, quand elle est arrivée ici à la Cité, pour la première fois"; (page 163): "les premiers temps Lalla avait honte d'enlever ses vêtements devant les femmes, "au début elle trouvait les corps des femmes horribles, "pour la première fois, Lalla entre dans l'eau après les longs mois de sécheresse; (page 165): Aamma commence à peigner les cheveux de Lalla, après que cette dernière est sortie de la baignoire.

Au chapitre treize, Lalla se souvient que c'était "au commencement de l'été" que l'homme riche est arrivé chez Aamma pour la demander en mariage, (page 192).

Quand elle se trouve seule, la nuit, dans sa chambre, et qu'elle est prise tout à coup par un vertige:

‘pour la première fois elle ressent l'angoisse d'avoir fait mal à quelqu'un qui dépend d'elle. pp287-288’

, et ce "quelqu'un" n'est autre que le bébé qui vit déjà.

Quand elle est entrée pour "la première fois" à l'hôtel Sainte-Blanche pour travailler comme femme de ménage, elle a failli s'en aller tout de suite:

‘tellement c'était sale, froid et malodorant. p290 ’

Et "au début", Lalla croyait que les "gens venaient mourir à l'hôtel pour les envoyer ensuite aux pompes funèbres", (page 322).

Nous pouvons multiplier les exemples à l'envi; mais nous pensons que les quelques extraits introduits sont amplement suffisants pour que le lecteur interprète que le moment initial est un moment capital dans le deuxième texte.

Notes
99.

De même que Lalla aime bien écouter l'histoire de sa naissance racontée par Aamma. (page 87)

100.

Pour la définition de "chronique", voir la partie appelée "les chroniques d'une vie dans le deuxième texte".