3.3.2- Contrainte

En revanche, « la possibilité d'une aide peut représenter une opportunité qui crée une contrainte ». En effet, la diversité des sources de financement représente des avantages et des inconvénients aussi bien sur le fonctionnement que sur la nature de l’offre. Déjà, chaque source exige des démarches décrites comme assez longues et lourdes, demandant du temps et de l’énergie ainsi que des compétences différentes ; présentées auparavant par Guy Saez (1993) comme une vraie course d’obstacles et par Timothy Mason (1986) comme une tâche de longue haleine, souvent frustrante. Elle entraîne, par conséquent, un accroissement de leur charge de travail. La motivation et la volonté du personnel sont ici fondamentales. Les démarches à effectuer afin d’obtenir l’aide attribué par le CNL étaient le plus souvent citées et critiquées. L’ensemble d’ouvrages doit faire l’objet d’un descriptif précis (listes de titres, éditeurs, collections, coûts estimés, nombre d’ouvrages prévus). En plus de la préparation du dossier et de l’envoi des listes des acquisitions prévues, les responsables de bibliothèques sont appelés à envoyer, par la suite, toutes les factures des achats effectués. Ce qui implique un travail laborieux en amont et en aval.

‘« Par rapport aux subventions CNL, je trouve que c’est très bourrant, il nous demande énormément de choses, il faut leur envoyer des listes perspectives des livres qu’on pense acheter c’est déjà difficile il faut travailler au moins 6 mois en amont pour préparer tout ça et remplir tout un dossier et notamment garder toutes les factures. Ce qui implique qu’il faut regrouper ces achats sur la même facture, ça demande vraiment un suivi, des fois c’est décourageant. » V94’

En outre, la préparation d’un dossier de demande de subvention, pour l’enrichissement des fonds ou encore pour l’élaboration d’autres activités telles que les animations, suppose une politique documentaire claire et bien définie, sur laquelle se fonde toute demande. Cependant, certains responsables, précisément pour les subventions du CNL, constituent leurs demandes documentaires en rapprochant leurs besoins de priorités et des attentes fixées par l’organisme payeur. Ils essayent souvent de respecter les conditions exigées. Par conséquent, ils se retrouvent engagées dans des projets d'acquisitions ne correspondant pas nécessairement à leurs politiques documentaires.

‘« C’est vrai que les critères pour lesquels on le fait correspondent souvent aux critères de la DRAC et pour le CNL on se coule dans le moule de leurs priorités. » V59’ ‘« La subvention ne vient pas à l’appui d’un projet, on fait un projet pour se couler dans la subvention, on arrive parfois à des choses qui sont complètement déconnectées du reste des orientations et des objectifs de la bibliothèque et c’est très dommage. » P95’

La participation du CNL au financement de fonds thématiques vise à soutenir l'acquisition de publications françaises de vente lente. Elles couvrent prioritairement le domaine des arts, de la poésie, de la littérature française et étrangère traduite, etc. Des domaines qui ne correspondent pas nécessairement, selon les responsables des bibliothèques, aux besoins de leurs usagers. Les bibliothèques cherchent à développer un secteur très demandé par leurs usagers, en particulier pour les documents multimédias et Internet. Les priorités du CNL ne correspondent pas souvent aux leurs. Ce dernier continue à promouvoir l’acquisition des livres et il ne développe pas de subventions qui visent les nouveaux supports. « Il ne s’adapte pas aux besoins réels de la société…Il soutient plus l’édition que la lecture. » [A61]

De plus, l'aide du CNL est attribuée sous forme de crédits d'achats de livres et de revues, en fonction de critères de recevabilité des demandes qui portent sur l'effort propre des collectivités (personnel qualifié, budget annuel d'acquisition de livres et de revues). Ces critères sont jugés très sévères par la majorité des interviewés. La bibliothèque doit, en effet, satisfaire à des critères portant sur le coût des travaux d’aménagement ou de construction (minimum 9200€), le personnel qualifié, le budget annuel d’achat de livres et de périodiques (2€/habitant), les heures d’ouverture (10h/semaine), etc. Ces seuils prédéfinis par l’État obligent certaines mairies à dépenser plus pour pouvoir atteindre ce seuil. C’est pourquoi elles ne voient pas l’utilité d’une aide qui exige des dépenses supplémentaires qu’elles ne peuvent supporter, une aide qui les laisser subir un contrôle assez lourd et une dépendance aux bailleurs de fonds. La liberté des choix et de fonctionnement recherchée par les professionnels se retrouve ainsi contrariée.

