4- L’éloignement géographique :

La complexité de la gestion d’un projet de partenariat peut s’amplifier avec l’éloignement géographique entre les différents partenaires. La proximité de ses partenaires semble être primordiale pour certains, afin d’établir une meilleure communication et d’éviter la surcharge de travail. En effet, le manque de personnel et le manque de temps caractérisent le quotidien de nos interlocuteurs. C’est pourquoi, il leur était difficile de « courir au bout du département pour assister à des réunions. »

‘« Pour se rencontrer, il faut faire des kilomètres… je me déplace pour une réunion qui dure 2 heures alors que j’ai 5 heures de route… je ne peux pas me permettre de le faire régulièrement et au téléphone on ne peut pas tout régler…il faut se déplacer en chair et en os. Compte tenu du temps des uns et des autres… partout on manque de personnel, vous ajoutez les formations. On n’y arrive jamais. » B18’

Comme le signalent nos interlocuteurs, la coopération exige une concertation anticipée et un suivi continu très importants, qui restent très dur à établir. La coopération demande du temps, du personnel et des compétences qui manquent. Ceci constitue, en effet, un des problèmes majeurs de tout projet de partenariat quelque soit son niveau.

D’autres variables défavorisent le développement des projets de partenariat et explique ce niveau restreint de la coopération. D’une part, la surcharge de travail qu’assument déjà les bibliothécaires les démotive quant à initier toute action coopérative. Ils ne peuvent, par conséquent, assumer des charges supplémentaires liées à la coopération qui sont jugées très lourdes à supporter. D’autre part, le déséquilibre entre bibliothèques, éventuels partenaires, désencourage les initiatives de coopération. Certains responsables de bibliothèques témoignent de l’inopportunité de la coopération avec d’autres bibliothèques ayant un fonds moins important que les leurs. La bibliothèque [M93], intégrée dans un réseau, trouve que ce dernier est plus au bénéfice de leur partenaire que l’inverse et que ce n’est pas tout à fait équitable dans l’offre. En effet, vu le retard et la modestie des fonds des bibliothèques voisines, avec qui il est plus simple de coopérer, tout projet de partenariat demeure considéré dévorateur de temps, d’argent et d’énergie. De plus, on ne peut pas parler de coopération ou de réseau quand l’une des bibliothèques assure presque seule le fonctionnement et l’offre documentaire. Une certaine similitude au niveau technique, financier, etc., entre les différents partenaires doit fonder sa constitution. Un partenariat ne peut livrer que la qualité de ses propres ressources et ne peut se développer qu’en s’appuyant sur cette somme. En effet, tant qu’il existe, dans un réseau, des partenaires ayant un certain nombre de difficultés, il ne pourra pas réellement avancer ou exister. Le retard qui caractérise les bibliothèques avoisinantes des bibliothèques enquêtées ou celui qui les caractérise elles-mêmes par rapport aux autres bibliothèques avoisinantes a constitué l’argument évoqué par nombre de personnels pour montrer les obstacles d’une coopération.

‘« Un réseau est très lourd, on n’est pas au même niveau ni économique, ni en terme du nombre d’agents ou d’habitants, ni au niveau de la formation, etc. Le réseau est constitué uniquement de deux vraies bibliothèques. Il y a une différence d’offre au public assez large. Nous sommes un certain nombre à pouvoir communiquer par e-mail et il y a des collègues qui n’ont même pas un fax. Pour l’équipement informatique, toutes les bibliothèques n’ont pas été suivies par leurs Villes… » P95’ ‘« L’intercommunalité, pour moi, ne va rien apporter, ou du moins pas grand chose, vu la situation des bibliothèques des autres communes et vu les fonds qu’elles ont. Notre bibliothèque est plus riche que l’ensemble des bibliothèques des communes voisines. » [P86, V78]’

En revanche, malgré les tentatives de certains responsables d’étendre leur champ de coopération à des petites bibliothèques, ils n’ont pas réussi à obtenir l’adhésion de leurs responsables. Les raisons évoquées sont multiples. Certains l’expliquent par la méfiance des gros établissements ainsi que par le manque d’ambition. D’autres montrent du doigt le manque de formation ainsi que le manque d’outils qui restent encore embryonnaires, etc.

