La fonction distinctive au niveau morphologique des tons chinois

En chinois, les cinq tons portent sur chaque syllabe et partagent avec les phonèmes chinois la fonction distinctive au niveau morphologique. Autrement dit, pour chaque syllabe, ces cinq tons forment un paradigme fermé, chacun renvoyant à de différents caractères. (Il y a aussi des correspondances vides : certains tons pour une syllabe ne renvoient pas à des caractères puisque la forme écrite du chinois est largement indépendante de la forme acoustique. )

À la syllabe [ma] correspondent cinq formes phonologiques toniques : [ma1], [ma2], [ma3], [ma4] et [ma5]. Chacun de ces cinq formes renvoient à plusieurs caractères : le premier à 5 caractères y compris 妈 : ‘maman’ et 抹 ‘essuyer / enlever’ ; le deuxième ton à 3 caractères, 麻 ‘étourdi’ par exemple ; le troisième à 6 ; le quatrième à 3 et le cinquième à 4. Donc au total, la syllabe [ma] renvoie à 18 caractères et ensuite chaque caractère a souvent des sens différents et peut faire partie d’une unité lexicale plus large.

À partir d’un nombre très limité de consonnes et de voyelles, est construit un répertoire de plus de 1,100 syllabes ou 2,940 si l’on compte les cinq tons. Et à partir de ces syllabes dérivent des dizaines jusqu’à des centaines de milliers de caractères — c’est un système très économique et ce n’est pas étonnant que les homonymes soient tellement nombreux. (Introduction à la langue chinoise et à l’écriture chinoise)

Ce désavantage est équilibré à l’écrit par les picto-phonèmes, à l’oral par d’autres aspects linguistiques, le contexte (linguistique ou situationnel) et un nombre croissant de mots composés. Malheureusement, cela ne change pas le grand défi pour un apprenant débutant dont le répertoire lexical est très limité, le système prosodique est loin d’être stabilisé et pour qui la distinction et l’énonciation des sons et des tons sont souvent incroyablement ardues !

Comme on vient de voir, une prononciation précise des tons est cruciale à la compréhension et donc à l’apprentissage du chinois. Si l’on fait une réflexion brève sur les problèmes d’intercompréhension posés par les innombrables dialectes en Chine, on reconnaîtra plus nettement cette exigence.

Les gens de l’ouest de la province de Shandong écoutent leurs congénères de l’est de la province comme ils écouteraient des étrangers car ces habitants à côté de l’Océan Pacifique parlent la même langue mais à tons différents : ils utilisent le 2e ton à la place du 4e, le 4e à la place du 2e et souvent le 1à la place du 2e!

Pendant un cours du chinois au CDL j’ai noté les prononciations de quatre étudiantes des nouvelles expressions dans une leçon. J’ai ensuite re-prononcé de la même manière ces expressions auprès de mes amis chinois l’un après l’autre. Ils avaient tous et tout le temps du mal à reconnaître les mots ou les expressions et me demandaient de quel accent il s’agissait ! Ce n’était qu’à la fin de la diction qu’ils commençaient à deviner les sens de deux ou trois expressions parmi une vingtaine et ils devinaient mal. Quelques exemples :

A : L’élément linguistique en question

B : Le sens estimé par les natifs chinois selon les tons articulés par les apprenants français

  Prononciation L’expression Sens
A [bu2 shi4] 不是 Ne pas être
B [bu4 shi2] 布什 BUSH (George W.)
A [h@1 tSa2] 喝茶 Boire du thé
B [h@2 tSa2] 核查 Inspecter
A [dI4 fa~1] 地方 Lieu
B [dI1 fa~2] 堤防 Se tenir en garde