0.3.1. Les interactions de Vente Directe dans la typologie

0.3.1.1. Interaction de travail, interaction institutionnelle

Les rencontres qui naissent de démarches de Vente Directe font partie des interactions de travail mais n’en sont qu’un sous-type 58 . Une interaction de travail prototypique est une interaction dans laquelle chacun des deux participants engagés dans la rencontre poursuit un objectif professionnel. Or, dans la vente à domicile effectuée auprès de particuliers et non d’acheteurs professionnels, seul le démarcheur exerce son métier. Ce métier consiste d’ailleurs à solliciter une personne privée qui peut, en quelque sorte, accepter de participer à une interaction de travail. Le particulier démarché n’en perd pas pour autant son statut de « non-professionnel ». Il aide simplement son interlocuteur à effectuer son travail.

Le fait que seul un des deux participants à une interaction ait un statut professionnel est envisagé dans la définition des « institutional interactions ». En introduction de leur ouvrage collectif intitulé « Talk at Work », Drew et Heritage précisent que :

‘the interactions that are analyzed here are basically task-related and they involve at least one participant who represents a formal organization of some kind. The tasks of these interactions (…) are primarily accomplished through the exchange of talk between professional and lay persons. So the title of this volume, Talk at Work, refers to this : that talk-in-interaction is the principle means through which lay persons pursue various practical goals and the central medium through which the daily working activities of many professionals and organizational representatives are conducted. We will use the term « institutional interaction » to refer to talk of this kind. (Drew et Heritage, 1992 : 3)’

Ce que les auteurs considèrent comme relevant des « institutional interactions » est vaste. Les situations qui sont analysées ont lieu dans des sites aussi variés que l’école, les salles d’audience, les consultations médicales, les entretiens de recrutements, etc. Les auteurs font ressortir que

‘(…) les interactions institutionnelles sont des interactions inégalitaires construites autour d’objectifs d’action pré‑établis avec une orientation générale de la communication qui privilégie les tâches et fonctions institutionnelles. (Witko, 2001 : 30)’

Les interactions commerciales partagent avec les interactions institutionnelles de nombreux traits définitoires (interactions complémentaires, objectifs d’action pré‑établis 59 , orientation générale fonctionnelle). La seule inconnue réside dans l’emploi qui est fait du terme « institutionnel ». Le mot anglais semble correspondre à une réalité plus large que l’emploi français mais Drew et Heritage n’explicitent pas pour autant le fait que les interactions de commerce font partie des interactions institutionnelles. S’ils ne le précisent pas, ils ne l’excluent pas non plus 60 . Un vendeur est un professionnel mais peut‑il être considéré comme le représentant d’une institution ? Cette idée de « représentant d’une institution » semble plus adaptée à un agent municipal dont le rôle est effectivement d’être l’intermédiaire entre une institution, la mairie, et une personne privée. Mais, de la même manière, un vendeur qui exerce dans une succursale d’une grande entreprise en est-il le représentant ? Peut-être faut-il considérer, en suivant de Salins, les interactions commerciales comme des interactions qui « ont lieu systématiquement entre deux acteurs dont l’un est nécessairement “institutionnalisé” et donc payé pour recevoir les demandes de l’autre » (1988 : 62). Ce serait alors à ce titre que les interactions de Vente Directe pourraient faire partie de la famille des interactions institutionnelles.

Le fait que l’interaction se déroule sur un site privé et non dans un cadre spatial officiel n’exclut pas la possibilité de la considérer comme une interaction institutionnelle :

‘Institutional interactions may take place face to face or over the telephone. They may occur within a designated physical setting, for example a hospital, courtroom, or educational establishment, but they are by no means restricted to such settings. Just as people in a workplace may talk together about matters unconnected with their work, so too places not usually considered « institutional », for example private home, may become the settings for work-related interactions. Thus the institutionality of an interaction is not determined by its setting. Rather, interaction is institutional insofar as participants’ institutional or professional identities are somehow made relevant to the work activities in which they are engaged. (Drew et Heritage, 1992 : 3-4)’

Et le statut professionnel du démarcheur est bien présent. Il sollicite un particulier et explicite son objectif professionnel. Il s’agit donc bien pour lui de développer une interaction de travail et il le fait avec quelqu’un de non-professionnel puisque son interlocuteur est une personne privée qu’il sollicite sur son lieu de résidence. L’interaction qu’il propose fait partie des interactions de travail mais n’en est pas un représentant de premier plan. L’analyse des interactions en situation de travail ouvre un champ de recherche particulier. L’intérêt est porté au discours en tant qu’il est une source analytique précieuse pour décrire les formes très variées de la coopération au travail 61 . Aussi, même si dans une interaction de Vente Directe le particulier coopère, ce n’est pas cet élément qui fait la particularité de la rencontre. L’aspect « situation de travail » de l’interaction de Vente Directe n’est alors envisagé que secondairement. La priorité est donnée à son caractère commercial.

Notes
58.

L’interaction de commerce n’est même qu’un sous-sous-type d’interaction de travail si l’on considère qu’elle est un sous-type d’interaction de service (au sens de « service encounter » tel que défini par Merritt 1976 ou Aston 1988), elle même sous-type des interactions de travail.

59.

Les interactions de commerce supposent des scripts qui déterminent des séquences d’action. Il en sera question dans la suite de ce travail.

60.

Les conditions que Heritage propose « to probe the ‘institutionality’ of interaction » (Heritage, 1997 : 164 sqq.), à savoir « turn-taking organization », « overall structural organization of the interaction », « sequence organization », « turn design », « lexical choice », « epistemological and other forms of asymmetry », ne semblent d’ailleurs pas s’opposer à la catégorisation des interactions de commerce comme institutionnelles.

61.

Voir notamment Schmidt (1994) sur les différents types de coopération et Grosjean et Lacoste (1999) sur les fonctions de cette coopération.