Conclusion.

Nous avons déjà affirmé dans l'avant-propos que Désert est une œuvre qui sollicite fortement le lecteur, en cherchant sa "collaboration" interprétative, et il ne sera pas inutile, à notre sens, de voir si les autres œuvres de Le Clézio réclament aussi une collaboration active de la part du lecteur.

Toutes les études que nous avons menées dans notre travail ont démontré que le lecteur est un "pivot" incontournable, dont l'interprétation est constamment requise pour mettre en place le sens que cherche à véhiculer Désert: en effet pour ce qui concerne le point de vue (PDV), nous avons démontré que ce lecteur trouve des difficultés dans l'attribution de certains PDV, et cela parce que le texte n'en fournit pas la source; même remarque pour ce qui concerne le discours rapporté -avec les différentes formes qu'il peut prendre comme le discours direct, le discours indirect libre et le discours direct libre- puisque la source énonciative fait parfois défaut.

Pour ce qui concerne la partie consacrée au "récit", notre objectif était de démontrer que le lecteur ne peut pas ne pas remarquer que les deux textes "enchâssants" de Désert offrent deux structures différentes, l'une de type narratif -dans le premier texte- et l'autre de type "chroniques".

Dans la partie "personnages", le lecteur participe activement dans la construction de la représentation des personnages, et cela à travers les indices fournis par le texte: ainsi par exemple le premier texte ne donne pas explicitement le personnage principal, et c'est au lecteur de le "trouver", en sélectionnant certains critères comme les modalités, le point de vue qui s'étale du début jusqu'à la fin...

Enfin, la partie consacrée au "temps" a été divisée en deux sections: la première au temps tel que vécu par les personnages (ou "le temps fictif" selon P. Ricœur), a permis de constater que c'est au lecteur d'observer que le temps recherché par Lalla est ce temps qui ne passe pas; mais cette dernière est bien consciente que ce temps est impossible c'est pourquoi elle veut être conjointe au temps qui dure "longuement" et lentement"; pour ce qui concerne la partie consacrée aux temps verbaux, l'emploi dans une même page, de différents temps verbaux pour un même verbe, l'exclusion du passé simple à l'incipit, la domination de l'imparfait et du présent de l'indicatif, respectivement au premier et au deuxième texte...sont significatifs pour le lecteur.

Nous pensons que d'autres pistes restent à exploiter, concernant toujours la problématique du lecteur; en effet notre travail s'est contenté de s'intéresser au lecteur présupposé uniquement par le texte, alors qu'il a laissé de côté le lecteur déterminé par les données historiques, et tel qu'étudié par H. R. Jauss.

Autrement dit, il est possible de voir si à sa publication, Désert est conforme aux conventions romanesques de l'époque, assimilées par le lecteur (ou le public): nous rappelons que pour H. R. Jauss le lecteur détient un savoir concernant les normes esthétiques acquises tout au long de ses lectures antérieures, ce savoir lui permet de juger si l'œuvre qu'il lit est en conformité avec les canons esthétique en cours, ou si elle s'en écarte.

Une étude pourrait exploiter cette piste en essayant de déterminer d'abord quelles sont les conventions romanesques admises, et de voir après, si Désert s'en inspire ou s'en écarte.

Nous pensons qu'il est possible aussi de procéder à la comparaison de Désert avec une œuvre d'un autre écrivain, catégorisée par les critiques comme obéissant aux conventions (Balzac par exemple) pour voir si le livre de Le Clézio les rejette comme l'affirme M. Labbé:

‘Considérées comme entraves à la recherche, les conventions romanesques sont rejetées dans une violence identificatoire qui vise toute autorité. (1999: 259-260) ’

, ou s'il les respecte.

