2.2.5- L’évaluation

L’évaluation a débuté dans les années 60 aux USA dans un contexte économique affecté par une baisse des crédits. Cependant, elle n’émerge en France que dans les années 80 à la suite de la circulaire Rocard du 23 février 1989 sur le renouveau du service public. Elle a fait l’objet de très nombreuses publications et travaux de recherche. La majorité des auteurs associent ce terme à la gestion, au pilotage de l’action et à la décision. Annie Bartoli (1997) l’expose comme un miroir nécessaire permettant à l’organisation publique de modifier régulièrement son action pour répondre au mieux aux besoins d’intérêt général et respecter l’un des principes fondamentaux du service public, à savoir celui de la mutabilité (adaptation à l’évolution des besoins). Ainsi, l’évaluation est devenue l’un des maîtres mots de la modernisation du secteur public et toute politique reconduite sans évaluation, affirme Pierre Moulinier (1994), condamne à l’immobilisme et au gaspillage.

L’évaluation se veut d’abord une démarche de management utile à la décision. Elle se fonde sur la comparaison entre les objectifs et les résultats. Elle permet de porter un jugement sur l’adéquation entre les objectifs, les moyens et les effets de l’action et par ailleurs de prendre une décision rationnelle. « L’évaluation est un outil de gestion qui permet au personnel d’une bibliothèque de préciser dans quelle mesure le service documentaire satisfait les besoins de la clientèle, d’identifier les lacunes dans les services offerts, puis d’apporter des mesures correctives destinées à résoudre les problèmes ainsi mis en évidence » (Lajeunesse 1984 67 ), c’est pourquoi, elle représente un outil de pilotage de la gestion interne. Roland Ducasse 68 la décrit comme un outil de rationalisation des choix budgétaires et d’optimisation des ressources. Elle permet de montrer aux agents les effets et les coûts de leurs pratiques et de les responsabiliser.

Elle permet au personnel d’évaluer l’impact des actions pour les réajuster et maîtriser les coûts d’exploitation ; à l’autorité politique de mesurer les résultats obtenus et d’apprécier la pertinence des moyens accordés suffisants, insuffisants et/ou excessives ; à la population de juger si la bibliothèque remplit le rôle qui lui a été assigné, et si elle mérite bien les moyens que la collectivité lui accorde.

Cependant, certains auteurs reconnaissent à l’évaluation une autre finalité que la finalité managériale. Ils l’introduisent comme outil de légitimation et de défense. La bibliothèque est une organisation en relation étroite avec une tutelle à laquelle elle doit des comptes. De ce fait, l’évaluation peut être, donc, une mise en scène d’informations pour soutenir ses projet, pour justifier son existence et légitimer ses actions afin d’assurer la pérennité de leurs fonctions. Dans un tel système bureaucratique, l’évaluation restera menacée par des approches maximalistes conduites par les professionnels. C’est dans cette optique que les évaluations des bibliothèques et de leurs services ne peuvent être la base unique de la prise de décision. Et c’est pourquoi A. Mayère et F. Muet (1998) trouvent que les résultats d’évaluation sont peu pertinents pour pouvoir être exploités dans le pilotage de la bibliothèque. L’évaluation est un moment nécessaire mais insuffisant à lui seul. Elle doit être intégrée dans une démarche qualité globale.

Dès lors, l’évaluation peut être à la fois un outil de gestion, de pilotage, d’orientation et un outil de répression, de justification, de légitimation. Il semble que la place et le rôle que l’on attribue à l’environnement et à ses relations avec la bibliothèque qui déterminent la finalité de l’évaluation. Cette dernière est un outil de gestion interne dans un environnement neutre et stable, mais devient outil de communication politique lorsque l’environnement est considéré comme adversaire ou concurrent 69

Par ailleurs, la performance d’un service ou d’une action ne peut être atteinte qu’en assurant la cohérence entre les objectifs, les moyens et les résultats, les trois composantes de tout système de production. Dès lors, « il faut entendre la définition de l’évaluation dans une succession de trois mouvements. Le premier est celui de la détermination des objectifs d’une action : où veut-on aller ? Celle-ci revêt, à la fois, des aspects organisationnels et opérationnels. Le second est celui de la collecte et de l’analyse des résultats de cette action. Enfin, le dernier mouvement est celui de l’appréciation de ces résultats et de l’écart, éventuel, entre ce qui était recherché et ce qui est atteint : est-on parvenu au but ? » 70

Les rapports entre les objectifs, les moyens et les résultats ont permis, d’une part, la définition des critères d’évaluation. En outre, la littérature consacrée à l’évaluation fait en permanence référence aux critères de :

Dès lors, l’évaluation ne se réduit pas au contrôle des actions et par ailleurs elle ne se limite pas à l’analyse des résultats afin de mesurer la réussite ou l’échec d’un projet. Elle peut intervenir tout au long de l’accomplissement d’une activité pour imposer des actions correctives. De ce fait, elle peut précéder le lancement de toute action afin de déterminer sa faisabilité.

D’autre part, ils ont permis la distinction des niveaux et des approches différentes de l’évaluation. La littérature fait souvent référence à la macro et la micro évaluation. La première approche s’attache aux effets des actions sur l’environnement ; quant à la seconde, elle s’attache à un examen détaillé des performances d’un système, à un suivi permanent du fonctionnement, à mesurer les résultats obtenus. De son côté Lancaster 73 distingue trois niveaux d’évaluation :

En outre, pour le développement de la pratique de l’évaluation au sein des bibliothèques, certains préalables sont indispensables :

Notes
67.

Cité par C. Ollendorff .- Construction d’un diagnostic complexe d’une bibliothèque académique, thèse de doctorat, ENSAM, 1999, p68

68.

Cité par Jocelyne Gazagnes .- L’évaluation dans les bibliothèques publiques, outil de pilotage ou de légitimation, ENSSIB, mémoire de DEA, 1993, p12

69.

Jocelyne Gazagnes .- L’évaluation dans les bibliothèques publiques, 1993, opcit, p15

70.

Anne Kupiec .- Bibliothèques et évaluation .- Paris, éd du cercle de la librairie, 1994, p9

71.

Cite par Beverly P. Lynch .- Mesures et évaluation des bibliothèques publiques .- In : 64ème conférence générale de l’IFLA, Août 16-21, 1998, p3

72.

Cité par Françoise Benhamou .- Questions posées par l’économie publique aux bibliothèques.- In : Economie et bibliothèques .- éd. du cercle de la librairie, 1997, p152

73.

Cité par Jocelyne Gazagnes .- L’évaluation dans les bibliothèques publiques, 1993, opcit, p15

74.

Anne Marie Bertrand .- Bibliothèques municipale : la carte et le territoire .- In : Bibliothèques et évaluation/ sous la dir. De Anne KUPIEC .- Paris, éd du cercle de la librairie, 1994, p60