3.5- L’aspect bibliothéconomique : l’impact de réseau sur la chaîne documentaire

La concertation entre les différents partenaires appartenant parfois à des sphères informationnelles profondément différentes est d’une grande utilité pour faire face à l’explosion documentaire et aux contraintes budgétaires. Elle permet, d’une part, un enrichissement des fonds et une diversification de l’offre. D’autre part, elle permet de multiplier la puissance d’achat de chaque membre et d’acquérir des ressources qu’ils n’auraient jamais pu avoir autrement. Le budget de chaque bibliothèque membre est mieux rentabilisé.

En outre, les bibliothécaires ne raisonnent plus en terme de fonds propres mais en terme de fonds collectif. Le fonds de chaque bibliothèque membre peut se définir comme une partie du fonds collectif que la bibliothèque a sélectionné en fonction de ses besoins et en considérant ce fonds collectif. Cependant, ceci suppose que les fonds des autres bibliothèques soient élaborés dans cette perspective. La diversité des partenaires, leur appartenance administrative et leur dépendance vis à vis de leurs tutelles rendent difficiles la gestion du module d’acquisition. La collection est considérée comme le fondement même d’une bibliothèque et sa richesse constitue encore l’objet de la fierté tant de la collectivité que du personnel. Aussi, travailler en partenariat avec d’autres bibliothèques ayant des centres d’intérêt différents implique nécessairement une remise en cause de la politique d’acquisition et le raisonnement en fonction d’un contexte culturel, social et économique nouveau et changeant en fonction des nouveaux partenaires. « Chaque partenariat nouveau nous a incité à repenser la nature de notre métier, à redéfinir nos missions. » 126

De plus, la coopération au niveau des acquisitions n’a de sens que si elle est accompagnée d’une coopération au niveau de la communication et de l’accès aux documents. Un lecteur d’une bibliothèque est un lecteur de tous ses partenaires. Ceci exige une harmonisation qui peut se traduire par la carte unique, soit permettre un accès identique à tous les lecteurs, la standardisation des amendes et des pénalités, etc. Dès lors, si la bibliothèque ne possède pas le document, elle doit donc pouvoir l’obtenir autrement. Ainsi, le prêt entre bibliothèques représente une solution pour remédier aux lacunes des fonds en constituant un modèle d’acquisition instantanée. Ce n’est plus un problème si une bibliothèque ne possède pas le document. Sa mission est remplie en accédant au document d’un autre partenaire 127 . Cependant, la coopération à ce niveau est limitée, surtout pour les BM. Elles ont du mal à assumer les coûts et l’ensemble des opérations engendrées par ce service (préparation des factures, rédaction des chèques, etc.) et à recruter le personnel requis, ainsi que les matériels nécessaires (photocopieuses, scanner, etc.) S’y ajoutent les problèmes juridiques que peut évoquer cette forme de diffusion de l’information (droits d’auteurs, etc.).

Par ailleurs, la concertation au niveau des acquisitions ou plus particulièrement le regroupement autour d’une base bibliographique commune conduit à une réduction de la charge de travail que représente le traitement des documents. Ce dernier représente la tâche la plus coûteuse dans la chaîne documentaire. Une étude réalisée par le cabinet René Deriez Consultants, a montré que le coût moyen d’un livre serait, pour une BM, d’environ 275 francs répartis pour ¼ dans l’achat et pour ¾ dans le traitement 128 . De plus, rien que le temps nécessaire au catalogage constitue encore, en France, 30% du temps de travail. 129 Le document n’est catalogué qu’une seule fois et donc seule une notice est stockée dans la base. Le volume de catalogage réalisé par chaque partenaire est ainsi minimisé ; les gains de productivité et les économies d’échelles sont alors réels. La base de données bibliographiques a donc la valeur d’un catalogue collectif. La qualité de l’information bibliographique est en principe meilleure, conséquence des exigences des uns envers les autres.