Nous estimons aussi que le mérite d'un livre comme Désert est de mettre à rude épreuve certaines théories dont les présupposés méthodologiques sont certes applicables à certains textes, mais difficilement exploitables dans d'autres:

‘Seront appelés discordanciels tous les mots ou locutions permettant d'attirer le dire du narrateur (rapporteur) vers le dit du personnage (locuteur dont on rapporte les propos): ils confrontent le discours citant au discours cité. Elles se rencontrent indifféremment au DD, au DI, au DIL, ou au DLL, mais toujours comme signes actualisateurs. (1999: 153). ’

; mais cette théorie n'arrive pas à expliquer des exemples dans Désert où le lecteur se trouve certes devant un DDL ou un DIL, avec les discordanciels, sans qu'il soit sûr que ces actualisateurs renvoient uniquement au personnage;

Nous pensons que ces dernières observations sont suffisantes pour démontrer qu'un texte comme Désert oblige certaines théories à se mettre en cause, et à se réévaluer, parce que tout simplement leurs présupposés se heurtent à des difficultés insurmontables.

Annexes.

Récit de la page 84:

Naman raconte l'histoire d'un dauphin qui a guidé le bateau d'un pêcheur jusqu'à la côte, un jour qu'il s'était perdu en mer dans la tempête. Les nuages étaient descendus sur la mer et la recouvraient comme un voile, et le vent terrible avait brisé le mât du bateau. Alors la tempête avait emporté le bateau du pêcheur très loin, si loin qu'il ne savait plus où était la côte. Le bateau avait dérivé pendant deux jours, au milieu des vagues qui menaçaient de la faire chavirer. Le pêcheur pensait qu'il était perdu et il récitait des prières, quand un dauphin de grande taille était apparu au milieu des vagues. Il bondissait autour du bateau, il jouait dans les vagues comme font les dauphines d'habitude. Mais celui-ci était tout seul. Puis, soudain, il avait commencé à guider le bateau. C'était difficile à comprendre, mais c'était ce qu'il avait fait: il avait nagé derrière le bateau, et il l'avait poussé devant lui. Quelquefois, le dauphin s'en allait, il disparaissait dans les vagues, et le pêcheur pensait qu'il l'avait abandonné. Puis il revenait, et il recommençait à pousser le bateau avec son front, en battant la mer de sa queue puissante. Comme cela, ils avaient navigué tout un jour, et à la nuit, dans une déchirure de nuage, le pêcheur avait enfin aperçu la lumière de la côte. Il avait crié et pleuré de joie, parce qu'il savait qu'il était sauvé. Quand le bateau est arrivé près du port, le dauphin a fait demi-tour et il est reparti vers le large, et le pêcheur l'a regardé s'en aller, avec son gros dos noir qui luisait dans la lumière du crépuscule.

Récit de la page 123:

C'était une femme qui allait chercher une cruche d'eau à la fontaine. Personne ne se souvient plus de son nom maintenant, parce que cela s'est passé il y a très longtemps. Mais c'était une très vieille femme, qui n'avait plus de forces, et quand elle est arrivée à la fontaine, elle pleurait et elle se lamentait parce qu'elle avait beaucoup de chemin à faire pour rapporter l'eau chez elle. Elle restait là, accroupie par terre, à pleurer et à gémir. Alors tout d'un coup, sans qu'elle l'ait entendu venir, Al Azraq était debout à côté d'elle...La vieille femme continuait à pleurer, alors Al Azraq lui a demandé doucement pourquoi elle pleurait...

La vieille femme lui a dit sa tristesse, sa solitude parce que sa maison était très loin de l'eau et qu'elle n'avait pas la force de rentrer en portant la cruche...Ne pleure pas pour cela, a dit Al Azraq, je vais t'aider à retourner chez toi. Et il l'a guidée par le bras jusque chez elle, et quand ils sont arrivés devant sa maison, il lui a dit simplement: soulève cette pierre au bord du chemin, et tu ne manqueras plus jamais d'eau. Et la vieille femme a fait ce qu'il a dit, et sous la pierre, il y avait une source d'eau très claire qui a jailli, et l'eau s'est répandue alentour, jusqu'à former une fontaine plus belle et plus fraîche que nulle autre dans le pays. Alors la vieille femme a remercié Al Azraq, et plus tard, les gens sont venus de tous les environs pour voir la fontaine, et pour goûter de son eau, et tous louaient Al Azraq qui avait reçu un tel pouvoir de Dieu.

