Le manque de sensibilité à son interlangue

Comparons les conditions générales d’apprentissage de la langue maternelle pour un enfant et celles d’une langue étrangère pour un adulte et nous comprendrons mieux pourquoi il faut une gestion de surcroît du filtre affectif chez l’adulte.

D’abord les données d’un enfant sont de très bonne qualité et sont pertinentes grâce à un entourage pertinent et aimant. Celui-ci est sensible au statut d’interlangue de l’enfant et lui fournit des données du type i + 1—où i représente la compétence actuelle et i + 1 le niveau immédiatement suivant—et garde une distance optimale entre i et i + 1. Cet entourage d’ailleurs emploie du langage enfant (‘child talk’) envers les petits apprenants.

Dans le cas des adultes, on voit un paysage très différent. D’abord les environnements sont souvent changeants et ils doivent alors faire face à des données assez variées. Cette variété même si importante pour répondre aux besoins linguistiques des adultes, accroît largement les difficultés d’apprentissage. Les natifs sont beaucoup moins volontaires à offrir aux étrangers adultes des données compréhensibles que des parents veulent le faire à leurs enfants : ils jugent pour les alloglottes la compréhensibilité de données et lui fournissent de la matière en conséquence. De plus, les contacts des alloglottes avec les natifs dans le milieu naturel sont souvent trop instables et éphémères pour ceux-ci d’être sensibles à l’interlangue des ceux-là.

Cette insensibilité parfois se dégrade à une indifférence aux besoins personnels des apprenants dans des institutions de langues—un phénomène bien réel qui mérite une sérieuse attention. Voici l’histoire d’une élève étrangère qui voulait prendre des cours de français dans une institution privée de langues qui est célèbre partout dans le monde. Elle a eu une très bonne note dans l’examen de positionnement qui comporte une petite partie de compréhension orale assez simple mais une grande partie grammaticale étalée jusqu’au niveau très avancé du passé simple et du subjonctif imparfait. Le personnel l’inscrivait dans une classe de littérature du plus haut niveau linguistique. La personne demandait d’assister à une classe de communication à un niveau plus modéré mais en vain car le personnel insistait en disant que son niveau était trop haut pour un tel choix. Les cours sont révélés trop durs pour la pauvre élève car il s’agissait principalement de discussions. L’élève éprouvait de beaucoup de stress dans le petit groupe alors qu’elle aurait pu mieux profiter de la classe si son propre choix avait été suivi !