3.2- Les BM et le secteur privé : intérêt et réticence

Le recours au privé reste rare. Il ne fait pas partie des coutumes des bibliothèques enquêtées. Il prend particulièrement la forme de dons de livres. Le parrainage commence à peine à rentrer dans les mœurs dans certaines villes. Il s’emploie dans le cas de manifestations culturelles spécifiques ou de grands projets. L’Etat et en particulier le Ministère de la Culture, reste, donc, le principal partenaire des bibliothèques municipales. Certains élus ont manifesté un refus total pour toute aide ou intervention venant du secteur privé, pouvant soutenir leurs actions ou activités. En revanche, d’autres élus ont exprimé un intérêt particulier pour le recours au privé et se sont personnellement investis afin d’encourager les entreprises résidentes dans la ville à soutenir la lecture publique. Dans ce cas, si les aides privées, mécénat ou parrainage restent rares, c’est parce que les entreprises ne s’intéressent pas à ce domaine et n’y voient pas d’intérêt. Leurs interventions se manifestent, particulièrement, dans le cas de manifestations culturelles spécifiques tel que les festivals à ampleur internationale de certaines villes.

‘« Dans ce mandat là, on a pensé à des contributions du privé envers l’action publique. Ça fait partie des choses qu’on doit travailler davantage. Ce n’était pas dans les mœurs. Il faut convaincre les entreprises à se tourner vers la collectivité publique et ça ne va pas de soi. » M93’ ‘« Je serais pour toute opération de sponsoring mais je n’y crois pas pour une ville de province car il n’y aura pas de retour…Les mécènes ou les sponsors veulent attacher leurs noms à quelque chose de prestigieux…On n’a jamais eu un mécène qui a dit qu’il a envie de nous donner de l’argent pour la bibliothèque…d’ailleurs c’est la raison pour ne pas développer une telle procédure. » [M93, B18, V78]’

Les opérations de parrainage commencent timidement à apparaître et ce, particulièrement dans les villes dont le nombre de la population dépasse largement les 50 000 habitants. En effet, l’étendue, la place et le rayonnement de la ville dans le département ou dans la région a représenté, selon les explications apportées, un critère encourageant l’investissement des entreprises privées.

Par ailleurs, les bibliothécaires, de leur côté, sont tentés mais cependant restent méfiants. Ils semblaient, encore aujourd’hui, réservés à l’égard du mécénat en provenance des entreprises ou de toute opération de parrainage. Leur acceptation se limite aux dons d’ouvrages et au parrainage des actions qui s’effectuent par des associations à but non lucratif. D’ailleurs, les exemples cités sont rares et relèvent des relations et des intérêts personnels.

‘« Dans ma carrière j’ai connu deux mécénats : le premier pour faire une reliure originale, c’était le fils du maire adjoint qui travaillait dans une entreprise de la ville et le deuxième pour l’achat d’un livre d’or qui coûtait 800 milles francs. Une personne a donné 150 milles francs pour l’acheter car un an plus tôt on avait fait un expo sur son frère et c’était un moyen de reconnaissance. » V78’ ‘« Une fois on a reçu une aide d’un sénateur, ancien maire mais rien d’autre. » V94’

Les aspects idéologiques et culturels ont eu un rôle déterminant dans la réticence, aussi bien des bibliothécaires que des responsables politiques, à s’adresser au secteur privé (entreprises ou individus), pour financer certains projets au sein des bibliothèques. Le service public doit être assuré par de l’argent public. Seul l’Etat a le devoir d’aider le développement culturel parce qu’il est partiel. Le fondement de la participation de l’Etat ou des collectivités est sans doute le service public. Cependant, toute aide privée ne peut être neutre et ne peut avoir réellement un tel fondement. Ils ne croient pas à une intervention financière privée qui ne requiert pas une contrepartie de la part de la bibliothèque. La crainte de lier la bibliothèque à une marque, à une entreprise privée, laisse le personnel aussi bien que sa tutelle hésitant face à un tel recours. La relation contractuelle associée au parrainage missionne la bibliothèque, qui doit alors diffuser le nom du parrain au sein de la bibliothèque. Le soutien est en effet conditionné par des besoins publicitaires ayant pour objectif l’amélioration de l’image du parrain et cette mission est rejetée par la majorité des responsables politiques et professionnels. L’idée d’afficher le logo d’une entreprise privée dans l’enceinte d’une bibliothèque publique n’est pas encore admise. Dès lors, l’idée d’une administration publique « pure et dure » régissant, la plupart du temps leur mentalité, les dissuade d’initier de tel recours.

Aussi, l’inexpérimentation et des craintes d’ordre culturel les découragent à accepter une intervention privée. Ils redoutent une intervention ou une influence sur leurs programmes ou projets.

‘« Je n’ai jamais fait de démarches pour obtenir des aides privées, d’une personne physique ou morale...On n’a pas cette culture là de tout… on n’a pas encore l’habitude, contrairement aux bibliothèques anglophones. » B34, A92’

Vient s’ajouter la crainte de voir l’Etat et les collectivités réduire leurs subventions en prenant argument de l’aide apportée par le mécénat.

Pour ces différentes raisons, les tentatives restent, ainsi, timides. Les exemples, évoqués par nos enquêtés ayant fait appel à des entreprises pour parrainer certaines actions, se résument par les cas suivants : le premier responsable de bibliothèque a fait parrainer ses animations littéraires par une société qui fabrique des stylos de luxe. Il offre un stylo de luxe pour tout auteur intervenant. Le deuxième est parrainé par des imprimeries braille pour sa section « Braille ». Le troisième a eu recours à un marchand de tissu pour décorer un meuble de la bibliothèque. Mais sa demande a été rejetée par la tutelle de la bibliothèque. En effet, l’accord des décideurs politiques pour le développement d’un tel recours demeure indispensable.

‘« Une telle décision revient plus aux décideurs…je m’adresse à des entreprises pour me sponsoriser et, en contre partie, je fais de la publicité, ça je ne peux pas le décider seul ; il faut l’autorisation de ma hiérarchie et en plus il faut que je trouve la société qui soit intéressée. Et même si je trouve, je ne sais pas si ça ne va pas bloquer au niveau de la mairie. » ’