Récit de la page 145:

En ce temps-là, il y avait dans une grande ville de l'Orient un émir puissant qui n'avait pour enfant qu'une fille, nommée Leila, la Nuit. L'émir aimait sa fille plus que tout au monde, et c'était la plus belle jeune fille du royaume, la plus douce, la plus sage, et on lui avait promis tout le bonheur du monde...Alors il est arrivé quelque chose de terrible dans ce royaume, continue Naman, il est arrivé une grande sécheresse, un fléau de Dieu sur tout le royaume, et il n'y avait plus d'eau dans les rivières, ni dans les réservoirs, et tout le monde mourait de soif, les arbres et les plantes d'abord, puis les troupeaux de bêtes, les moutons, les chevaux, les chameaux, les oiseaux, et enfin les hommes qui mouraient de soif dans les champs, au bord des routes, c'était une chose terrible à voir, et pour cela qu'on s'en souvient encore...L'émir de ce royaume était triste, et il a fait convoquer les sages pour prendre leur conseil, mais personne ne savait comment faire pour arrêter la sécheresse. Alors est venu un voyageur étranger, un Égyptien, qui savait la magie. L'émir l'a convoqué aussi, et lui a demandé de faire cesser la malédiction sur le royaume. L'Égyptien a regardé dans une tache d'encre, et voici qu'il a eu peur tout à coup, il s'est mis à trembler et a refusé de parler. Parle ! disait l'émir, parle, et je ferai de toi l'homme le plus riche de ce royaume. Mais l'étranger refusait de parler, Seigneur, disait-il en se mettant à genoux, laisse-moi partir, ne me demande pas de te révéler ce secret...Alors l'émir s'est mis en colère et il a dit à l'Égyptien: parle ou c'en est fait de toi. Et les bourreaux s'emparaient de lui et sortaient déjà leurs sabres pour lui couper la tête. Alors l'étranger a crié: arrête ! Je vais te dire le secret de la malédiction. Mais sache que tu es maudit!

Alors l'Égyptien a dit à l'émir: n'as-tu pas fait punir autrefois un homme, pour avoir volé de l'or à un marchand ? Oui, je l'ai fait, a dit l'émir, parce que c'était un voleur. Sache que cet homme était innocent, a dit alors l'Égyptien, et faussement accusé, et qu'il t'a maudit, et c'est lui qui a envoyé cette sécheresse, car il est l'allié des esprits et des démons.

Que faut-il faire pour arrêter cette malédiction, demanda l'émir, et l'Égyptien le regarda droit dans les yeux: sache qu'il n'y a qu'un seul remède, et je vais te le dire puisque tu m'as demandé de te le révéler. Il faut que tu sacrifies ta fille unique, celle que tu aimes plus que tout au monde. Va, donne-la en pâture aux bêtes sauvages de la forêt, et la sécheresse qui frappe ton pays s'arrêtera. Alors l'émir s'est mis à pleurer, et à crier de douleur et de colère, mais comme il était homme de bien, il a laissé l'Égyptien partir librement. Quand les gens du pays ont appris cela, ils ont pleuré aussi, car ils aimaient Leila, la fille de leur roi. Mais il fallait que ce sacrifice se fasse, et l'émir a décidé de conduire sa fille dans la forêt, pour la donner en pâture aux bêtes sauvages. Pourtant il y avait dans le pays un jeune homme qui aimait Leila plus que les autres, et il était décidé à la sauver. Il avait hérité d'un parent magicien un anneau qui donnait à celui qui le possédait le pouvoir d'être transformé en animal, mais jamais il ne pourrait retrouver sa forme première, et il serait immortel. La nuit du sacrifice est arrivée, et l'émir est parti dans la forêt, accompagné de sa fille...

