b) L’ethnométhodologie et son prolongement : l’Analyse Conversationnelle

Proche de l’ethnographie de la communication, l’ethnométhodologie apparaît à la fin des années 50 sous l’impulsion de Garfinkel. Ses sources d’inspiration sont diverses et relèvent, par exemple, de la phénoménologie sociale de Schütz et de l’interactionnisme symbolique de Mead et de l’école de Chicago. L’ethnométhodologie revendique son appartenance à la sociologie tout en se positionnant en rupture avec la sociologie traditionnelle : elle se caractérise

‘(…) par une approche dynamique de l’ordre social qui accorde une place centrale au point de vue des acteurs observés dans leur vie quotidienne : à la conception durkheimienne “des faits sociaux comme des choses” déjà données et de l’individu soumis à des déterminismes sociaux, H. Garfinkel substitue la vision de l’ordre social comme résultant d’une construction incessante et interactive, lisible dans les procédures mises en œuvre par les partenaires sociaux dans leurs activités quotidiennes. (S. Bruxelles, in Charaudeau et Maingueneau, 2002 : 236)’

Dans cette perspective, les acteurs sociaux ne sont plus des « idiots culturels » 26 . Ils mobilisent au contraire des connaissances, des savoir-faire, des règles de conduite ou encore des routines dans un « bricolage permanent » (Coulon 1987 : 28) 27 pour réaliser et rendre signifiantes leurs actions, et par là, construire la réalité sociale. Aussi le travail de l’ethnométhodologue est-il d’« identifier les opérations à travers lesquelles les gens se rendent compte et rendent compte de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font dans des actions courantes et dans des contextes d’interaction variés. » (Matterlart, 1997 : 76). Cet intérêt pour les actions banales de la vie sociale fait du comportement verbal une ressource centrale.

L’activité verbale s’est progressivement détachée des nombreuses activités sociales étudiées par l’ethnométhodologie pour constituer, à la fin des années 70, un domaine de recherche autonome : l’Analyse Conversationnelle (« Conversation Analysis », CA). Pour Sacks et ses collaborateurs, Schegloff et Jefferson, l’objectif est de décrire le déroulement des situations quotidiennes en situation naturelle :

‘(…) les conversations apparaissent comme un lieu privilégié d’observation des organisations sociales dans leur ensemble, dont elles ne sont qu’une forme particulière, et particulièrement exemplaire : on y voit comment les participants recourent à des techniques institutionnalisées pour effectuer en commun la gestion des différentes tâches qu’ils ont à accomplir (assurer l’alternance des tours de parole, “réparer” les éventuelles défaillances de l’échange communicatif, conduire un récit ou une description, mener à bien la négociation des thèmes, de l’ouverture et de la clôture des conversations, etc.). (…) Cette approche constituant en quelque sorte le versant linguistique de l’ethnométhodologie (…) (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 64)’

L’apport méthodologique de l’analyse conversationnelle est déterminant. Dans la mesure où elle se fonde exclusivement sur l’analyse minutieuse d’interactions enregistrées et transcrites, ces procédures de constitution des corpus sont largement développées dans les ouvrages relevant de ce courant de recherche 28 .

Notes
26.

Cette expression a été proposée par Garfinkel (« judgmental dopes »). Des auteurs comme De Luze (1997) ou Windish (1990) font référence à cette conception de la sociologie traditionnelle qui envisage « un individu entièrement façonné et déterminé par la société ; un individu sans autonomie, sans action et initiative propres » (Windisch, 1990). Cet individu est surtout dépourvu de toute capacité d’analyser son propre comportement.

27.

Coulon cité par Bruxelles, in Charaudeau et Maingueneau (2002 : 236).

28.

Nous reviendrons sur les procédés de constitution des corpus sous le point 4 de cette partie introductive.