Chapitre IV Les stratégies dans le champ de l’apprentissage d’une langue étrangère par l’adulte

Introduction

Il est assez largement reconnu que les adultes ont un avantage de vitesse au début de l’apprentissage mais par rapport aux enfants le devoir d’apprentissage leur est beaucoup plus ardu et peu d’adultes peuvent arriver à un niveau des natifs (‘native-like’), surtout au sujet de l’accent.

Différentes théories examinent les activités et les stratégies cognitives et d’apprentissage chez l’enfant et chez l’adulte dans des perspectives variées et arrivent parfois à des explications controversées. Pour parler de manière simplifiée, ces points de vue se répartissent sur un continuum intitulé ‘Nature-Nourriture’ (‘Nature-Nurture’), ayant respectivement aux deux extrêmes la maturité neurologique qui est déterminée de manière innée et les facteurs externes tels que les données et l’exposition à la langue cible.

Snow rejette le choix d’un extrême au détriment de l’autre mais elle reconnaît l’utilité de s’interroger sur la proportion entre les deux sortes de facteurs puisque le partage de responsabilité entre les deux n’est pas statique.

Selon l’hypothèse de la période critique, dérivée de la biologie, l’appropriation d’une langue étrangère après la période critique est encore possible mais elle prend un chemin différent de celui qui est dit ‘naturel’. Une variation de cette hypothèse tient que la puberté marque la fin d’une période d’acquisition d’un accent natif malgré la possibilité encore d’une aisance (‘fluency’) dans la syntaxe et dans le lexique. La variation proposée par Seliger est une hypothèse de multiples périodes critiques pour différents aspects de la langue liées au perdu graduel de la plasticité du cerveau. En tous cas,

‘…le fait biologique d’être adulte suffit de constituer un obstacle insurmontable pour une acquisition complète d’une langue dans la plupart des cas. Il y a une base physiologique et des corrélations cognitives en correspondance pour cette incomplétude du système de L2 de l’apprenant adulte.’

(Seliger, 1978: 11. De ma propre traduction)

D’une part, la capacité même de construire des hypothèses abstraites entrave la capacité d’apprendre la langue de manière naturelle par simple exposition à l’environnement langagier. D’autre part l’apparition des opérations formelles à la puberté ont pour conséquences des changements de personnalité qui élèvent le ‘filtre affectif’.

Selon Krashen, le système appris consciemment sert à l’apprenant de Moniteur, dont la seule fonction est de surveiller et de changer la production langagière. Dans les conditions communicatives où le foyer est sur le message et non pas sur le code, les apprenants adultes manifestent le même ordre naturel d’acquisition de morphèmes que chez les enfants.

L’ordre naturel d’acquisition qui se lie à la construction créative comme chez l’enfant est largement dissimulé ; l’adulte s’appuie plutôt sur des opérations formelles dont la présence est tenace. (À propos, l’ordre d’acquisition du chinois est bien sûr tout à fait différent de celui d’une langue alphabétique.) La construction créative est plus évidente dans le cas où la psychotypologie voit la langue cible comme (presque) tout à fait différente du répertoire linguistique actuel.

Même si les conditions langagières de l’environnement permettaient à l’adulte une acquisition tout à fait naturelle et le sujet apprenant voulait dépenser autant de temps que l’enfant sur ce devoir, il ne voudrait ni pourrait réduire tout son être à celui de son enfance pour corréler pendant quelques années à son interlangue trop restreinte ! Si le début de l’acquisition d’une langue étrangère est toujours un peu ou très embarrassant, surtout si la LC est la seule langue vernaculaire, une raison importante est que le peu de matière linguistique disponible menace l’image de la personne et la qualité de sa vie sociale.

Pour remédier aux désavantages causés par l’âge, la mise en oeuvre des stratégies est tout à fait naturelle et nécessaire. Par exemple, des facteurs comme la motivation sont plus importants pour les apprenants adultes d’une langue étrangère que pour les apprenants enfants de la langue maternelle.

Les stratégies mises en œuvre par l’adulte dépend de toute une gamme de facteurs et de l’interaction entre eux (en compétition ou en complément): la maturité non seulement physiologique mais aussi sentimentale, la motivation et l’attitude, la LM, les connaissances du monde, l’environnement linguistique et social, le type d’instruction, la tâche d’apprentissage etc.

On vient de discuter dans les chapitres II et III sur la question d’accès continu aux universaux par l’adulte. Dans ce chapitre, on va prendre d’autres perspectives, celles de la cognition, de la psychologie, des conditions d’apprentissage et de communication. Dans la perspective cognitive nous examinerons particulièrement la question de mémorisation. En un deuxième temps, nous essayerons d’examiner et comprendre les stratégies d’apprentissage que les apprenants adultes mettent en œuvre. Ensuite, nous regarderons le côté psychosocial de l’apprentissage d’une langue étrangère, les menaces à l’image égocentrique des apprenants adultes et leurs stratégies pour sauver cette image.

Notre souci n’est pas de faire un inventaire complet de toutes les stratégies mais d’en examiner celles qui sont les plus liées à la fois aux apprenants adultes et au cas d’une langue/culture éloignée comme la langue/culture chinoise.