6.6- Les effets et les réactions

Les éléments de réponses portant sur les effets de la tarification ont aussi permis, d’une part l’extraction d’un certain nombre de critères à considérer pour suivre et réussir une politique tarifaire et d’autre part la mise en avant de certains d’entre eux. Dès lors, les effets soulevés se concentrent principalement autour de la fréquentation. La tarification a causé la désertion de la bibliothèque. Maints de nos interviewés confirment que la tarification joue un rôle non négligeable pour la population desservie qui, de ce fait, diminue en dessous de la moyenne nationale et ce, malgré l’existence d’une médiathèque et des bibliobus qui circulent dans les quartiers. Leurs usagers s’inscrivent moins, soit parce qu’il faut payer, soit parce qu’ils trouvent que les prix sont trop chers. De plus, la démarche exigée par une inscription paraît parfois lourde et dérangeante (fiche d’impôt, etc.) pour une activité liée à la lecture. La gratuité constitue donc réellement un motif de satisfaction et d’encouragement du public.

‘« On avait 23 mille inscrits et maintenant on en a 21 mille. Je suis persuadée qu’on avait tous les membres de la famille. Maintenant, on n’a que certains membres. » B18’ ‘« Pour la discothèque, j’ai passé 3 heures à expliquer le fonctionnement de la discothèque à deux jeunes et quant ils ont su qu’il faut payer 40 francs pour l’inscription, ils ont posé les disques et sont partis. » M93’

En outre, la soumission des citoyens de la ville à une tarification plus élevée et, par conséquent, la soumission des usagers extérieurs à une tarification de fait encore plus élevée, sans avoir l’objectif d’éloigner ces derniers, a entraîné leur désertion.

‘« Depuis l’ouverture de la médiathèque, le public extérieur a été soumis à des tarifs plus élevés. Avant l’ouverture de la médiathèque, on était 50/50, moitié de la ville et moitié de l’extérieur et depuis la mise en place des tarifs différentiels, c’est 25/75. » V59’

Par conséquent, cette désertion du public extérieur à la ville satisfait la tutelle aussi bien que les usagers locaux dont les livres restent à leur entière disposition.

‘« Il y a eu des rapports qui ont été faits : que la décision a un effet sur la fréquentation, qu’on a moins de gens des villages et plus de gens de notre ville et comme les prêts n’ont pas chuté, ça a satisfait tout le monde. Tant mieux, ça profite aux citoyens de la ville, nous a répondu la mairie. » B34’

En revanche, certains responsables nous confirment que la tarification n’a pas eu d’effet sur le taux d’inscription. Du moment que la qualité de l’offre documentaire les satisfait, les gens continuent à s’inscrire.

‘« La tarification n’a pas influencé la fréquentation. Cette dernière connaît une hausse annuelle selon les services, entre 5 et 10% ininterrompu depuis 1994. » V59’ ‘« La tarification n’a pas freiné la fréquentation de la bibliothèque. Nous sommes en première position pour les bibliothèques les plus prêteuses de France et en deuxième position pour le taux d’inscrits par habitant. » A74’

La différence de tarif entre les supports (imprimés et multimédias) n’a pas de répercussion sur l’utilisation. Le prêt dominant du livre s’explique par la richesse des fonds imprimés et les habitudes de lecture des usagers qui s’intéressent toujours au support papier.

Par ailleurs, la tarification a engendré une certaine exigence de la part des usagers et un changement de comportement. Ils réagissent, de plus en plus, dans une logique commerciale. La nature de la relation les liant à la bibliothèque a ainsi été modifiée.

De plus, le deuxième effet majeur constaté est la charge de travail supplémentaire et les coûts de régie qu’elle engendre. L’encaissement, la préparation des souches, le contrôle des recettes, le suivi des amendes, la photocopie des documents, constituent ainsi de nouvelles tâches imputées aux bibliothécaires.

‘« Tout doit être inscrit pour le trésor public… Pour le personnel, c’était difficile de gérer ça… de faire des souches pour une ou deux feuilles photocopiées, etc. » V94’ ‘« Elle a augmenté la charge de travail du personnel... J’avoue que si c’était gratuit ça serait bien, ça ferait une lourde charge d’encaissement en moins, etc. » V59’ ‘« Les prêts génèrent des retards, sanctionnés par des pénalités prévues au règlement, 15% des prêts sont en retard, soit environ 13 826 courriers sur l’année. » A61’

Ajoutons les coûts supplémentaires liés à l’achat du matériel nécessaire telles que les imprimantes à carte. En effet, la charge et les coûts engendrés par la tarification, les prix exorbitants du matériel nécessaire, tant à l’achat qu’à la maintenance et la complexité de la démarche, ont conduit certains responsables à abandonner l’idée de la tarification de certains services.

‘« Avant c’était payant même pour les habitants de la ville, mais ça représentait beaucoup de boulot pour faire des reçus et pour les apporter à la perception pour pas grand chose. C’était en 1991, l’adjoint à la culture a dit « ok » on supprime pour les habitants de la ville et depuis, c’est redevenu gratuit. » V69’ ‘« J’ai passé 3 mois à me renseigner auprès des fournisseurs afin de trouver un système permettant d’identifier le nombre de pages imprimées par lecteur et tout en gérant les différentes catégories des usagers… le prix était très élevé aussi bien à l’achat qu’à la maintenance…Ça ne sert à rien de mettre un dispositif qui va finalement nous coûter trop cher. » V94’

En outre, l’offre documentaire proposée par certaines bibliothèques et les tarifs pour pouvoir en bénéficier ont provoqué dans certaines villes le mécontentement de certains commerçants locaux (les propriétaires des cybercafés, des vidéoclubs, des libraires, etc.). Ceci a conduit les bibliothèques soit à s’aligner avec leurs tarifs, soit à supprimer ou à renoncer à la création de certains services. L’exemple souvent cité est le service Internet. Les besoins des usagers dépassent largement l’initiation à l’usage. Cependant, des formations au sein des bibliothèques n’apparaissent pas souhaitable. Elle reste de la compétence des organismes de formation établis sur la ville. C’est pourquoi certains de nos interlocuteurs témoignent d’un évident recul du service public.

Dès lors, à partir des constats que nous avons effectués à la fois de la littérature et au cours des enquêtes que nous avons menées, nous avons élaboré le tableau récapitulatif sur les différents effets de la tarification sur les composantes d’une bibliothèque.

Tableau n°24 : Les atouts, les contraintes et les inconvénients d’une politique tarifaire au sein des bibliothèques
Tableau n°24 : Les atouts, les contraintes et les inconvénients d’une politique tarifaire au sein des bibliothèques