4. Les temps verbaux dans Désert.

Nous avons décidé d'employer "temps verbal" pour désigner les désinences qui se rattachent au verbe, car contrairement à l'anglais et à l'allemand qui ont chacun deux termes pour désigner le temps des verbes, et le temps tout court (celui vécu par les personnages, par exemple) le français, lui, ne dispose que d'un seul terme "temps" pour désigner les deux phénomènes:

Le temps verbal. Le temps.
L'allemand: Tempus;
L'anglais: tense.
L'allemand: Zeit;
L'anglais: time.

Nous rappelons que pour P. Ricœur les temps verbaux sont étudiés dans le cadre de la mimésis II, où la séquence "récit" prend forme.104

Pour P. Ricœur, le système des temps verbaux est indépendant du temps phénoménologique, ou du temps quotidien:

‘Cette indépendance du système des temps du verbe contribue à celle de la composition narrative à un double niveau: à un niveau strictement paradigmatique (disons: au niveau du tableau des temps du verbe dans une langue donnée), le système des temps offre une réserve de distinctions, de relations et de combinaisons dans laquelle la fiction puise les ressources de sa propre autonomie par rapport à l'expérience vive...En outre, à un niveau qu'on peut dire syntagmatique, les temps du verbe contribuent à la narrativisation, non plus seulement par le jeu de leurs différences à l'intérieur des grands paradigmes grammaticaux, mais par leur disposition successive sur la chaîne du récit...la syntagmatisation des temps verbaux est aussi essentielle que leur constitution paradigmatique. Mais la première autant que la seconde exprime l'autonomie du système des temps du verbe à l'égard de ce que, dans une sémantique élémentaire de l'expérience quotidienne, nous appelons le temps. (P. Ricœur; 1984: 93). ’

Cette autonomie des temps verbaux par rapport au temps de l'expérience "quotidienne" ou "vive" est confirmée par J. P. Confais qui démontre que le temps verbal "présent" par exemple, ne désigne pas nécessairement une unique et seule tranche de temps qui lui est habituellement réservée, en l'occurrence la coïncidence avec le moment de l'énonciation:

‘La coïncidence parfaite entre le moment dénoté par le PRÉS (ou le PRÄS) et t0,au sens où l'intervalle recouvert par le procès coïncide avec le bref laps de temps nécessaire à l'énonciation, n'est réalisée que dans le cas exceptionnel du "présent de reportage. (J. P. Confais ; 1995: 234)’

Le linguiste donne comme exemple de "présents" n'exprimant pas la coïncidence avec le moment de l'énonciation: le présent "générique" ou "panchronique" énonçant une vérité générale; le "présent historique" utilisé dans un récit marqué par un temps verbal <passé>; "le présent de résumé" quand on condense le contenu d'un roman; le présent des titres de presse, etc.

Tous ces emplois du présent dénotent un signifié autre que la concomitance avec le moment où l'on parle.

Notes
104.

P. Ricœur étudie le phénomène des temps verbaux dans la patrie appelée "Les jeux avec le temps", (P. Ricœur; Temps et récit, 1984).