5- La coopération : objectifs et effets

Nous avons voulu savoir si les conditions financières prévues ont conduit les bibliothèques à élaborer des projets de partenariat et repérer les objectifs de chacune et identifier les besoins à travers ce choix de gestion. Il s’est avéré que la situation économique dans laquelle se retrouvent les bibliothèques ne représente pas le facteur majeur qui les conduit à opter pour une coopération. Cette dernière ne peut pas et ne doit pas constituer, pour la majorité, un remède à une situation défectueuse. Aussi, elle n’est pas non plus encouragée par une situation prospère.

‘« Il faut d’abord renforcer nos moyens et après coopérer et non pas avoir recours à la coopération pour surmonter une situation dégradée…et ce n'est pas parce que nous aurons plus d'argent qu’on commence à penser à coopérer… c’est la réalité documentaire qui pousse les bibliothécaires à travailler ensemble. » V69’

Le recours à la coopération manifeste plus, chez les professionnels, une volonté de développer la lecture. Un tel recours n’est pas une réponse à une situation financière, mais plutôt et plus particulièrement à une réalité informationnelle. D’ailleurs, tout projet de coopération ne peut avoir de sens que s’il permet une offre exhaustive et pertinente et s’il assure une meilleure accessibilité et une utilisation abondante des fonds. En effet, si l’offre ne convient pas au public, si la coopération n’est pas associée à une infrastructure permettant une meilleure circulation des documents, si elle n’est pas suivie d’une politique de communication commune, elle ne pourra être intéressante. [P95, P86]

Ainsi, 47,6% de l’ensemble de nos enquêtés par questionnaire, comme l’indique le tableau suivant, trouvent que la décision de coopérer et, en particulier, d’adhérer à un réseau ne peut être liée à l’obtention d’un budget supplémentaire. De même les explications apportées par 31% des enquêtés qui ont ajouté que le budget supplémentaire ne peut être qu’un budget supplémentaire approprié à un tel projet et non pas une augmentation budgétaire de fonctionnement ou d’investissement destinée à l’amélioration des conditions de travail.

Tableau n°29 : L'influence des budgets supplémentaires sur les choix des bibliothèques quant à leurs adhésions dans des projets de partenariat
  Nb. cit. Fréq.
Non -réponse 31 21,4%
Oui 45 31,0%
Non 69 47,6%
TOTAL OBS. 145 100%

Il se révèle de l’ensemble des éléments de réponses obtenus, par questionnaire ou par entretien, que la réalisation des économies d’échelle s’inscrit parmi les objectifs principaux de toute bibliothèque fonctionnant en partenariat. En effet, même si la mise en commun des moyens pour une richesse et une diversité d’offres est la raison majeure de toute coopération, un avantage économique doit justifier son existence. La possibilité de réaliser des économies et de rationaliser les dépenses constitue une condition de ses conditions de viabilité.

Mais, ce n’est pas pour autant que la coopération et, en particulier, la coopération en réseau, puisse être considérée comme une solution permettant de surmonter les difficultés financières rencontrées. Aussi, les augmentations annuelles de budgets de fonctionnement obtenues ne peuvent pas, non plus, déterminer un tel choix. Seul un niveau de coopération restreint, à savoir au niveau de la commune, affirment nos enquêtés, peut limiter les dépenses, réaliser des économies et, par conséquent, compenser une diminution budgétaire et donc peut être envisagé ou pensé dans un tel cas. Cependant le réseau ne peut être envisagé suite à une situation financière quelconque.

Tout projet de coopération et en particulier les projets de coopération en réseau, est un investissement, un engagement pour le renouvellement ou le renforcement des structures existantes, aussi bien au niveau de l’investissement que du fonctionnement. La satisfaction d’un certain niveau d’équipement est l’une de ses conditions préalables.

‘« Le réseau est aussi technique : pour avoir un catalogue collectif commun, on doit avoir le même logiciel de gestion, de concertation pour le choix de catalogage en fonction de public destinataire, de support, etc. » P95’

De plus, de tel projet nécessite un budget approprié, que certaines villes ne peuvent pas se permettre d’engager et qu’en l’absence des aides de l’Etat ou des collectivités territoriales, sa réalisation semble impossible.