L'émir est arrivé au milieu de la forêt , il a fait descendre sa fille de cheval et il l'a attachée à un arbre. Puis il est parti, pleurant de douleur, car on entendait déjà les cris des bêtes féroces qui s'approchaient de leur victime...Dans la forêt , attachée à l'arbre, la pauvre Leila tremblait de peur, et elle appelait son père au secours, parce qu'elle n'avait pas le courage de mourir ainsi, dévorée par les bêtes sauvages...Déjà un loup de grande taille s'approchait d'elle, et elle voyait ses yeux briller comme des flammes dans la nuit. Alors tout d'un coup, dans la forêt , on a entendu une musique. C'était une musique si belle et si pure que Leila a cessé d'avoir peur, et que toutes les bêtes féroces de la forêt se sont arrêtées pour l'écouter...la musique céleste résonnait dans la forêt, et en l'écoutant, les bêtes sauvages se couchaient par terre, et elles devenaient douces comme des agneaux, parce que le chant qui venait du ciel les retournait, troublait leur âme Leila aussi écoutait la musique avec ravissement, et bientôt ses liens se sont défaits d'eux-mêmes, et elle s'est mise à marcher dans la forêt, et partout où elle allait, le musicien invisible était au-dessus d'elle, caché dans le feuillage des arbres. Et les bêtes étaient couchées le long du chemin, et elles léchaient les mains de la princesse, sans lui faire le moindre mal...Alors Leila est revenue au matin vers la maison de son père, après avoir marché toute la nuit, et la musique l'avait accompagnée jusque devant les portes du palais. Quand les gens ont vu cela, ils ont été très heureux, parce qu'ils aimaient beaucoup la princesse. Et personne n'a fait attention à un petit oiseau qui volait discrètement de branche en branche. Et le matin même, la pluie a commencé à tomber sur la terre..

Récit de la page 187:

C'est un de ces jours-là qu'Aamma a conduit Lalla chez la marchande de tapis. C'est de l'autre côté de la rivière, dans un quartier pauvre de la ville, dans une grande maison blanche aux fenêtres étroites garnies de grillage. Quand elle entre dans la salle qui sert d'atelier, Lalla entend le bruit des métiers à tisser. Il y en a vingt, peut-être plus, alignés les uns derrière les autres, dans la pénombre laiteuse de la grande salle, où clignotent trois barres de néon. Devant les métiers, de petites filles sont accroupies, ou assises sur des tabourets. Elles travaillent vite, poussent la navette entre les fils de la chaîne, prennent les petits ciseaux d'acier, coupent les mèches, tassent la laine sur la trame. La plus âgée doit avoir quatorze ans, la plus jeune n'a probablement pas huit ans. Elles ne parlent pas, elles ne regardent même pas Lalla qui entre l'atelier avec Aamma et la marchande de tapis. la marchande s'appelle Zora, c'est une grande femme vêtue de noir, qui tient toujours dans ses mains grasses une baguette souple avec laquelle elle frappe les jambes et les épaules des petites filles qui ne travaillent pas assez vite, ou qui parlent à leur voisine.

"Est-ce qu'elle a déjà travaillé?" demande-t-elle, sans même un regard pour Lalla. Aamma dit qu'elle lui a montré comment on tissait, autrefois. Zora hoche la tête. Elle semble très pâle, peut-être à cause de sa robe noire, ou bien parce qu'elle ne sort jamais de son magasin. Elle marche lentement jusqu'à un métier inoccupé, où il y a un grand tapis rouge sombre à points blancs.

"Elle va terminer celui-ci", dit-elle.

Lalla s'assoit, et commence le travail. Pendant plusieurs heures, elle travaille dans la grande salle sombre, en faisant des gestes mécaniques avec ses mains. Au début, elle est obligée de s'arrêter parce que ses doigts se fatiguent, mais elle sent sur elle le regard de la grande femme pâle, et elle reprend aussitôt le travail. Elle sait que la femme pâle ne lui donnera pas de coups de baguette, parce qu'elle est plus âgée que les autres filles qui travaillent. Quand leurs regards se croisent, cela fait comme un choc au fond d'elle, et il y a une étincelle de colère dans les yeux de Lalla. Mais la grosse femme vêtue de noir se venge sur les plus petites, celles qui sont maigres et craintives comme des chiennes, les filles de mendiants, les filles abandonnées qui vivent toute l'année dans la maison de Zora, et qui n'ont pas d'argent. Dès qu'elles ralentissent leur travail, ou si elles échangent quelques mots en chuchotant, la grosse femme pâle se précipite sur elles avec une agilité surprenante, et elle cingle leur dos avec sa baguette. Mais les petites filles ne pleurent jamais. On n'entend que le sifflement de la baguette et le coup sourd sur leurs dos. Lalla serre les dents, elle penche sa tête vers le sol pour ne pas voir ni entendre, parce qu'elle voudrait crier et frapper à son tour sur Zora. Mais elle ne dit rien à cause de l'argent qu'elle doit ramener à la maison pour Aamma. Seulement, pour se venger, elle fait de travers quelques nœuds dans le tapis rouge.

