1.4- Les dangers de la sous-traitance

Malgré ces avantages, certains professionnels résistent encore à sous-traiter, car cela représente aussi de multiples inconvénients d’ordre social, politique, économique, etc.

1-Perte de contrôle :

Au moment de l’élaboration du travail, l’organisation perd la possibilité d’intervention à tout moment du processus de production. Dès lors, il est difficile d’introduire des modifications et de prendre des actions correctives à temps. Elle perd, ainsi, le contrôle de la qualité au cours du cycle productif. A cela, il faut ajouter la difficulté de maîtriser les délais malgré les clauses juridiques prédéfinies au moment de la signature du contrat.

L’éloignement géographique entre l’organisation et son prestataire et la différence des horaires de fonctionnement (période de congé, d’ouverture, etc.) intensifient ces problèmes. La sous-traitance est aussi considérée comme une source de vulnérabilité. Malgré un effet de domination exercé par le donneur d’ordre (organisation ou bibliothèque), étant donné qu’elle représente une partie de chiffre d’affaires du sous-traitant, elle peut se retrouver « ficelée » à des prestataires effectuant des activités spécifiques qu’elle n’a pas la capacité de réaliser en interne, prestataires qui peuvent réévaluer constamment leur prix à la hausse. Les relations reliant les bibliothèques avec leurs prestataires peuvent être, ainsi, de nature dominé/dominant. Des mesures juridiques s’imposent ainsi afin de garder le pouvoir de décision et une marge de manœuvre. Il s’agit principalement de la constitution du contrat prévoyant les conditions précises de réversibilité (possibilité de reprendre en interne) ou de portabilité (possibilité de changer de sous-traitant à l’échéance du contrat).

2- Risque de dégradation de la qualité :

Pour le choix d’un sous-traitant et notamment l’élaboration d’un cahier des charges et l’établissement du contrat, certains aspects juridiques, économiques ou autres sont difficiles à évaluer et, par ailleurs, à contrôler par un bibliothécaire. Dès lors, les résultats d’une sous-traitance peuvent être dramatiques dans le cas où la bibliothèque ne réussit pas à bien définir ses exigences ou à choisir le bon prestataire. De plus, la difficulté, citée auparavant, d’intervenir au cours du cycle productif entrave toute initiative de création ou d’amélioration de la qualité existante.

En outre, le modèle économique de la sous-traitance, tel que nous le rappelle le Groupement Français de l’Industrie de l’Information (1999), repose sur la capacité du prestataire à standardiser au maximum. Par conséquent, les prestations personnalisées deviennent difficiles à satisfaire.

3-Problèmes de dé-professionnalisation du personnel existant et de la perte de poste de travail :

La sous-traitance est un passage du savoir-faire à du faire-faire. Dès lors, elle conduit à une perte de compétence interne, à la déqualification de personnel. Par conséquent, elle amène, d’une part, à se mettre sous la dépendance des prestataires et d’autre part, à la difficulté ou à l’impossibilité de récupérer ou de réintégrer chez soi des tâches sous-traitées depuis des années. Les professionnels perdent la mise à jour de leurs connaissances apportées par le travail quotidien et, par ailleurs, la possibilité d’avancer et d’innover. « They see it as a clear threat to their own and to their subordinates long-term career prospects. » 145

En outre, la sous-traitance ne se limite pas à une perte des compétences mais aussi à des suppressions de postes et à une migration de l’emploi. En adoptant la sous-traitance, il y a plus de probabilité de licenciement, de non-renouvellement des postes de contractuels ou de ceux des personnels partant à la retraite. De plus, les professionnels travaillant depuis des années dans un service qui va être sous-traité risquent de ne plus trouver des emplois appropriés au sein de l’organisation. Ils risquent d’être désorientés, dévalorisés face au personnel sous-traitant considéré plus efficace. Ils mettent ainsi en cause leur raison d’être dans la bibliothèque, leur compétence et leur professionnalisation. Des problèmes psychologiques surgissent. Le personnel, ayant l’habitude de tout faire et de tout contrôler, est alors démotivé en voyant ce qu’il faisait auparavant lui-même effectué par autrui. La délégation influe ainsi sur la définition des missions de chaque acteur et sur la répartition des tâches. Cette dernière ne découle plus d’une liste de postes inscrits dans un organigramme immuable 146 . La sous-traitance constitue, aussi, un véritable changement culturel.