‘« J’ai essayé personnellement, en tant que présidente d’une association régionale des directeurs des bibliothèques, d’élargir notre champ de coopération. On n’a jamais pu intéresser les directeurs des petites bibliothèques car ils sont persuadés qu’on n’a pas les mêmes politiques, les mêmes horizons. On est resté à l’échelle des villes de plus de 30 000 habitants. » V59’

De même, les responsables politiques, en particulier ceux des villes centres, considèrent que la coopération avec des bibliothèques moins importantes que les leurs, représente un investissement de leur part pour les autres communes. Ils protestent fortement contre « le poids lourd de la centralité » et le manque de subventions pour la supporter. Tout autant que les responsables des bibliothèques, ils trouvent que le financement de toute structure ayant une envergure départementale ou régionale n’est plus du ressort de leurs communes. C’est plutôt le rôle de l’Etat, de la région et du département. La politique de décentralisation semble encourager ou plutôt fonder cet état d’esprit.

‘« Actuellement les villes dépensent pour que les catalogues soient accessibles en interne, simplement à la bibliothèque. Ceci coûte de l’argent… Ça c’est le rôle que jouent les communes. En revanche, le rôle que peut jouer le conseil général, est de payer les modules nécessaires pour que les catalogues soient accessibles sur Internet. » A92’

Ajoutons à l’ensemble des éléments cités auparavant et expliquant le niveau restreint de la coopération, l’absence de structure de coopération telles que les associations ou les agences de coopération régionale, pouvant fédérer un certain nombre de bibliothèques sur le département ou sur la région et même si elles existent, elles rencontrent souvent des problèmes et en particulier des difficultés financières.

En outre, nous nous sommes intéressés à savoir si les différentes sensibilités politiques entre les villes ont eu de l’influence sur l’élargissement du champ de la coopération. Au delà du cas cité de la bibliothèque [O84] qui s’est retrouvée complètement isolée suite à un changement politique (extrême droite) et, malgré la tendance affichée de certains responsables politiques à travailler avec des villes qui ont une sensibilité politique proche, le clivage politique n’a pas pu entraver la réalisation des projets en commun et il n’empêche en rien la volonté des professionnels de collaborer avec leurs confrères. Ils ont continué à faire « un tas de choses avec leurs voisins qui sont de couleur politique différente. » Il était difficile pour certains de travailler avec des villes qui n’ont pas la même couleur politique ou de demander des aides au conseil général quand lui aussi est de couleur politique différente. La différence de couleur politique a pu ralentir l’avancement des travaux, créer des tensions mais ceci reste temporaire. Le clivage politique comme le constatent nos interlocuteurs, agit particulièrement pendant les élections ou les quelques mois qui précèdent. Postérieurement, la réalité économique, sociale, professionnelle, etc., amènent nécessairement les responsables politiques à réussir à travailler en commun sur de multiples projets, avec des villes de sensibilité politique différente. Leur objectif reste le même. Il s’agit de développer la lecture publique et comme nous le signalent maints de nos interlocuteurs : « Il y a une lecture publique … il n’ y a pas une lecture de droite ou une autre de gauche. » Apparemment, ce n’est pas facile, c’est long…il n’y a que des problèmes, que des difficultés, mais, à l’usage, par la force des choses, constatent nos interlocuteurs, ils les surpassent. Aussi, certains trouvent qu’une fois que la coopération est institutionnalisée, la différence politique perd son effet. De plus, la proximité géographique a un rôle important. Comme le signale un de nos interlocuteurs, élu, « On va coopérer avec une ville qui est à 25 km car elle est de la même couleur politique !! » V78