La psychotypologie de l’interculturel

Ce qui relie à la notion de psychotypologie ne doit pas se limiter à l’aspect linguistique, il y a aussi la facette interculturelle. Nous allons passer un peu de temps sur cette facette qui est un sujet intéressant et un devoir d’apprentissage pas beaucoup moins important pour un adulte.

Sous le sous-titre ‘Bilinguals are not schizoids’ dans son ouvrage An Introduction to Psycholinguistics, Steinberg cite un exemple pour contredire la présomption de Whorf que ‘des langues différentes génèrent des réalités différentes’. Cet exemple s’agit de deux petits garçons aux États-Unis dans un environnement trilingues : chaque membre adulte dans la famille parle uniquement une langue avec eux—la mère le japonais, le père l’anglais et la grand-mère le russe. Steinberg souligne que les deux garçons, et les apprenants en générale, ne développent pas de personnalités multiples ou de problèmescomportementaux du fait d’apprendre deux ou plusieurs langues. 

C’est vrai qu’il y a peu de chances qu’un tel malheur se produise, pourtant, beaucoup d’adultes et adolescents attachent des fonctions et des valeurs sentimentales relativement distinctes aux langues différentes dont ils se servent. Cette distinction est probablement liée à l’âge à cause d’un degré plus haut chez l’adulte de maturité cognitive, socio-psychologique et sentimentale.

Prenons deux expressions en chinois pour comprendre la corrélation entre l’expression langagière – la valeur sentimentale, une question au cœur de l’expression humaine par le langage et qui est culturellement marquée.

L’expression d’amour en chinois a traditionnellement une valeur si grande que de dire à son amour les trois mots ‘wo-ai-ni’, moi-aimer-toi / je t’aime, pourrait être vraiment difficile pour quelqu’un chez qui cette valeur est enracinée. De le dire à un membre de famille est carrément impensable ! –D’une part une valeur si précieuse que l’amour ne s’exprime pas facilement et d’autre part le sentiment pour les parents dépasse largement l’amour. Il y a donc dans la culture chinoise un rapport très délicat entre la langue expressive et le sentiment humain. L’énonciation même réduit la valeur d’une notion ; l’expression directe de l’amour est alors évitée et devient une référence valorisante à quoi renvoient d’autres expressions langagières à sa place. Cela ne veut absolument pas dire que les Chinois ne savent pas s’exprimer. Au contraire : qui sait garder mieux la valeur de la langue sait mieux s’exprimer !

Gao XingJian dit de sa langue maternelle : ‘Tout est dans le ton’. On vient de voir dans l’introduction de la langue chinoise que les éléments prosodiques constituent un facteur décisif sur plusieurs niveaux : lexique, syntaxique et discursif. Rappelons la phrase de Gao ‘Les langues occidentales sont en général très strictes, très figées, tandis que la langue chinoise est extrêmement souple et subtile.’ C’est exactement ça.

Comme Matthey résume dans son ouvrage Apprentissage d’une Langue et Interaction Verbale, quand la culture de l’origine et la culture cible sont proches, l’apprenant a le besoin comparativement simple de ‘réaliser linguistiquement’ en L2 les tâches qu’il sait déjà faire en L1 ; quand les deux cultures sont éloignées, le travail d’apprentissage est plus exigeant puisque l’apprenant doit s’approprier d’abord les nouveaux ‘schémas’ en la langue cible — les différentes manières d’effectuer les tâches globales que sont les ‘formas’. Autrement dit, à cause de la grande distance interculturelle le transfert des connaissances de la culture et de la langue maternelle n’arrangent plus l’affaire.

Un apprenant adulte occidental du chinois a donc une tâche extrêmement ardue. Non seulement faut-il s’approprier les nouveaux schémas et formats, mais il faut aussi évoluer au fur et à mesure la représentation de la langue cible par contraste avec d’autres langues à ses connaissances pour éviter mieux le transfert négatif qui coûte parfois cher d’être substitué par les formes correctes.

L’appréciation de la culture cible et de son expression langagière a une grande valeur dans l’apprentissage par des adultes ; la psychotypologie doit englober un niveau culturel outre celui linguistique. L’appréciation et le rapprochement de la culture cible aideraient l’apprenant à raccourcir la distance psychotypologique par une empathie bénéfique et à alléger le fardeau d’apprentissage.