6.2- La décision tarifaire : concertation ou obligation

L’analyse de notre questionnaire nous a permis de constater, d’une part, que la tarification constitue une décision imposée par la municipalité pour 23,1% de nos enquêtés. Ces derniers trouvent qu’il ne peut y avoir de concertation entre la bibliothèque et la mairie. La décision de la tarification ou les modifications de tarifs sont ainsi imposées.

‘« C’est une affaire qui relève strictement des politiques et pas de nous. On ne me demande pas mon avis. » P86’

D’autre part, la décision de la tarification a été adoptée en concertation entre la mairie et la bibliothèque pour la majorité des bibliothèques payantes (70,9%).

Tableau n°22 : La concertation entre la mairie et la bibliothèque pour la décision tarifaire
  Nb. cit. Fréq.
Oui 83 70,9%
Non 27 23,1%
Non -réponse 7 6,0%
TOTAL OBS. 117 100%

En effet, à maintes reprises, nous avons remarqué la conjonction des opinions des responsables des bibliothèques avec celles de leurs tutelles. En plus de leur accord sur la nécessité de responsabiliser les usagers, la situation économique de la ville et le niveau socio-économique des citoyens représentent un des facteurs importants dans le rapprochement de la position des bibliothèques à celle de leur tutelle. Souvent, l’ancienneté de la décision qui remonte parfois à plus de 50 ans, l’importance des recettes recueillies et la garantie des tarifs différentiels selon les catégories des usagers rendent difficile un retour en arrière sur une telle décision même pour les professionnels.

‘« Je suis partisane de la gratuité mais c’est difficile de changer une décision qui a 50 ans. Cela dit, la tarification a été aménagée pour ne pas freiner la fréquentation … Certains disent que ça revient plus cher de gérer les recettes de la tarification. Dans notre cas c’est faux. On a quelqu’un qui est employé a mi-temps qui gère les recettes et elle ne fait pas que ça. Cette personne ne coûte pas 1.4 millions par an. » A74’

Certains d’entre eux sont entièrement pour le principe de la tarification. Cependant, rares sont les cas où le passage de la gratuité à la tarification était la suggestion du personnel de la bibliothèque. Les objectifs dans les deux cas cités étaient de freiner le prêt à domicile et d’harmoniser les procédures entre les différents membres dans le cadre d’un réseau. Par ailleurs, si l’avis des responsables des bibliothèques est sollicité lors du débat sur la mise en place d’une tarification des services, à l’inverse, pour ce qui serait du retour à la gratuité, seules les mairies ont alors compétence.

Cependant, il ressort des explications fournies par nos enquêtés que la concertation ne porte que sur la définition des tarifs et non sur le principe même de la tarification.

De plus, la concertation qui a eu lieu autour de la tarification révèle un débat tendu entre le personnel de la bibliothèque et sa tutelle. La fixation des tarifs s’effectue en fonction des propositions tarifaires présentées par les responsables des bibliothèques qui seront, par la suite, validées ou modifiées par le conseil municipal. Il s’agit, dès lors, d’un travail entre deux acteurs dont la collaboration demeure indispensable. Cependant, les propositions du personnel ne représentent qu’un support d’information modifié en intégrité dans la majorité des cas.

‘« L’ancien conservateur a fait plusieurs propositions qui ont été mélangées pour aboutir à une solution qui est une usine à gaz. Nous avons 25 tarifs différents. » R42’

En revanche, certains de nos interlocuteurs responsables des bibliothèques confirment que leur acceptation de la tarification d’un service avait pour but de préserver la gratuité d’un autre service ainsi que pour garantir le budget des acquisitions.

‘« On a accepté un prêt de disques payant pour obtenir de la lecture gratuite. » ’ ‘« Si c’est avoir la gratuité mais avoir des crédits d’acquisition qui sont très bas, il vaut mieux tarifer. » P86’

Le débat sur la gratuité n’est pas encore tranché pour les bibliothécaires. Le langage social accompagne clairement celui de l’économie dans leurs discours. Ils continuent à défendre la gratuité par le développement de multiples exonérations en fonction de l’âge du lecteur et de son statut social et par l’exigence de tarifs non dissuasifs. En effet, ils demandent :

La tarification reste, pour certains d’entre eux, une forme de double taxation dans la mesure où le financement des bibliothèques est assuré par les impôts. De plus, elle instaure une forme de discrimination et une menace pour certains énoncés de principe, à savoir le droit d’accès de tout citoyen à l’information étant donné que l’accès dépendra de la capacité de paiement de chacun. Elle entraîne une augmentation des coûts et une dégradation de la qualité, compte tenu de leur mobilisation pour des tâches non productives (facturation), etc.

Ils continuent, dès lors, à négocier les tarifs et à jouer leur rôle pour atténuer les répercussions de la tarification.

En effet, la tarification est de plus en plus appliquée de façon différenciée pour satisfaire des contraintes et des objectifs précis. Cette différenciation semble être la résolution du débat entre la tarification et la gratuité. Elle reflète la stratégie dualiste dans laquelle s’inscrit toute bibliothèque, tiraillée par les deux principaux protagonistes qui interviennent dans la prise de décisions, les responsables des bibliothèques d’une part et les responsables politiques d’autre part. Ainsi, elle est fondée sur la logique publique à laquelle toute bibliothèque publique doit se conformer en assurant un accès libre, sans discrimination et sans contrainte budgétaire, ainsi que sur la logique du marché à laquelle elle est soumise, en réalisant des prestations qui entraînent une redevance de la part des usagers afin de couvrir les dépenses. C’est probablement en choisissant cette stratégie que les bibliothèques peuvent assurer la conciliation entre leur mission de service public et la réalité du marché de l’information dans lequel elles s'inscrivent.