3.2- Objectifs et raisons

Comme nous l'avons cité auparavant, la diminution ou l'augmentation budgétaire peut amener les bibliothécaires à avoir recours à la sous-traitance. Toutefois, la situation financière n'est pas toujours la raison pour laquelle les bibliothèques ont recouru à une telle pratique. La diminution budgétaire représente la cause pour seulement 5,5% des enquêtés et l’augmentation pour 7,3% d’entre eux.

Tableau n°33 : Les raisons d'un recours à la sous-traitance
  Nb. cit. Fréq.
Dans la cas d'une diminution budgétaire 3 5,5%
Dans le cas d'une augmentation budgétaire 4 7,3%
Autre cas 50 90,9%
TOTAL OBS. 55  

Les raisons majeures, pour lesquelles les bibliothèques enquêtées ont recouru à une telle pratique, diffèrent d’une bibliothèque à une autre. Elles traduisent, cependant, pour la majorité, un état d’insuffisance. Elles constituent un palliatif à l’incapacité des mairies à engager des frais d’investissement ou de fonctionnement supplémentaires pour la construction ou l’élargissement des locaux existants, pour l’achat de matériel informatique ou pour le recrutement de personnel qualifié. En effet, ce manque subi par certaines bibliothèques, compte parmi les facteurs conduisant à l’adoption d’une telle procédure. Dès lors, la définition de la sous-traitance, telle qu’elle se révèle à partir de nos enquêtes, est une procédure permettant aux bibliothèques de répondre aux demandes des usagers dans le temps et avec le niveau de qualité exigé, d'innover l’offre, d’élaborer des projets et d’atteindre des objectifs qui n’auraient pas de chance d’exister ou, plus simplement, qui ne présenteraient pas la même qualité, s’ils se limitaient sur leurs propres moyens. La sous-traitance apparaît comme la solution qui leur permet de dépasser leurs propres limites et d'être performantes.

Comme le prononcent certains de nos interlocuteurs, « si nous n’avons ni les moyens humains, ni les possibilités techniques, soit nous abandonnons le projet, soit nous faisons appel à l’extérieur …ce qui nous génère des économies. » « Sans sous-traitance, je pense qu’on ne pourra jamais arriver, car il nous faut des locaux, du personnel compétent, donc la reliure continuera à être sous-traitée. » V59

Précisément, les principales raisons sont :

  • le manque de personnel   qualifié : pour la recherche d’une meilleure qualité d’offre et vu le manque de personnel qualifié, les responsables de bibliothèques ont fait appel à l’extérieur afin de trouver des compétences spécifiques et inexistantes au sein de leur établissement plus particulièrement dans le domaine des animations culturelles et dans celui des nouvelles technologies.
‘« Il est quand même intéressant, pour les animations, d’avoir la compétence de quelqu’un du théâtre…c’est quand même mieux que nous. Ainsi, il y a plus de choses. » V69’ ‘« A partir du moment où la bibliothèque n’a pas, en interne, la compétence, je pense qu’il vaut mieux sous-traiter que de mal faire le travail. Par exemple, je vois beaucoup d’expositions qui sont laides, je pense que si l’on avait confié le travail à un metteur en scène, cela aurait été mieux. » V59’

Un de nos interlocuteurs a révélé le problème de la formation de base de son personnel, estimant que même les formations professionnelles organisées ne permettent de surmonter certaines difficultés de fonctionnement. Par conséquent, le recours à l’extérieur pour l’application de certaines tâches, telles que les animations, demeure indispensable.

‘« On part du principe qu’on n’a pas la compétence et qu’on est obligé, pour certaines choses, de faire appel à des compétences différentes. Le personnel n’est pas assez formé et c’est un problème général ; par exemple le personnel de catégorie C que j’ai, a un niveau d’études trop bas. On a même envisagé des cours de culture générale. Pour cette catégorie, le maire peut nommer ceux qu’il veut. » R42’
  • le manque quantitatif de personnel duquel découle l’impossibilité d’intérioriser les tâches externalisées, qui implique nécessairement le recrutement de personnel supplémentaire, recrutement indiquent nos interlocuteurs, très difficile à obtenir.
‘« La conversion rétrospective des fichiers est impossible compte tenu du personnel en nombre restreint… On était bien obligé de faire ça (achat des notices) car on ne peut pas tout faire avec nos petites mains » V69 ’

La sous-traitance représente un moyen permettant d’assurer un fonctionnement normal tout en faisant face au manque de personnel et au refus continu des tutelles pour le recrutement.

