Les cinq tons

Habituellement on dit qu’il y a quatre tons en chinois, on ne compte pas un cinquième qui est court et léger et donc atonal aux yeux de certains. Voici une représentation des variations de la courbe mélodique des premiers quatre tons ; les chiffres sur la droite signifient les cinq degrés sur une échelle mélodique — (1) « bas », (2) « assez bas », (3) « moyen », (4) « assez haut » et (5) « haut » (Grammaire élémentaire du chinois)

Pour beaucoup d’apprenants adultes de n’importe quelle langue étrangère, la gestion des éléments phonétiques non familiers, i.e. des éléments qui ne se trouvent pas dans leurs répertoires linguistiques, s’avère une véritable barrière. Cette difficulté dans le cas de la langue chinoise est très particulière pour deux raisons.

Un accent étranger en français n’empêche pas l’intercompréhension entre le natif et l’alloglotte ; en chinois, si un étranger ne distingue pas les tons quand il parle, il y a de bonnes chances qu’il ne se fasse pas comprendre sauf peut-être par un groupe ethnique dont l’accent correspond exactement au sien. Entre parenthèses, on trouve en Chine 56 peuples et des milliers de dialectes.

Deuxièmement, on a affaire à la fois à des sons étranges et à un problème de nature complètement différente — les mélodies, i.e. des valeurs à distinguer sur chaque syllabe. Essayez de prononcer selon le schéma au-dessus les tons sur la syllabe [ma], vous verrez la subtilité de ces traits prosodiques. ‘Il convient cependant de préciser, d’une part, que ces descriptions ne valent que pour les syllabes isolées — c’est-à-dire que dans une suite de syllabes la réalisation du ton peut être modifiée.’ (Grammaire élémentaire du chinois) Des qualités prosodiques astucieusement combinées avec les tons dans le flux des énoncés servent d’exprimer toutes sortes de nuances sentimentales.

La prononciation est généralement considérée la zone de l’apprentissage d’une langue étrangère la plus difficile pour un apprenant adulte parce que l’adulte n’a plus la capacité de perception et de distinction sensorielle assez fines pour saisir facilement et parfaitement les qualités prosodiques. Boysson-Bardies (2003) explique dans Le langage, qu’est-ce que c’est que les bébés de quelques mois distinguent leur langue maternelle d’autres langues par des réactions différentes ; ils ‘catégorisent les langues selon des classes rythmiques’. ‘Cependant, dès le troisième mois, cette capacité se restreint et le bébé ne différencie plus d’autres langues que sa langue maternelle. Il préfère l’écouter entre toutes. Dès son plus jeune âge, le nourrisson focalise toute son attention vers sa langue maternelle.’ De l’autre côté les bébés « bilingues » peuvent différencier les langues grâce à leur grande sensibilité aux ‘différences dans le rythme, la structure syllabique et les phonèmes des langues’ qu’ils entendent. Alors que les adultes ont depuis longtemps perdu cette sensibilité pour acquérir un accent native-like. C’est une découverte scientifique très décourageante pour l’apprentissage du chinois, une langue à tons ! Et comme on verra, les tons dans cette langue sont extrêmement importants car ‘le ton ne diffère en rien des éléments dits « segmentaux » : de ceux qui sont obligatoirement figurés par des lettres dans les divers systèmes de transcription alphabétique.’ (Grammaire élémentaire du chinois)

Certaines recherches sur le rôle de l’âge dans l’acquisition d’un accent native-like amènent à la conclusion que l’adulte peut réussir à s’approprier un accent parfait à travers des entraînements. Mais comme Ellis suggère, plus de travail est nécessaire dans ce domaine pour justifier cette déclaration.

Qu’est-ce que cette difficulté signifie pour l’apprentissage du chinois ? Face à l’étrangeté hors commun que sont les tons, un apprenant adulte souvent met en œuvre les stratégies d’imitation et de répétition (auto comme hétéro). Les ‘séquences latérales’ sur la perception et/ou sur la production des tons se produisent par une haute fréquence au milieu de l’échange discursif ; la difficulté prosodique est facilement prise en conscience même quand elle ne constitue pas un obstacle d’intercompréhension. Alors l’échange discursif est ralenti au profit de l’apprentissage ou pour résoudre une panne conversationnelle à cause d’un problème phonétique. Au niveau débutant ce problème de distinction perceptive et articulatoire est si prépondérant que le processus d’apprentissage des autres aspects de la langue ralentit. Du travail décontextualisé ne serait donc pas tout à fait incohérent.