De plus, l’indexation ou l’attribution des mots clés en se basant sur les mêmes ressources (thesaurus, listes d’autorité, etc.) permet aux usagers un accès aux fonds des différentes bibliothèques avec un seul vocabulaire et une seule méthode, telle que la liste d’autorités matière RAMEAU (Répertoire d’Autorité Matière Encyclopédique et Alphabétique Unifié). Toutefois, cette collaboration ne va pas sans difficultés. D’une part, un choix commun et adéquat d’un format d’affichage garantissant la compatibilité avec les différents formats d’affichage des partenaires, permettant le regroupement autour d’une base de données bibliographiques commune, est fondamental. Cependant, il engendre des problèmes auxquels les bibliothèques sont confrontées, tels que la conversion des données, le retard de traitement courant et ce que cela exige de disponibilité et de recyclage du personnel. D’autre part, les besoins des bibliothèques sont parfois fort divergents, comme le cas d’une BU qui a besoin d’affiner le traitement de ses documents vu les besoins ultra-spécialisés que peuvent avoir ses usagers (chercheurs, étudiants). En outre, une BM préfère un accès simple à l’information. La normalisation est, parfois, assez lourde pour certaines bibliothèques. « L’homogénéité de la base passe par des décisions douloureuses... l’adhésion au réseau implique naturellement l’acceptation de ces décisions d’arbitrage. » 130

Actuellement, Internet et le développement des technologies de numérisations ont engendré de nouveaux enjeux pour la coopération. Les catalogues des bibliothèques sont accessibles partout. La consultation des documents n’est plus différée ni dans le temps ni dans l’espace. Nous citons, à titre d’exemple, le projet Gallica de la BNF. Un lecteur branché sur Internet, quelque soit sa localisation, peut avoir accès à plus de 86000 documents. L’accès se fait, ainsi sans contrainte des heures d’ouverture, de déplacement, etc. Dès lors, la bibliothèque vit, avec le réseau, une transformation de la nature de ses services. Les services conçus à la base pour une offre de proximité sont aujourd’hui accessibles à distance tels que la consultation des catalogues, la réservation d’un livre, l’accès aux documents en ligne, etc.

Cependant, dans un tel environnement vaste et étendu, la difficulté pour les bibliothèques résident dans la définition et la détermination des besoins de ses usagers. Quels services doit-elle ou peut-elle utilement offrir ? De plus, l’apparition des documents numériques dans les fonds des bibliothèques et parfois leur regroupement autour d’une base de données en texte intégral telles que les bases de données patrimoniales exigent de nouvelles normes et techniques de traitements des documents et de nouvelles lois de diffusion. Ainsi, les bibliothèques se retrouvent face à des problèmes juridiques.

Au-delà, d’autres modules constituant la chaîne documentaire se trouvent modifiés. Il s’agit principalement des politiques de conservation des documents. Face à l’évolution constante de la production documentaire, les bibliothèques sont dans l’impossibilité de conserver la totalité de leurs fonds. Il devient alors évident d’élaborer des politiques de conservation partagées en suivant des politiques de désherbage, de restauration et de numérisation cohérente. S’y ajoutent d’autres aspects de fonctionnement des bibliothèques. Signalons, à titre d’exemple, la gestion collective des évènements comme les expositions, les journées de formations, etc.

Notes
126.

Annie Aubert .- Pratiquer le partenariat pour participer à la vie locale .- In : BBF, n°5, 2000, p88

127.

François Lapèlerie .- Le prêt entre bibliothèques universitaires scientifiques existe-t-il ? .- In : BBF, n°4, 1996, p56

128.

René Deriez.- Quelques coûts dans les bibliothèques.- Ecole Nationale Supérieure des Sciences de l’Information et des Bibliothèques (ENSSIB), Séminaire sur l’économie des bibliothèques, 12 avril 1996, p9 non publié

129.

Thierry Giappiconi .- Des statistiques à l’évaluation : méthodes et outils dans le projet de la nouvelle bibliothèque de Fresnes, 62ème conférence générale de l’IFLA, 1996, p4.- In : http://www.ifla.org/IV/ifla62/62-giat.htm consulté le 31/03/00

130.

Alain Jacquesson .- L’informatisation des bibliothèques, 1995, p197