3.1- Aspects économiques

Nous nous intéressons au départ à l’intérêt économique de la coopération et en particulier des réseaux informatiques. D’après Jean Michel (1993), c’est « la nécessité de l’économie de moyens ou celle du partage des efforts et des ressources qui conduit à la création des réseaux. » En effet, face à la baisse quasi généralisée des budgets dans le domaine culturel, à une augmentation des coûts, la concertation entre bibliothèques peut s’avérer d’une grande utilité pour la rationalisation des dépenses relatives aux acquisitions, à travers l’échange de double, ou l’harmonisation des achats de façon à instaurer une complémentarité entre des fonds différents. De plus, elle constitue, sur le plan de la conservation, une solution de grande rentabilité économique et d’efficacité managériale.

Aussi, d’autres applications permettent des avantages économiques et, bien évidemment, professionnels et cognitifs telle que l’organisation des journées de formation professionnelle communes ou encore la gestion collective des événements comme les expositions itinérantes ou encore, l’invitation collective d’un animateur pour faire le tour de plusieurs bibliothèques, etc.

Cependant, la réalité de fonctionnement montre que ces avantages ont un coût et sont liés à des contraintes. « La coordination n’est pas gratuite... les projets coopératifs sont coûteux même s’ils apportent une valeur ajoutée considérable. » 116  Pour se rendre compte de la réalité des coûts, les approches comptables se sont montrées insuffisantes. Certains aspects échappent, bel et bien, aux outils comptables, à l’analyse quantitative qui étudie les aspects quantifiables des réseaux. En effet, comme le confirme Frédéric Wacheux (1996) « le succès ou l'échec de l'alliance ne s'évalue pas uniquement par la mesure d'un résultat financier mais plutôt par celui-ci, comparé à l'appréciation des acteurs directement engagés. » On doit, ainsi, compléter avec une analyse qualitative en faisant appel à d’autres démarches managériales pour estimer et évaluer les effets des réseaux aussi bien sur l’environnement interne qu’externe de la bibliothèque : la démarche qualité, l’analyse coût et avantages, les études d’impacts.

Par ailleurs, Jean Michel Salaün (1997) trouve que la valeur d’une relation de coopération doit être mesurée à l’aune des coûts qu’elle induit. Il dénombre quatre coûts directs induits par les réseaux de partage documentaire, faciles à repérer, sinon à mesurer dans une bibliothèque :

  • Le coût d’augmentation de la collection : il s’agit des documents acquis, traités et conservés en liaison directe avec la coopération. Ce coût est nul, si la coopération ne porte que sur les fonds acquis dans le cadre de la mission première de la bibliothèque, ce qui signifie que la coopération ne change en rien la politique documentaire de la bibliothèque. Cependant, quand ce coût est positif ou négatif, ceci signifie soit que la bibliothèque a investi pour des dépenses supplémentaires dans le cadre de la coopération, soit qu’elle a réalisé des bénéfices en augmentant sa collection, une augmentation qu’elle n’aurais pu réaliser sans la coopération.
  • Le coût de normalisation pour l’établissement d’une base commune d’échange (normes de catalogage et d’indexation, interfaces, etc.). Prenons à titre d’exemple les coûts de remplacement d’un système par un autre qui inclut les frais de résiliation, coûts d’apprentissage, coûts de transfert et de conversion des données, etc.). Ils sont souvent très importants et, par conséquent, ils constituent un facteur déterminant.
  • Le coût d’expédition et de réception des documents échangés (réception de la commande, traitement de la demande, infrastructure qui supporte le transport, temps et énergies dépensés)
  • Le coût de gestion, soit les frais de fonctionnement courant : « L’animation d’un réseau de partenariat suppose des relations, des voyages, des dossiers, des bilans. Ce temps et cette énergie sont d’autant plus coûteux pour l’organisation que les relations de partenariats sont souvent stratégiques et donc que leur animation est réservée aux cadres de la bibliothèque. » 117

A ces coûts directs, il ajoute le coût d’opportunité, soit celui de l’attente supplémentaire pour le lecteur d’un document récupéré dans une bibliothèque éloignée. Il faut aussi tenir compte des contraintes et des risques qui pèsent sur une bibliothèque. Le service des lecteurs extérieurs peut entraver celui des lecteurs ordinaires. Et surtout l’appartenance à un réseau peut induire des relations de domination ou de dépendance qui orienteront à l’avenir les services proposés. Tous ces aspects sont aussi à prendre en considération au moment de l’analyse économique des échanges.

Dès lors, il est difficile de chiffrer une économie réelle. Cependant, on peut parler des gains ou des avantages obtenus, des gains mesurables, quantifiables mais aussi de ceux qui ne le sont pas. Il s’agit principalement du gain de temps et d’énergie, gain de personnel (le manque de personnels peut être compensé par le partage des tâches ; le même nombre de personnels a absorbé plus de charges qu’avant, en particulier, pour le prêt), la richesse des échanges (échanges des connaissances et des compétences), une offre plus exhaustive, une meilleure rentabilité des services (augmentation de fréquentation et d’utilisation), les effets sur l’image de la bibliothèque qui peut conduire les bailleurs de fonds à augmenter leurs subventions, le partage et l’augmentation des ressources et des dépenses (subvention destinée aux opérations de coopération, les cofinancements obtenus par les différentes tutelles, etc.), l’investissement initial au niveau du matériel et des logiciels, (remises cumulées à l’achat du matériel, le partage du paiement du droit d’usage des logiciels, le partage des coûts de la maintenance et de l’utilisation du système central, etc.).

Pour que le réseau assure économiquement sa raison d’être, il doit avoir le rôle « d’économiseur».

Notes
116.

Alain Jacquesson .- L’informatisation des bibliothèques, 1995, p 202

117.

Jean Michel Salaün .- Economie et bibliothèque .- Paris : cercle de librairie, 1997, p 34