‘« Pour coopérer, il faut avoir les moyens, il faut un budget, un personnel, des formations, etc. Elle demande plus de temps et d’énergie administratives… je ne vois pas comment la coopération peut résoudre des problèmes financiers.... » [A61, V59]’

C’est pourquoi, 24,1% (tableau suivant) de l’ensemble de nos enquêtés par questionnaire et 24,5% seulement des bibliothèques qui pratiquent la coopération trouvent que la coopération et, en particulier, la coopération en réseau ne permet pas de limiter les dépenses. La coopération a engendré, pour certains, des coûts inchiffrables.

Tableau n° 30 : la possibilité des projets de partenariat dans la limitation des dépenses
  Nb. cit. Fréq.
Non -réponses 9 6,2%
Oui 105 72,4%
Non 35 24,1%
TOTAL OBS. 145  

Ceci ne nie, en aucun cas, les avantages économiques, ce que nous confirme la majorité de nos enquêtés (72,4%). Il leur était difficile de chiffrer l’économie réalisable. Ils les représentent par un ensemble de gains. Ces derniers se concrétisent, principalement, à travers la possibilité de réduire les dépenses en ayant une politique d'acquisition et/ou de conservation des documents concertée et donc une harmonisation des achats et une complémentarité, un partage des fonds, ce qui signifie implicitement une coordination financière. Une telle politique permet, en effet, aux bibliothèques d’éviter la redondance des achats, l’acquisition de documents spécialisés et l’extension des capacités de stockage. Par conséquent, cette politique permet un gain d’espace et d’argent et une gestion plus rationnelle des fonds. D’ailleurs, on trouve ici la raison pour laquelle ce partage de moyens et de ressources, au niveau communal, est souvent encouragé.

‘« On a constitué un réseau informatique local avec les bibliothèques, le musée, l’école de musique, etc. C’est très important sur le plan local, d’avoir une certaine coordination de nos acquisitions. En général, on n’achète pas les mêmes choses... » A74’ ‘« Cette initiative de travail entre les services culturels de la ville est très encouragée par la mairie car c’est une façon de mettre en commun les moyens. » M93’ ‘« La coopération est évidente car budgétairement on ne peut prétendre à l’exhaustivité et il est évident qu’on a besoin de coopérer avec toutes les villes qui sont autour de nous...Si notre bibliothèque était importante et se suffisait à elle même, peut-être n'aurions nous pas eu l'idée de coopérer. » A92’

Ajoutons à ceci les possibilités suivantes :

La mise en commun d’un savoir-faire qui permet un enrichissement humain et professionnel et un approfondissement des connaissances. Le savoir-faire et les informations dont disposent les uns et les autres se diversifient et se complètent. Par conséquent, elle récompense, en quelque sorte, le manque de formation et de personnel qualifié.

Nous résumons à ce niveau. Une fois la coopération dépasse les frontières de la ville, elle commence à être compliquée et souvent « rejetée ». De plus, l’intérêt des professionnels pour adhérer à un réseau s’est affaibli. Les raisons sont multiples. Elles sont d’ordre organisationnel, économique, professionnel et politique. La situation économique dans laquelle se retrouve la bibliothèque ne représente pas un facteur déterminant pour un tel recours. Il est vrai qu’il y a des avantages économiques et qu’il peut consolider une situation financière difficile, mais cela ne peut être, pour autant, un remède à une situation défectueuse. Tout projet de partenariat exige un investissement approprié qui, parfois, engendre des coûts « inchiffrables ». En effet, la coopération ne peut être considérée seulement comme une opportunité pour les bibliothèques. Elle représente aussi bien un ensemble d’atouts et de contraintes que nous avons pu recenser à partir de la littérature aussi bien qu’à partir des résultats d’enquêtes. Nous présentons ceux qui sont le plus souvent cités et nous regroupons l’ensemble dans le tableau, numéro 31, qui suit .

La coopération est une action de partage et d’échange permettant de dépasser les limites de l’action individuelle. La coopération est souvent représentée dans le milieu professionnel comme une démarche à travers laquelle nos enquêtés visent des objectifs divers et multiples, souvent de nature informationnelle. Il s’agit ainsi du partage documentaire pour une couverture plus large des domaines de connaissances, de l’opportunité d’une meilleure accessibilité et, par conséquent, de la garantie d’une offre exhaustive et de qualité.

‘« La constitution d'une base de données locale nous a toujours intéressé pour connaître le fonds de chaque bibliothèque sur la ville, pour localiser facilement les documents, pour accélérer la recherche et par conséquent offrir, aisément, à nos usagers toute l’information possible. » M95’

En effet, le regroupement des différents partenaires autour d’un catalogue collectif commun ou pour l’élaboration des listes des périodiques conservées dans les différentes bibliothèques du département ou de la région ne peut qu’assurer, pour l’usager, une meilleure visibilité documentaire et pour l’ensemble des partenaires, une complémentarité documentaire et une compensation de leurs propres insuffisances thématiques. Le premier bénéficiaire reste l’usager dont la satisfaction ne peut qu’accroître.