‘« Dans les années à venir, je pense qu’on sera appelé de plus en plus à sous-traiter cet équipement parce que la mairie veut à la fois stabiliser les effectifs et avoir des horaires d’ouverture au public plus large, donc on ne peut pas tout faire, être au service du public et libérer le personnel de ces tâches là (équipement et traitement des documents). » V94’
  • le manque de matériel et d’espace  pour la création de certains services en interne, spécifiquement pour la reliure. De nombreuses bibliothèques enquêtées ne possèdent pas d’ateliers de reliure en interne et se trouvent dans l’impossibilité d’en constituer un.
‘« Ce recours fait partie de l’histoire de la bibliothèque qui n’a jamais eu un local suffisamment adapté et non plus le nombre de personnel et les compétences qui nous permettraient d’effectuer tous les travaux. Je pense qu’on n’a pas cherché non plus à les développer. » [P95, B18]’
  • L’ampleur des projets d’informatisation et de numérisation des fonds patrimoniaux  : le temps qu’exigent de tels projets n’a pas permis aux professionnels d’assurer parallèlement leurs tâches quotidiennes. En effet, certains responsables de bibliothèques semblent trouver dans la sous-traitance un mode temporaire de fonctionnement pour faire face à des charges de travail momentanées.
‘« L’idée de sous-traitance est survenue avec l’informatisation. Notre objectif était de gagner du temps sur la saisie. » V69’

La lourdeur et la longueur de telles opérations ont conduit certains responsables de bibliothèques à fermer ou à envisager la fermeture totale ou partielle de leurs établissements durant certaines périodes.

D’autres raisons ont conduit les responsables des bibliothèques à avoir recours à l’extérieur pour exécuter certaines tâches. Citons par exemple

  • la volonté de mobiliser les compétences existantes au sein de la bibliothèque pour remplir des tâches plus gratifiantes.
‘« On a un relieur spécialisé dans les livres anciens, qui est en train de relier les grands romans, les best-sellers et c’est dommage que ses compétences d’ouvrier spécialisé, soient utilisées à relier des livres qui peuvent êtes faits industriellement. » A61 ’
  • l’impossibilité de suivre la rapide évolution technologique et la volonté de modernisation et d’être à jour.
‘« Les techniques et le matériel évoluent tellement vite que je pense que c’est peut-être une bonne solution de passer par un prestataire de service, pour la numérisation et la mise en ligne des documents… C’est une sécurité peut être. » V59’

Pour certaines bibliothèques, la sous-traitance est aussi une réponse aux directives des mairies, pour l’inauguration d’une médiathèque à une date précise ou encore pour la reproduction des actions culturelles autour de la lecture en multipliant les acteurs (autres que les bibliothécaires).

A l’inverse, d’autres facteurs concourent à ralentir ou à entraver le recours à l’extérieur. Il s’agit en premier lieu, du cadre administratif et des lois de comptabilité publique qui régissent les BM. Ils découragent aussi bien les intervenants extérieurs que les responsables des bibliothèques. La procédure de paiement pour la préparation des devis et des factures est assez longue et lourde. Le paiement des intervenants peut ainsi durer plus de deux mois après leur intervention. [R42, V59]

Mentionnons en second lieu la situation géographique de la ville par rapport à ses prestataires. Il est plus facile et l'incitation est plus grande de faire appel, à titre d’exemple, à des entreprises pour la reliure ou pour la numérisation des documents quand elles existent à proximité ou au sein de la ville. « Etre loin de tout ne permet pas d'envisager une telle solution. »

Il faut ajouter à cela, la position des responsables politiques, pour lesquels la sous-traitance ne peut être justifiée au sein des bibliothèques. Le personnel recruté est nécessairement formé, il est donc apte à tout effectuer en interne. C’est pourquoi, ils maintiennent que la sous-traitance ne peut être engagée que lorsqu’on atteint les limites des bibliothécaires. Elle ne doit ainsi concerner que les services qui ne relèvent pas des compétences des bibliothécaires recrutés tels que l’entretien technique des machines informatiques. Dès lors, pour les élus, les effectifs, en particulier ceux du personnel qualifié, représentent un indicateur conditionnant leur acceptation d’une telle procédure.

Sur ce point, il est à noter que les responsables politiques ignorent très souvent qu’un tel recors est envisageable au sein des bibliothèques. C’est là une méconnaissance que les professionnels entretiennent volontiers afin de préserver la création de postes. Globalement, leur réflexion concerne plutôt l’application de la sous-traitance dans le domaine public. Pour certains d’entre eux, les intérêts économiques motivent un tel recours; mais sans que le service public se transforme à un ensemble d'opérations de sous-traitance.

‘« Il ne faut pas non plus que ça devienne une règle en la matière sinon, votre service public ne sert à rien et ce n’est plus logique. » V59 ’

D’autres en revanche sont amenés, pour des raisons idéologiques à rejeter en bloc un tel recours. Leur fierté est de pouvoir tout assurer et de ne rien céder au privé. Seule l’externalisation auprès des prestataires publics apparaît acceptable.

‘« Je suis tout à fait contre la sous-traitance dans le service public, on sous-traite rien et surtout rien au privé parce que le service public est le service public. C’est un choix politique. Peut être ça nous coûtera beaucoup moins cher si on sous-traite mais, politiquement, on s’oppose absolument à ça. On n’est pas trop libéral de ce côté. On donne au privé uniquement quand on n’a pas le choix. Public-public ce n’est pas un problème. » P86’