2.3- Les raisons de l’évolution budgétaire

Les budgets accordés aux bibliothèques sont le résultat de propositions faites par les bibliothèques et encadrées dès le départ par des notes de service envoyées par les mairies. Celles-ci stipulent généralement, qu’il est souhaitable de maintenir les budgets ou de prévoir une augmentation qui ne dépasse pas 2% du budget précédent. Le budget est voté par le conseil municipal. En amont, il y a une commission budgétaire qui examine les propositions et au sein de laquelle une discussion s’établit entre l’adjoint aux finances, l’adjoint à la culture et les chefs de services. Dès lors, le budget est défendu à l’avance et la phase de vote du conseil municipal n’est souvent qu’un moyen d’entériner l’arbitrage préalablement résolu.

La bibliothèque est un équipement culturel qui coûte cher. C’est ainsi que nos interlocuteurs l’ont décrit. Ce qui explique les appels continus aux responsables des différents établissements, afin de maîtriser les dépenses par l’envoi renouvelé, chaque année, de leur lettre d’encadrement.

Par ailleurs, de nombreuses raisons nous ont été données pour préciser l’évolution du budget des bibliothèques. Elles rappellent les raisons et les logiques expliquant la place qu’occupent les bibliothèques au sein de la politique municipale, évoquées précédemment. En effet, en plus de l’intérêt personnel que porte l’élu à la lecture publique et des convictions politiques déterminant l’orientation et les objectifs et par ailleurs la part budgétaire d’une bibliothèque, maints autres facteurs sont à l’origine de cette évolution budgétaire.

Le tableau suivant, produit de notre enquête par questionnaire, les synthétise explicitement.

Tableau n°10 : L’explication des responsables des bibliothèques de l’évolution budgétaire :
  Nb. cit. Fréq.
Par un choix politique de la Ville 104 71,7%
Une situation économique de la ville 58 40,0%
Autres raisons 20 13,8%
Evolution des subventions 13 9,0%
Non -réponse 2 1,4%
TOTAL OBS. 145  

Nous nous arrêtons sur le rôle de l’Etat qui continue à être un acteur considérable dans la vie culturelle municipale. Pour 9% des bibliothèques, les subventions ont eu un rôle non négligeable, encourageant les élus à investir plus pour les bibliothèques. Maints projets, nous signalent nos interlocuteurs, restent en attente de connaître le taux des subventions.

Le classement décroissant des différents facteurs, intervenant dans la définition de cette évolution du budget, figurant dans le tableau 8, met en avant les choix politiques de la ville (71,7%) suivis de loin par les situations économiques des villes (40%). Mais, les réponses apportées aux questions ouvertes de notre questionnaire aussi bien que celles obtenues au moment des entretiens, nous permettent d’avancer que le deuxième facteur intervient pleinement dans l’orientation du premier. Le manque d'enthousiasme ou d’intérêt des élus dénoncé par certains bibliothécaires a été imputé, tant par les élus que par certains autres responsables de bibliothèque, à des raisons sociales et économiques. Ces deux facteurs sont indissociables aussi bien dans les discours que sur le terrain.

En effet, pour clarifier la position des élus, nous avons cherché à savoir s’ils ont manifesté des réticences envers des projets concernant la bibliothèque pour particulièrement identifier leurs raisons. De plus, nous nous sommes intéressés à savoir si le changement de couleur politique a une influence quelconque sur le financement des bibliothèques.

Dans 40% des bibliothèques enquêtées par questionnaires, certains projets avaient suscité la réticence et ont été reportés ou refusés par les mairies.

Tableau n°11 : La manifestation de réticentes municipales à soutenir certains projets
  Nb. cit. Fréq.
Non -réponse 5 3,4%
Oui 58 40,0%
Non 82 56,6%
TOTAL OBS. 145 100%

Un budget est un compromis entre ce qui est nécessaire et ce qui est possible. Le possible est déterminé par la mairie et la définition de ce qui est nécessaire est le résultat d’une réflexion du personnel de la bibliothèque. Et dans le cas avéré, les propositions refusées, commentent nos interlocuteurs élus, sont celles qui ne respectent pas ce compromis.

Pour tout arbitrage, la décision sera celle des élus. Les paramètres paraissent souvent d’ordre financier. Ainsi, toute définition de projet doit nécessairement être raisonnée quant à la capacité budgétaire de la ville.