‘« J’ai beaucoup d’usagers qui viennent des villes qui sont autour de nous car leurs bibliothèques ne peuvent, d’une façon ou d’une autre, satisfaire à leurs besoins. On a toujours besoin de développer un bassin de lecture car les populations se déplacent d’une ville à une autre. » A92’ ‘« Je coopère beaucoup avec la BU. On a un catalogue des périodiques communs. Pour le public c’est très pratique de savoir quel périodique est à la BU ou à la BM. » V59 ’

La politique documentaire concertée accorde la possibilité de nourrir les fonds de manière assez cohérente et de rationaliser les dépenses des acquisitions. Les achats de documents spécifiques ou en multiples exemplaires ont diminué dans maintes bibliothèques. Les collections demeurent plus riches. Une meilleure optimisation des ressources est assurée (notices récupérées dans le cadre d’un réseau bibliographique, achat regroupé, négociation des prix et cofinancement de certains projets, etc.). Ajoutons à ceci, l’économie d’espace réalisée (coordination de stockage).

De plus, le relationnel se trouve renforcé. Les compétences des uns seront en quelque sorte acquises par les autres (complémentarité professionnelle). La possibilité de spécialisation de chaque partenaire est ainsi possible.

En outre, au niveau de l’activité de service, les catalogues sont riches et harmonisés. L’accès à diverses sources d’informations est meilleur (carte commune). La localisation des documents est plus simple et plus rapide.

Cependant, la mise en commun des moyens ne va pas sans la nécessité d’adaptation et d’harmonisation. En effet, les méthodes de travail se retrouvent modifiées et parfois bouleversées. Le quotidien devient chargé (réunion de coordination, d’évaluation, etc). La gestion s’est alourdie pour certaines bibliothèques et, particulièrement, celles des villes centre. Le prêt devient ingérable (flux des lecteurs). L’entente masque une certaine domination et une volonté de protéger ses propres intérêts. Les politiques d’acquisitions concertées n’empêchent pas l’achat de documents effectué principalement en fonction de la demande, de ses propres usagers et de son utilité au sein de sa propre bibliothèque ; et même s’il existe en plusieurs exemplaires sur le réseau, il sera acquis.

De plus, l’incompatibilité du système informatique et documentaire a engendré un énorme travail de paramétrage, un travail rétrospectif lent et lourd, une modification des données locales, etc.

‘« La préparation de la ré-informatisation a pris un temps monstrueux : des réunions ont eu lieu entre les responsables des bibliothèques, entre responsables de différents secteurs (secteur jeunesse, secteur multimédia) de façon à harmoniser leur pratique de catalogage, réunion RAMEAU, etc. Comme nous sommes rentrés dans le réseau, on a perdu des données, il a fallu nettoyer notre fichier, etc. » P95’

Les formations à destination des professionnels aussi bien que des usagers, se sont révélées nécessaires. Cependant, elles continuent à être inexistantes. En effet, la coopération a engendré des modalités de fonctionnement qui restent assez obscures et qui n’ont pas été clarifiées pour l’ensemble du personnel. Elle exige l’utilisation d’outils documentaires que certains partenaires ne maîtrisent pas encore (thésaurus ou un format d’affichage). Les bibliothèques n’ont pas les moyens d’engager des séances d’informations ou de formations envers les lecteurs afin qu’ils puissent profiter effectivement et efficacement de la coopération.

‘« Il y a plusieurs projets qui avaient été lancés au départ. Un projet de conservation partagé des périodiques. On a établi une liste des bibliothèques qui conservent tel ou tel périodique. On essaye d’être un peu complémentaire, ce n’est pas facile car notre département est très vaste en superficie. Les usagers ne se déplacent pas facilement. Donc on a bien mis en place le PEB. Ça existe mais ce n’était pas bien expliqué aux usagers ni même aux bibliothécaires, on ne sait pas très bien comment ça fonctionne, quelles formalités, qui paye le transport, ce n’est pas bien mis en place. » V94’
Tableau n°31 : Les atouts, les contraintes et les inconvénients de la coopération
Tableau n°31 : Les atouts, les contraintes et les inconvénients de la coopération