b) L’analyse de l’interaction en niveaux de fonctionnement

L’interaction fonctionne sur différentes niveaux parmi lesquels le niveau relationnel. La théorie du « face-work », dont Goffman pose les bases, est reprise par Brown et Levinson (1978 et 1987) dans leur modèle de la politesse linguistique. Il s’agit de tout ce qu’entreprend une personne pour que ses actions ne fassent perdre la face à personne (y compris à elle-même). Les notions de « territoire » et de « face » de Goffman sont rebaptisées « face négative » et « face positive », et les actes de langage sont envisagés en tant qu’ils sont susceptibles de provoquer une menace pour une des faces du ou des participants en présence. Certains actes pouvant comporter un caractère valorisant, Kerbrat-Orecchioni (1992) propose la distinction entre les « Face Threatening Acts » (FTAs) et les « Face Flattering Acts » (FFAs) 39 .

Aux outils proposés par ce modèle de la politesse linguistique et par l’analyse en rangs de l’école de Genève s’ajoutent ceux des courants interactionnistes (notamment l’analyse conversationnelle) et linguistiques (modèles austino-searlien ou gricéen), présentés plus haut, qui ont orienté la linguistique française sur la piste de l’analyse des interactions verbales : « (…) nous estimons que l’ADI a tout à gagner à adopter une stratégie de « mixage » sans complexe des modèles et outils descriptifs disponibles (…) » (Kerbrat-Orecchioni, 2001 : 96). Ce cadre de recherche pratique, et revendique, une approche « éclectique ». Ce qualificatif est employé malgré la connotation péjorative qu’il peut véhiculer. Il ne s’agit pas pour l’ADI de rassembler naïvement des outils d’origines diverses sans qu’une réflexion soit menée sur leurs possibles combinaisons. Le terme « éclectisme » est tout à fait représentatif du courant qu’est l’Analyse du Discours en Interaction. Il est d’autant plus assumé qu’il repose sur « the controlled use of different, compatible approaches » (Kerbrat-Orecchioni, à paraître) 40 .

Notes
39.

Le modèle de la politesse linguistique, tel qu’il a été élaboré par Brown et Levinson puis repris par Kerbrat‑Orecchioni, sera notamment exploité dans la Première Partie de ce travail.

40.

Comme noté par Kerbrat-Orecchioni (1990 : 7), l’« éclectisme » est revendiqué par nombre d’auteurs dont de Salins :

Tout clairement, j’avoue me sentir plus franchement à l’aise dans une démarche qui va du terrain d’observation à des données théoriques variées que je m’autorise à choisir librement, selon l’objet et les résultats de mes investigations. Je n’adopte donc pas systématiquement un type de grille ni une méthode pré-établie (…). Il ne me semble pas judicieux de contraindre, bon gré mal gré, mon corpus d’observation à se soumettre à une grille précise —ce qui peut paraître fort peu scientifique, mais à quoi bon s’évertuer, par respect ou par foi en une scientificité, à martyriser un corpus pour le forcer à satisfaire aux lois d’une théorie choisie parmi d’autres ? (de Salins, 1988 : 10)