Il y a dans le deuxième texte recherche et quête d'un temps permanent, c'est-à-dire d'un temps qui ne passe pas, comme dans l'exemple qui suit où c'est le verbe "retenir" qui indique que Lalla ne souhaite pas voir le visage du Hartani changer:
‘Mais Lalla ne reste jamais très longtemps avec le Hartani, parce qu'il y a toujours un moment où son visage semble se fermer…C'est terrible, parce que Lalla voudrait bien retenir le temps où le Hartani avait l'air heureux, son sourire, la lumière qui brillait dans ses yeux. p135’Même chose dans l'exemple qui suit où Lalla aime bien être dans les collines où le temps ne passe pas:
‘Lalla aime bien venir chez eux, dans cet endroit plein de lumière blanche, là où le temps ne passe pas, là où on ne peut pas grandir p191 ’Il est clair, donc, que Lalla désire être en "conjonction" avec un temps permanent et immuable: de ce fait le lecteur s'attend à ce que des indices soient à l'œuvre qui renvoient à ce type de temps.
Ainsi, les deux exemples qui suivent montrent que Lalla aime la lumière à travers les indices "belle", et "c'est bien", parce qu'elle se caractérise par sa permanence: "tous les jours" et "n'arrête pas de bondir":
‘La lumière est belle, ici, sur la Cité, tous les jours. p126’ ‘C'est bien, l'après-midi, sur le plateau de pierres. La lumière du soleil n'arrête pas de bondir sur les angles des cailloux, on est tout entouré d'étincelles. p138 ’La plage que Lalla aime beaucoup102 est un espace où c'est la permanence qui domine, ainsi:
Dans l'exemple dernier, les expressions qui renvoient à cette permanence sont: "ne se sont pas effacées", "toujours", "sans cesse", et "toujours".
Les personnages que Lalla aime fréquenter sont décrits parfois avec une mise en avant de la permanence qui les affecte; c'est le cas notamment de Naman qui "va toujours pieds nus":
‘Il va toujours pieds nus, vêtu d'un pantalon de toile bleue et d'une chemise blanche trop grande pour lui qui flotte dans le vent. p83’Et dès qu'elle s'est enfuie de chez sa tante (chapitre treize, première partie), après qu'elle avait appris qu'Aamma avait l'intention de la faire marier à un homme riche, Lalla s'est dirigée vers la mer pour voir Naman assis "toujours" à la même place:
‘…elle marche sur la grande plage, à la recherche du vieux Naman. Elle voudrait bien qu'il soit là, comme toujours, assis sur une racine du vieux figuier, en train de réparer ses filets. Elle lui poserait toutes sortes de questions, au sujet de ces villes d'Espagne aux noms magiques…p194 ’Quand Naman tombe malade, Lalla note que "son visage est devenu d'un blanc un peu gris", mais ses yeux ont "toujours" cette couleur de la mer, (page 196).
Quand elle voit le regard d'Es Ser, elle se rend compte qu'il brille comme une lumière "qui ne peut pas disparaître":
‘C'est un regard qui vient de l'autre côté des montagnes…qui brille comme une lumière qui ne peut pas disparaître. p92 ’Es Ser la regarde "continuellement" dans les collines de pierres (page 95); même chose dans l'exemple suivant où malgré son départ son regard reste par contre "suspendu":
‘Et l'ombre de l'Homme Bleu se retire, silencieusement, comme elle était venue, mais son regard plein de force reste suspendu au-dessus d'elle…p125’Et le regard d'Es Ser est toujours présent jusqu'à la fin du deuxième texte, au chapitre dix de la deuxième partie:
‘Lalla sent à nouveau le poids du regard secret sur elle, autour d'elle…p412’Bien que dans l'exemple dernier le nom d'Es Ser ne soit pas évoqué, c'est l'emploi de la propriété "secret" qui lui réfère, parce que "Es Ser" en arabe veut dire "secret"; dans les extraits précédents des expressions comme "qui ne peut pas disparaître", "continuellement", "suspendu" et "à nouveau" sont autant d'indices qui signalent cette permanence tant recherchée par Lalla .
Quand le Hartani se trouve décrit, c'est la permanence qui est à l'œuvre: ainsi le lecteur apprend qu'il "est toujours vêtu de sa longue robe de bure", (page 108).
Durant le mois du jeûne, il:
‘reste sans manger et sans boire tout le jour, mais cela ne change rien à sa façon d'être, et son visage reste toujours de la même couleur brûlée. p167’Quand Lalla va sur le plateau de pierres, le lecteur se trouve encore une fois devant la permanence dans la description du Hartani:
‘C'est toujours comme cela; quand elle a très envie de le voir, il apparaît dans un creux, assis sur une pierre, la tête enveloppée dans un linge blanc. p186 ’, et quand elle s'est disputée avec Zora la patronne qui frappe les petites filles, elle a l'impression qu'elle avait grandi:
‘C'est comme si elle était devenue grande tout d'un coup, et que les gens avaient commencé à la voir…Elle regrette un peu, parfois, le temps où elle était vraiment petite…p190 ’, tandis que le Hartani "reste toujours comme un enfant", (page 190).
Quand Lalla a décidé de s'enfuir avec le Hartani vers le désert, le lecteur apprend que ce dernier "a toujours eu cette idée, depuis qu'il est tout petit, il n'a pas cessé d'y penser un seul instant", (page 212), (cette idée réfère à sa fuite vers le désert).