Davantage, l’attribution des aides est accordée en fonction des dépenses déjà engagées par la mairie envers sa bibliothèque. Dès lors, « dans le cas où la ville n’a pas beaucoup de moyens, elle ne peut pas espérer grand chose. »

‘« L’obtention de toute aide exige un certain pourcentage de dépense de la part des mairies. Vous ne pouvez pas recevoir les subventions avant que vous même, en tant que ville, vous n’ayez versé quelque chose. » P95’

En effet, les sommes prévues des subventions du CNL sont attribuées par avance par les mairies au cours de l’attribution du budget annuel. Cependant, si la bibliothèque n’obtient pas la subvention, les villes payent à 100%. C’est pourquoi, elles manifestent un intérêt mais aussi une méfiance. Elles déclarent devoir être très rigoureuses au niveau de la gestion envers ces subventions afin de s’assurer de pouvoir compter sur une attribution ou pas. 

C’est pourquoi, ils ont manifesté une réticence envers les aides du CNL, excepté pour son intervention consistant à accompagner les projets de création ou d'extension de bibliothèque, jugée primordiale pour démarrer la constitution des nouveaux fonds.

‘« Pour les subventions du CNL sur des fonds thématiques, on s’est aperçu que les critères de sélections sont très sévères… ça nous demande énormément de travail et ne répond plus finalement aux besoins des BM. Le CNL a pour objectif de promouvoir des livres à rotation lente, qui ne sont pas demandés par nos usagers. Pour avoir une subvention de 30 milles francs, vous devez vous engager à dépenser le double pour avoir droit à cette subvention donc non seulement ça nous faisait dépenser dans des livres trop pointus qui dormaient sur les rayonnages, notamment dans les bibliothèques de quartier, mais aussi, il faut accorder un budget supplémentaire. Donc on a abandonné les subventions CNL. » V94 ’ ‘« J’ai bénéficié des subventions du CNL pendant 3 ans et puis ça devient tellement draconien et les conditions restrictives, je n’en ai pas demandé, dernièrement. » P95’

De plus, le besoin de créer d’autres formes d’intervention, englobant des secteurs ne faisant pas, actuellement, l’objet d’une aide particulière, se révèle nécessaire. En effet, les incitations financières ne peuvent être utiles et efficaces que lorsqu’elles rencontrent réellement l’intérêt de la bibliothèque, à savoir de sa tutelle et de son public.

‘« Je pense qu’il faut réfléchir sur des subventionnements qui soient plutôt liés à des projets de développement de bibliothèque dans le cadre de la politique d’acquisition en fonction du public. Les aides du CNL peuvent être accentuées sur des projets qui ont une structure et non pas en fonction de tel type de document à soutenir. Il soutient l’édition par rapport à cet intermédiaire. » B34’ ‘« Les limites des subventions, c’est que des fois il y a des secteurs qui me semblaient importants mais qui ne font pas l’objet d’une aide en particulier de l’Etat ou d’autres organismes. » V59’ ‘« On a des charges de centralité qui ne sont pas considérées ni par l’Etat ni par les autres collectivités. 30% du public inscrit n’habite pas dans la ville en plus de tous ceux qui utilisent les services et qui ne sont pas abonnés… Il n’y a aucun moyen d’agir là dessus. Il n’y a que le législateur qui peut faire quelque chose, étendant la compétence des autres collectivités, soit par une loi sur les bibliothèques qui indique que des ressources doivent lui être attribuées. » P86’

En revanche, selon Christiane Pollin (responsable du bureau de la diffusion du livre en bibliothèque au CNL), avec qui nous avons pu nous entretenir sur la politique du CNL, la lourdeur de la démarche est mythique. Elle explique : « ce qui demande du temps et de la compétence dans un dossier, c'est le travail en amont sur les acquisitions, c'est-à-dire une réflexion sur la politique documentaire de l'établissement, un plan de développement des collections et une bonne connaissance de la production éditoriale. Autrement dit, tout ce qui fait la spécificité du métier mais qui est systématiquement relégué en dernier quand le temps manque... d'où un fort sentiment de culpabilité de la part des bibliothécaires qui invoquent de mauvaises raisons pour ne pas faire appel à nos aides. De plus, il y a en effet des bibliothèques qui n'éprouvent pas le besoin de s'adresser au CNL parce qu'elles ont des budgets d'acquisition suffisants. Certaines, de plus en plus nombreuses dans les villes moyennes, ont même des difficultés à dépenser leur propre budget, suffisant ou non au regard des besoins, en raison du manque de personnel qualifié pour effectuer les acquisitions et leur traitement scientifique ! C'est un vrai problème, qui est d'ailleurs souvent derrière les prétextes avancés pour ne pas faire de dossier CNL. »

De ce fait, le manque de personnel qualifié en effectif suffisant et l’absence d’une politique documentaire formalisée permettant l’élaboration d’une demande cohérente constituent les facteurs fondamentaux, empêchant le recours aux subventions du CNL par les bibliothèques et aux aides extérieures d’une façon générale. En effet, de par les missions exigeantes du CNL, les subventions, comme le signale Christiane Pollin s'adressent en priorité aux bibliothèques qui ont des politiques documentaires ambitieuses et professionnalisées, quelle que soit la taille de la commune.