Le jour suivant, pourtant, Lalla n'en peut plus. Comme la grosse femme pâle recommence à donner des coups de canne à Mina, une petite fille de dix ans à peine, toute maigre et chétive, parce qu'elle avait cassé sa navette, Lalla se lève et dit froidement:

"Ne la battez plus !"

Zora regarde un moment Lalla, sans comprendre. Son visage gris et pâle a pris une telle expression de stupidité que Lalla répète:

"Ne la battez plus !"

Tout à coup le visage de Zora se déforme, à cause de la colère. Elle donne un violent coup de canne à la figure de Lalla, mais la baguette ne la touche qu'à l'épaule gauche, parce que Lalla a su esquiver le coup.

"Tu vas voir si je vais te battre !" crie Zora, et son visage est maintenant un peu coloré.

"Lâche ! Méchante femme !"

Lalla empoigne la canne de Zora et elle la casse sur son genou. Alors c'est la peur qui déforme le visage de la grosse femme. Elle recule, en bégayant:

"Va-t'en ! Va-t'en ! Tout de suite ! Va-t'en"

Mais déjà Lalla court à travers la grande salle, elle bondit au-dehors, à la lumière du soleil; elle court sans s'arrêter, jusqu'à la maison d'Aamma. La liberté est belle...

Quand Aamma revient, vers le soir, elle lui dit simplement:

"Je n'irai plus travailler chez Zora, plus jamais."

Récit de la page 284:

Chez Aamma, le policier va s'asseoir sur le divan de skaï qui sert de lit à Lalla, et elle pense qu'il va faire un trou, et que ce soir, quand elle se couchera, il y aura encore la marque, là où le gros homme s'est assis.

"Nom ? Prénom ? Nom de la tribu ? Permis de séjour ? Permis de travail ? Nom de l'employeur...Il dit à Aamma :

"C'est ta fille ?"

"Non, c'est ma nièce", dit Aamma.

Il prend tous les papiers et il les examine. "Où sont ses parents ?"

"Ils sont morts."

"Ah", dit le policier. Il regarde les papiers comme s'il réfléchissait.

"Elle travaille ?"

"Non, pas encore, Monsieur", dit Aamma; elle dit "Monsieur" quand elle a peur....."Fais attention que ta fille ne finisse pas à la rue du Poids de la Farine, hein ? Il y en a beaucoup qui sont là-bas, des filles comme elle, tu comprends ?"

"Oui Monsieur, dit Aamma. Elle n'ose pas répéter que Lalla n'est pas sa fille.

Mais le policier sent le regard dur de Lalla posé sur lui, et cela le met mal à l'aise. Il ne dit plus rien pendant quelques secondes, et le silence devient intolérable. Alors le gros homme éclate, et il recommence avec une voix rageuse, les yeux tout étrécis de colère:

"Oui, je comprends, oui, on dit ça, et puis un jour ta fille sera le trottoir, une putain à dix francs la passe, alors il ne faudra pas venir pleurer et dire que tu ne savais pas, parce que je t'aurai prévenue."

Il crie presque, les veines de ses tempes gonflées. Aamma reste immobile, paralysée, mais Lalla n'a pas peur du gros homme. Elle le regarde durement, elle avance vers lui et elle lui dit seulement:

"Allez-vous-en."

Le policier la regarde éberlué, comme si elle avait dit une insulte. Il va ouvrir la bouche, il va se lever, il va gifler Lalla peut-être. Mais le regard de la jeune fille est dur comme du métal, difficile à soutenir. Alors le policier se lève brutalement, et en un instant il est dehors, il dévale l'escalier. Lalla entend claquer la porte qui donne sur la rue. Il est parti.