Par ailleurs, la délocalisation de certaines tâches peut prendre une envergure internationale. Le marché de l’emploi émigre dans les pays où la main-d’œuvre est moins chère. Une telle migration ne s’est pas limitée au milieu industriel. Elle s’est étendue au domaine des bibliothèques. Charlotte Perrin (2001) évoque l’exemple de certains travaux de GED. Les corrections des erreurs d’un OCR (Optical Character Recognition) sont menées à l’étranger. Le nombre de tels projets est en augmentation. Les contrats de travail à durée indéterminée sont devenus ainsi des exceptions.

4- L’augmentation des coûts :

Les inconvénients de la sous-traitance au niveau des coûts se manifestent principalement par :

Les coûts supplémentaires : malgré les avantages escomptés (réduction des coûts de production), la sous-traitance génère des coûts considérables. Bien qu’elle permette de réduire les coûts de production, elle augmente largement les coûts de transaction. « The outsourcing option has lower production costs and higher transaction costs as compared to the insourcing option. » 147 En effet, le coût intégral de la sous-traitance ne se limite pas au coût de la prestation défini par le contrat mais il s’étend pour englober les coûts en amont (recherche et choix de prestataires : rédaction de l’appel d’offre, dépouillement des réponses, élaboration du contrat, etc…), le coût de la gestion et du suivi et parfois les coûts en aval (le coût généré dans le cas d’une démarche de reprise en interne ou de changement de prestataire). Carolyn Macvean (1996) constate que « responsibility for managing and checking the contract costs more than performing the job inhouse. Economies of scale are made inhouse there is less likelihood of error. » 148 Les opposants à la sous-traitance rappellent que la simple connaissance des coûts internes peut améliorer l’efficacité d’une bibliothèque en lui permettant d’exploiter d’autres solutions internes sans avoir recours à la sous-traitance. Dans de nombreux cas de sous-traitance, les coûts de transaction ont représenté un critère de décision pour une telle procédure. Les coûts dus aux litiges et négociations des contrats sont parfois assez importants. L’étude élaborée, en 1994, pour le Département National du Patrimoine en Grande-Bretagne proclame que : « there must be a threshold below which the costs of pursuing a contracting process are greater than the benefits to be obtained. » 149

5- Confidentialité et sécurité des données :

Le problème de sécurité se pose d’une façon accrue contre la perte de données, la destruction de fichiers, la contamination des données par des virus, la dégradation de l’état des documents causée par leur transport d’une institution à une autre pour la reliure, etc. 

Notes
145.

Apte Uday .- Global outsourcing of information systems and processing services, 1999, Opcit, p 290 [Ils voient cela comme une menace évidente à leurs propres perspectives de carrière à long terme et celle de leur subordonnés.]

146.

JB Gilbert Probst, Jean Yves Mercier, Olivier Bruggimann.- Organisation et management, 1997, opcit, p95

147.

Apte Uday.- Global outsourcing of information systems and processing services, 1999, opcit, p292 [L’option d’externalisation a des coûts plus réduits et des coûts de transactions plus élevés par rapport à l’option d’internalisation.]

148.

[La responsabilité de la gestion et la vérification du contrat coûte plus que l'exécution du travail en interne. Les économies d'échelle sont faites en interne, il y a moins de probabilité d'erreur.]

149.

KPMG, Capital Planning Information (CPI).- Department of National Heritage (DNH) study : Contracting-out in public libraries, 12 september 1995, p64 [Il doit y avoir un seuil au dessous duquel les coûts liés au processus d’externalisation sont plus importants que les bénéfices qui en découlent.]