1- Origines et évolution de la décision tarifaire

Le débat sur la tarification des services publics et, en particulier, dans les bibliothèques a débuté en premier lieu aux USA avant d’immigrer en Europe où il a connu son épanouissement en Angleterre dans les années quatre-vingt avec la politique de privatisation guidée par Madame Thatcher.

Différents facteurs sont ainsi à l’origine de la tarification des services offerts par les bibliothèques ainsi que de sa prolifération. Ils sont principalement d’ordre économique et technologique. Ces derniers se manifestent par :

  • la crise économique des années 70 qui a frappé de plein fouet le secteur public. Ainsi, l’Etat s’est retrouvé dans l’impossibilité d’assurer la totalité des dépenses publiques, engageant un retrait progressif et, par conséquent, encourageant l’intégration de la logique privée, de la logique commerciale, favorisant la solution tarifaire.
  • la naissance du secteur privé de l’industrie de l’information et l’évolution permanente des nouvelles technologies de diffusion de l’information (apparition des nouveaux supports d’information, des bases des données commerciales, des serveurs, etc.) qui ont, d’un côté, rendu plus acceptable l’idée que l’information soit un produit qui puisse se vendre et de l’autre côté, ont engendré une augmentation constante des coûts (matériels, personnel, etc).
  • l’explosion documentaire et l’impossibilité d’une satisfaction pertinente et exhaustive vu la croissance des coûts et la baisse des budgets dont les augmentations s’avèrent insuffisantes pour couvrir entièrement les coûts induits. De plus, les coûts de traitement de l’information sont élevés et ne peuvent pas être baissés. Ainsi, de nombreuses bibliothèques ont été forcées d’imposer des frais aux usagers afin de récupérer, au moins partiellement, les coûts reliés à certains services et ainsi permettre leur continuité.
  • le souci de la qualité des services offerts : en s'inspirant de certains travaux, essentiellement dans le domaine du spectacle vivant, la tarification fût parmi les solutions proposées permettant de contourner le problème de la baisse de qualité. 82
  • la tendance des bibliothèques à s’ouvrir à toutes les innovations techniques et à devenir des institutions actives allant au devant des besoins des usagers, qui a conduit les bibliothèques à tenter de répondre par elles-même à des demandes trop larges plutôt que de se concevoir de façon complémentaire à l’infrastructure éducative, sociale, culturelle et de loisirs qu’offre leur environnement. Phénomène que Daniel Eymard (1997) nomme la dynamique de déséquilibre. Elles se retrouvent ainsi victimes de leurs développements qu’elles ne peuvent plus assurer sans ressources supplémentaires, absentes du budget communal.

Ces diverses raisons ont ainsi incité de nombreuses bibliothèques à remettre en question cette philosophie de liberté d’accès à l’information. Dès lors, la mentalité de la gratuité des services qui était jusque-là la caractéristique dominante des services offerts au sein des bibliothèques connaît une profonde mutation au profit d’une véritable politique de tarification.

Cette tendance s’est aussi généralisée au niveau de la position des organisations officielles. En effet, les textes de références sur lesquels le principe de la gratuité des bibliothèques publiques s’appuie, ont connu une réelle révision, ouvrant la porte à la tarification. Nous abordons en premier lieu la position de l’UNESCO dont le Manifeste de 1972 a connu une modification réelle. Ainsi, sa position pour une bibliothèque publique financée en totalité par l’État ou les collectivités locales et dont les services ne doivent donner lieu à aucun paiement de la part de l’usager, est encore maintenue. Cependant, elle n’est plus absolue. Elle a connu une certaine régression avec le Manifeste de 1994 : « Les services de la bibliothèque publique sont en principe gratuits. La bibliothèque publique doit être financée par les autorités publiques, nationales ou locales. »

De même, le Conseil Supérieur des Bibliothèques débute sa charte (adoptée le 7 novembre 1991) par la nécessité d’une bibliothèque pour l’exercice de la démocratie et son obligation d’assurer l’égalité d’accès à la lecture et aux sources documentaires. « Les bibliothèques qui dépendent des collectivités publiques sont ouvertes à tous. Aucun citoyen ne doit être exclu du fait de sa situation personnelle. » Ainsi, la bibliothèque publique est appelée à éviter les exclusions sociales qui peuvent être symbolisées par l’imposition d’un tarif. Cependant, dans l’article 6 de sa charte, le CSB exige la gratuité de la consultation sur place des catalogues et des collections en donnant la possibilité de tarifier le reste des services offerts par une bibliothèque.

Ajoutons à ceci le vide juridique que vit le secteur des bibliothèques. En effet, il n’y a jamais eu de textes de loi imposant la gratuité totale ou partielle ou déterminant des bornes à la tarification. Selon le discours de Catherine Tasca 83 autour du droit de prêt, il appartient aux collectivités, dans le cadre de leur liberté d’administration, d’arbitrer tout ce qui concerne le financement des services publics entre contribuables et usagers. Dès lors, au nom de la décentralisation, la DLL n’a pas fournit de normes. Les différents discours se sont ainsi limités aux recommandations. Effectivement, « la gratuité des services publics n’est pas un principe reconnu par le droit mais une affaire de circonstances [économiques et politiques] et de traditions. » 84

La situation française est fort différente de celles de l’Europe du nord où la gratuité des bibliothèques est inscrite dans la loi, ainsi que de celles des USA où la majorité des États ont imposé la gratuité des services de base dans les bibliothèques (inscription, lecture sur place, prêt). Il en est de même pour l’Australie et plusieurs provinces du Canada. En l’absence de loi, c’est aux collectivités de décider si l’usager doit être impliqué dans le financement des bibliothèques et d'en déterminer l'ampleur.

Notes
82.

Hilda Baumol .- L’avenir de théâtre et le problème des coûts du spectacle vivant .- In : L’économie du spectacle vivant et l’audiovisuel : colloque international, Nice, 1984 .- Paris : documentation française, (s.d), p 39-70

83.

Catherine Tasca .- http://www.gouv.fr/cultur…es/conferen/tasca-droitdepret.htm .- consulté le 02/03/01

84.

Hertzog cité par Daniel EYMARD .- La tarification des services dans les bibliothèques publiques : rapport de thèse .- Enssib, 1994, non publié, p15