‘« On ne peut faire que la politique de ses moyens. » A61’ ‘« De temps en temps, on n’accorde pas les sommes demandées car on n’a pas de moyens supplémentaires…l’objectif, ici, est d’abord de donner les moyens pour fonctionner. » V78’

Les réticences que manifestent certains responsables politiques trouvent leurs explications principalement dans la lourdeur des coûts d’investissement et de fonctionnement des projets proposés par les bibliothèques, ainsi que les problèmes budgétaires auxquels les mairies font face. Ce qui explique l’ordre décroissant élaboré à partir des réponses obtenues par le questionnaire concernant la réticence des mairies. En fonction décroissante du pourcentage de réponses, la réticence des mairies concerne :

  1. La création ou l’agrandissement des bâtiments : le refus se manifeste, en premier lieu, pour les projets de création d’une médiathèque ou d’une discothèque ou encore d’une annexe et en second lieu pour l’agrandissement, la transformation, la restauration des bâtiments. Nombreux sont les responsables de bibliothèques qui nous ont signalé un véritable besoin pour un espace plus vaste en raison de l’accroissement du fonds documentaire, le manque de places assises, le besoin d’une salle d'étude ou d’une salle multimédia, etc.
  2. La rénovation du mobilier ou le renouvellement du matériel informatique
  3. La réinformatisation et l’introduction des nouvelles technologies (l’accès à Internet et la numérisation des fonds anciens : jugé « prématuré, trop coûteux » )
  4. La création de postes : le refus de créer des emplois permanents, de nommer du personnel qualifié, etc. « Beaucoup d’énergie fournie pour obtenir des professionnels au moment des nouvelles embauches. »
  5. Le développement et la création de services : l’élargissement des supports proposés (CD, CDROM, le développement de la vidéothèque), l’organisation d’animations ou d’expositions, l'ouverture d'un service de prêt, le développement de certains services précis : par exemple, d’une station de travail pour les aveugles, etc.

Par ailleurs, il apparaît que la succession des municipalités d’une couleur politique à une autre, socialiste, communiste ou RPR etc, s’accompagne d’un changement des orientations politiques qui entraîne des perturbations financières.

Tableau n°12 : L'influence du changement politique
  Nb. cit. Fréq.
Non -réponse 90 62,1%
Sur le budget accordé à votre bibliothèque 27 18,6%
Sur les activités et la nature des services 20 13,8%
Pas d'influence 21 14,5%
TOTAL OBS. 145  

32.4% des bibliothèques enquêtées par questionnaire nous signalent que le changement politique a eu de l’influence soit sur le budget qui leur était accordé (18,6%), soit sur la nature de l’offre (13,8%). Les idées, les projets et les priorités culturels sont différents et varient d’un élu à un autre au sein même de la même municipalité. Certaines mairies ont décidé d’investir plus pour la culture et notamment pour les bibliothèques. Elles ont permis, d’un côté, la concrétisation de certains projets : la création d’une médiathèque, d'une discothèque, d’une annexe, la constitution d'un fonds de CDROM, la création d'un service d'animation ; et d’un autre côté, ont accordé une augmentation de budget, initié le développement de services (multimédia), autorisé des recrutements, ont exporté l’action de la bibliothèque davantage hors de ses murs : dans les quartiers et les écoles, vers le développement d’actions ciblant la petite enfance, etc.

A contrario, d'autres mairies effectuent beaucoup de contrôles et demandent beaucoup de justifications et d’arguments pour délivrer des crédits. Les budgets accordés ont connu une baisse ou une stagnation et parfois une suppression totale comme le cas d’une bibliothèque dont le budget d'acquisition a été suspendu pendant un an. On note dans certains cas le non-remplacement des agents, la réduction généralisée des dépenses de personnel et l'embauche de personnel non qualifié.

Par ailleurs et à travers l’ensemble des éléments de réponses fournies, nous pouvons conclure que la lecture publique n’a pas de couleur politique particulière puisque nous avons constaté une continuité des choix et des décisions politiques envers les bibliothèques malgré le changement politique et a contrario, une continuité de couleur politique mais un changement des décisions et des choix envers la culture et principalement envers la bibliothèque. De ce fait, la même couleur politique peut influer d’une manière positive ou négative sur le financement des bibliothèques. Par ailleurs, il est impossible d’avancer que les bibliothèques municipales sont plus développées dans les villes de gauche que dans celles de droite ou l’inverse. Ainsi, il semble que de nombreux élus ont compris l’enjeu de la lecture publique, mais que plus encore, n’en sont pas convaincus, probablement davantage par défaut d’information et/ou au vu d’autres facteurs majeurs tels que la situation économique de la ville. Dés lors, il est à signaler, chose constatée, l’importance du rôle joué par les bibliothécaires en défendant leur métier.

‘« Je ne pense pas que c’était la couleur politique qui influe le plus c’était plus la personnalité de la personne. » V59’ ‘« Avec l’ancienne municipalité (PC/PS), le dialogue était strictement impossible et au printemps 1995 il y a eu un changement complet de couleur politique soit, RPR et c’est pareil, un désintérêt complet pour la bibliothèque…Je n’avais pas d’interlocuteur. » B18’

En outre, si les budgets stagnent ou diminuent, les promesses d’un avenir meilleur ne cessent d’être répétées. Maints projets sont à inaugurer dans un futur proche ou en cours de réalisation : l’agrandissement de la bibliothèque, le projet d’une médiathèque, le projet de bibliobus, le renouvellement, l’enrichissement et la diversification des collections, l’ouverture aux nouvelles technologies, la numérisation des fonds, l’accès Internet, la mise en réseau au niveau local et au niveau de l’agglomération, etc.