Récit de la page 320

Il y a celui qui lit ses revues obscènes, et qui laisse traîner toutes ces photos de femmes nues sur son lit défait, pour que Lalla les ramasse et les regarde. C'est un Yougoslave, qui s'appelle Gregori. Un jour, Lalla est entrée dans sa chambre, et il était là. Il l'a prise par le bras et il a voulu la faire tomber sur son lit, mais Lalla s'est mise à crier et il a eu peur. Il l'a laissée partir en lui criant des injures.

Bibliographie.

L'astérisque indique les ouvrages consultés dans cette thèse:

  1. *ADAM, Jean Michel. 1985 : Le Texte narratif. Traité d'analyse textuelle des récits, Paris, Nathan.
  2. *ADAM, Jean Michel. 1992 : Les Textes. Types et prototypes, Paris, Nathan.
  3. *ADAM, Jean Michel. 1999 : Linguistique textuelle. Des genres de discours aux textes, Paris, Nathan.
  4. -BAL, Mieke. 1977 : "Narration et focalisation. Pour une théorie des instances du récit", Poétique n° 29, Paris, Seuil.
  5. -BANFIELD, Ann. 1995 : Phrases sans paroles. Théorie du récit t style indirect libre, Paris, Seuil.
  6. -BARTHES, Roland. 1966 : "Introduction à l'analyse structurale des récits" Communications n° 8 , Paris, Seuil.
  7. *BENVENISTE, Émile. 1966 : Problèmes de linguistique générale I , Paris, Gallimard.
  8. - BENVENISTE, Émile. 1974 : Problèmes de linguistique générale II, Paris, Gallimard.
  9. -BERNARD-COURTIN, Sylvie. 1995 : Le regard: principe de cohésion dans l'œuvre de J. M. G. Le Clézio, Thèse 3e cycle, Université Paris 4.
  10. *BOOTH, Wayne. C. 1970 : "Distance et point de vue. Essai de classification", Poétique n° 4, Paris, Seuil.
  11. -BOULOS-STENDAL, Miriam. 1996 : Chemins pour une approche poétique du monde: le roman selon J. M. G. Le Clézio,Thèse 3e cycle, Université Montpellier 3.
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  13. -CAVALLERO, Claude. 1992 : J. M. G. Le Clézio ou les marges du roman, Thèse 3e cycle, Université Rennes 2.
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  16. -DALAM, Minan. 1996 : Formes et fonctions de la description dans l'œuvre de J. M. G. Le Clézio, Thèse 3e cycle, Université Paris 3.
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  19. -DOMANGE, Simone. 1993 : Le Clézio ou la quête du désert, Éditions Imago.
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  22. *GENETTE, Gérard. 1972 : Figures III, Paris, Seuil.
  23. *GENETTE, Gérard. 1983 : Nouveau discours du récit, Paris, Seuil.
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  26. *GREIMAS, Algirdas Julien. 1983 : Du Sens II. Essais sémiotiques, Paris, Seuil.
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  31. *JAUSS, Hans Robert. 1978 : Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard.
  32. -JOST, François. 1987 : L'œil-caméra. Entre film et roman, Presses Universitaires de Lyon.
  33. *JOUVE, Vincent. 1992 : L'effet-personnage dans le roman, Paris, Presses Universitaires de France.
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  43. -MOLINIÉ, Georges et VIALA, Alain. 1993 : Approches de la réception. Sémiostylistique et sociopoétique de la réception de Le Clézio, Paris, Presses Universitaires de France
  44. *ONIMUS, Jean. 1994 : Pour lire Le Clézio, Paris,Presses Universitaires de France.
  45. -PRINCE, Gérald. 1973 : "Introduction à l'étude du narrataire", Poétique n° 14, Paris Seuil.
  46. *RABATEL, Alain. 1997 : Une Histoire du point de vue, Klincksieck/Centre d'Études linguistiques des Textes et des Discours, Université de Metz.
  47. *RABATEL, Alain. 1998 : La construction textuelle du point de vue, Lausanne-Paris, Delachaux et Niestlé.
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  50. *RICŒUR, Paul. 1983: Temps et Récit I, Paris, Seuil.
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  53. *ROSIER, Laurence. 1999 : Le discours rapporté. Histoire, théories, pratiques, Paris-Bruxelles, Duculot.
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