0.2.2.L’Analyse du Discours en Interaction

0.2.2.1. Origine et principes

La formule la plus adaptée pour qualifier les travaux de l’école lyonnaise dont nous nous réclamons semble être Analyse du Discours en Interaction (ADI) 31 . Cette expression, proposée par Kerbrat-Orecchioni (2001), est construite sur le syntagme « talk‑in‑interaction » créé par Schegloff afin de préciser l’objet de l’Analyse Conversationnelle (CA). En effet, un certain flottement pouvait entourer l’objet d’étude réel de la CA. Le terme « conversation » peut renvoyer à un usage spécifique (la « conversation ordinaire », érigée comme prototype de l’interaction), ou à un usage plus générique. Dès ses tout premiers travaux, la CA considère la conversation dans son sens le plus large :

‘I use “conversation” in an inclusive way. I do not intend to restrict its reference to the “civilized art of talk” or to “cultured interchange” […], to insist on its casual character thereby excluding service contacts, or to require that it be sociable, joint action, identity related, etc. (Schegloff, 1968 : 1075) 32

Mais plus tard, face à la polysémie du terme « conversation » et à l’ambiguïté qu’elle entraîne, Schegloff propose de parler de « talk-in-interaction ».

‘(…) the data and research enterprises of CA have never been exclusively focused on ordinary conversation. On the contrary, CA research has been developed in relation to a wide range of data corpora. Indeed, it is for this reason that the term “talk-in-interaction” (Schegloff […]) has come to be generally used, in preference to “conversation”, to refer to the object of CA research. (Drew et Heritage, 1992 : 4)’

L’expression « Analyse du Discours en Interaction » se construit ainsi sur ce schéma mais l’usage du mot « discours » prend la place de « parole » (traduction plus littérale de « talk ») pour expliciter la volonté de se démarquer de l’Analyse Conversationnelle stricto sensu. Le terme « discours » est au contraire choisi pour marquer un lien avec le courant de l’Analyse du Discours (AD) 33 . Sans rejeter la CA ni l’AD, l’Analyse du Discours en Interaction s’épanouit donc dans une « zone d’intersection » entre la CA et l’AD. Kerbrat-Orecchioni décrit l’ADI en ces termes :

‘(1) l’objet qui nous intéresse : ce sont toutes les formes de discours échangé, qui mettent en présence deux personnes au moins, et dont le fonctionnement est non seulement dialogique mais dialogal ; le discours est “polygéré”, c’est une construction collective, le produit d’un “travail collaboratif” ;
(2) la méthode que nous revendiquons : elle exploite à la fois les acquis de l’analyse du discours et les apports de l’approche interactionniste, et d’abord de l’analyse conversationnelle stricto sensu (Conversation Analysis ou CA), qui a mis en place des outils fort efficaces pour rendre compte du travail de co-construction des conversations (ou plus généralement, du talk-in-interaction). (Kerbrat‑Orecchioni, 2001 : 95)’

L’Analyse Conversationnelle et l’Analyse du Discours ne sont alors plus considérés comme deux courants opposés :

‘In the wake of Levinson (…) Discourse Analysis and Conversation Analysis (henceforth DA and CA respectively) have often been opposed, due to their different “styles of analysis”. However, if we accept that any discipline is defined essentially by its object of investigation rather than by its particular approach, then we can say that analyzing conversations is always part of discourse analysis, since conversations are specific kind of discourse. (Kerbrat-Orecchioni, à paraître) 34
Notes
31.

L’Analyse du Discours en Interaction ne s’oppose en aucun cas à l’« analyse des interactions verbales » précédemment envisagée. En effet, « “interactional linguistics” or “verbal interaction analysis” would also be suitable terms here as they refer [like ADI] to the study of different types of interactions (reciprocal action systems) performed by mainly linguistics means. » (Kerbrat-Orecchioni, à paraître).

32.

Extrait cité par Traverso, in Charaudeau et Maingueneau (2002 : 142).

33.

Une autre raison est invoquée par Kerbrat-Orecchioni :

(…) certain types of oral discourse are therefore barely interactive, whereas certain types of written discourse such as Internet Relay Chats are to some extent, interactive. For this reason, I prefer to use “discourse-in-interaction” rather than “talk-in-interaction”. (Kerbrat-Orecchioni, à paraître)

34.

Sur les caractéristiques communes et les divergences entre l’analyse conversationnelle et l’analyse du discours, voir Thomsen (2000 : Chapitre 2).