Et après qu'elle l'a trop attendu, le Hartani apparaît devant elle "vêtu comme tous les jours de sa robe de bure" (page 213).
Comme nous le remarquons, et dans la majorité des cas, c'est l'adverbe "toujours" qui sert à suggérer cette permanence dans les derniers extraits.
L'épervier et la mouette blanche que Lalla aime observer tout le temps, véhiculent cette idée de permanence:
Quand elle s'est échappée de la maison d'Aamma, car l'homme riche est venu une deuxième fois pour la demander en mariage, Lalla est allée vers les collines de pierres pour voir Es Ser, le Secret pour qu'il la transforme en oiseau, espérant rejoindre la mouette qui vole "infatigablement":
‘C'est lui qui va venir certainement, son regard va aller droit au fond d'elle et lui donnera la force de combattre l'homme au complet veston, et la mort qui est près de Naman; la transformera en oiseau, la lancera au milieu de l'espace; alors peut-être qu'elle pourra enfin rejoindre la grande mouette blanche qui est un prince, et qui vole infatigablement au-dessus de la mer. p202’Des termes comme "interminable" "ininterrompu" "continue" et "infatigablement" transmettent cette idée de permanence que Lalla convoite tant.
Quand il pleut la nuit, durant l'été, Lalla aime regarder la belle lumière blanche du tonnerre qui s'allume "sans arrêt", (page 160); et elle "ne cesse" pas d'écouter les crépitements de l'eau sur les plaques de tôle, et de penser "aux deux belles fontaines qui jaillissent de chaque côté du toit", (page 161).
Et quand elle s'enfuit de chez sa tante, Lalla se réfugie dans les collines de pierres, et c'est la permanence qui est mise en avant encore: ainsi, "ici, le soleil brûle toujours plus fort" (page 199); elle retrouve "les traces anciennes, que le vent et le soleil n'ont pu effacer" (page 200); "ici, il n'y a pas d'herbes, il n'y a pas d'arbres ni d'eau, seulement la lumière et le vent depuis des siècles (page 200).
"Toujours", "les traces anciennes que le vent et le soleil n'ont pu effacer", et "depuis des siècles" sont autant d'expressions qui suggèrent cette permanence.
Dans la deuxième partie, cette permanence est toujours présente: ainsi il y a cet Algérien qui salue "toujours" Lalla, et lui parle "toujours"cérémonieusement, et Lalla l'aime car il a des yeux comme ceux de Naman:
‘...un Algérien grand et très maigre, avec un visage dur et de beaux yeux verts comme ceux de Naman le pêcheur. Lui salue toujours Lalla, en français, et il lui dit quelques mots gentils; comme il parle toujours cérémonieusement avec sa voix grave, Lalla lui répond avec un sourire. p292 ’Lalla aime aussi ces deux frères noirs qui habitent l'hôtel où elle travaille, et qui sont "toujours" gais (pages 318), et ce vieil homme car il ressemble à Naman, et est "toujours poli et doux" (page 319).
Quand Lalla devient cover-girl, le photographe "ne cesse pas" de la photographier, regarde"indéfiniment" son visage (page 348), photographie "sans se lasser" son beau visage, et prend "toujours davantage de photos" (page 349).
Le lecteur note aussi que des termes comme "immobile", et "assis", ou une expression comme "sans bouger" se trouvent utilisés fréquemment dans la description des personnages, et il ne manque pas de les relier avec l'idée de la permanence du temps:
Quand Lalla part retrouver le Hartani dans les collines, les deux "restent immobiles, assis sur les rochers", (page 112); et le Hartani:
‘lui a appris à rester ainsi sans bouger, à regarder le ciel, les pierres, les arbustes...p113 ’, et Lalla pourrait rester ainsi dans les collines, à côté du Hartani sans bouger jusqu'à la nuit:
‘Elle est si bien ainsi qu'elle pourrait rester tout le jour, jusqu'à ce que la nuit emplisse les ravins, sans bouger. p114 ’Quand elle se trouve à Marseille (deuxième partie), Lalla se souvient du Hartani immobile dans le désert:
‘De toutes ses forces, elle scrute l'ombre, comme si son regard allait pouvoir ouvrir à nouveau le ciel, faire resurgir les figures disparues... le Hartani, tel qu'il était, immobile dans la chaleur du désert...immobile devant elle, comme s'il attendait la mort...p287 ’, et remarque que Radicz "reste assis pendant des heures" sans bouger à regarder droit devant lui", (page 276).
‘Quand elle va au port, qui lui rappelle le désert: Elle devient comme un morceau de rocher, couvert de lichen et de mousse, immobile...p294’Les dunes du désert qu'elle voit dans son rêve, et qu'elle aime tant, sont comparées à des vagues "immobiles" (page 97), et l'air dans les collines où elle se réfugie pour échapper à l'homme riche, est "immobile" (page 200).
À part le fait que le lecteur dispose d'indices sur le type de temps que Lalla cherche, en l'occurrence le temps permanent:
‘Lalla aime bien venir chez eux, dans cet endroit plein de lumière blanche, là où le temps ne passe pas, là où on ne peut pas grandir. p191 ’, il y a un autre indice, selon nous, qui est encore plus décisif: il s'agit de la présence de la même idée de permanence:
Quand elle apprend que sa tante a l'intention de la faire marier à un homme riche, Lalla trouve refuge à la plage.