0.3.2.3. Une interaction de commerce déguisée en enquête

Il nous est pourtant difficile de partir du postulat que l’interaction qui fait l’objet de notre étude est une « enquête menant à la vente ». La raison qui nous amène à hésiter à retenir cette catégorie est que le vendeur se défend de réaliser une enquête à des fins commerciales. Lorsque le particulier évoque une telle finalité, le vendeur la conteste. Reprenons les interactions n°4 et 44 présentées plus haut.

Interaction n°4 :’ ‘18 V : on f- fait une petite enquête est-ce que vous avez quelques p’tites minutes à [nous accorder/ (.) vous avez pas bien l’temps/’ ‘19 C : [ah non (.) non non parce que non (.) parce que bon heu: j’ai: mon kiné qui vien:t (.) j’ai tout ça: heu= (inaudible)’ ‘[…]’ ‘23 C : si c’est pour vendre quelque chose c’est pas la peine [j’vous l’dis tout d’suite’ ‘24 V : [non j’vous rassure c’est pou:r ne rien vendre du tout’ ‘25 C : c’est: ben: des livres (.) sûr vous vendez des livres’ ‘26 V : non ’ ‘[…]’ ‘30 C : [((RIRES)) non non parce que j’achète rien moi oh la la’ ‘31 V : ben ça tombe bien parce que je vend rien’ ‘32 C : ah bon (.) [alors qu’est-ce que vous voulez alors/’ ‘33 V : [donc heu: (.) ben c’est juste pour savoir comment les gens s’informent (.) (si) c’est avec la radio la télévision les journaux (.) c’est pas pour vendre des livres’ ‘ Interaction n°44 :’ ‘9 V : une petite enquête qu’on faisait auprès des habitants du quartier’ ‘10 C : qui concerne/=’ ‘11 V : =les moyens d’information qu’vous utilisez=’ ‘12 C : =les moyens d’information et qui concerne/ (.) [plus exactement/ (.) (inaudible)’ ‘13 V : [ben radio: télévision: journaux revues Minitel Internet heu:=’ ‘14 C : =pour en arriver à quoi/ (.) pour être plu:s rapide ((RIRES))’ ‘15 V : et ben pour en arriver à quoi ben à ça=’ ‘16 C : =simplement non/ vous avez pas après (il n’)y a rien [de:’ ‘17 V : [alors non après (il n’)y a pas d’ventes’

Dans ces deux extraits, lorsque le particulier émet l’hypothèse d’une finalité commerciale, le démarcheur la repousse fermement en assurant qu’il ne poursuit pas un tel objectif. Dans l’interaction n°4, il affirme même à plusieurs reprises qu’il ne vend rien (24V et 31V), et surtout pas de livres (33V). De telles réactions du démarcheur montrent qu’il n’est pas question pour lui de proposer officiellement une « enquête menant à la vente ». En fait, s’il présente l’interaction comme une enquête, c’est pour voiler son objectif commercial 72 . Alors qu’il est un vendeur et que c’est cette identité et les priorités qui lui sont associées qui motivent sa démarche, il ne dit pas effectuer une visite commerciale, ni même une enquête menant à la vente mais une enquête, réalisée pour elle-même 73 .

Dans la mesure où nous suivons le vendeur et où c’est avant tout son discours que nous étudions, nous sommes tentée de catégoriser l’interaction qui naît de démarches de vente à domicile comme relevant du type « commerce ». Il s’agirait alors d’une interaction de commerce, déguisée en enquête, mais une interaction de commerce avant tout. En effet, même si c’est une enquête qui est annoncée et que l’interaction, lorsque le particulier accepte de la poursuivre, répond bel et bien à une structure question/réponse 74 , l’objectif poursuivi est si fortement commercial qu’il prend le dessus sur tout autre critère qui permettrait de définir l’interaction différemment. L’interaction est clairement construite pour atteindre l’objectif commercial, et nul autre. Simuler l’enquête est un moyen de parvenir à cet objectif. Le démarcheur est ainsi avant tout un vendeur et il perçoit avant tout son interlocuteur comme un client potentiel. Ce sont donc les rôles de vendeur et de client, et ainsi le caractère commercial de l’interaction, qui dominent.

Notes
72.

Pour le vendeur, l’intérêt de simuler l’enquête est double : les Chapitres 1 et 5 montreront respectivement qu’à l’ouverture de la porte, le recours à l’enquête permet de mieux faire accepter l’interaction au particulier (un enquêteur semble être plus facilement accueilli qu’un vendeur), et que dans la suite de la rencontre les réponses que le particulier apporte à l’enquêteur sont précieuses pour la réussite de l’objectif commercial.

73.

Dans l’interaction n°4, il reprendra d’ailleurs, pour clore le débat sur la possibilité d’une finalité commerciale, « c’est juste une enquête » (39V).

74.

Comme nous l’avons déjà précisé, le corpus présente en effet des échanges relevant typiquement de l’enquête comme :

Interaction n°52 :

38 V : […] combien d’personnes vivent dans votre foyer/

39 C : on est quatre

40 V : quatre heu deux enfants/=

41 C : =mm