0.3.4. Conclusion : quel type d’interaction est retenu, soyons claire

La définition que nous allons donner de l’interaction objet de notre étude est donc influencée par un méta-savoir déséquilibré, c’est-à-dire nourrie davantage par le point de vue du démarcheur sur l’interaction que par celui du particulier. Elle est également motivée par le fait que nous étudions plus spécifiquement le discours du vendeur. Les critères retenus sont ceux qui se basent sur le cadre externe de cet événement de communication 87 . L’interaction sera donc considérée comme une interaction de commerce. Comme nous l’avons présenté plus haut, c’est plus exactement une « interaction de commerce déguisée en enquête » mais cette précision n’enlève rien au fait que le démarcheur est bien un vendeur, qu’il perçoit son interlocuteur comme un client potentiel et qu’il poursuit un objectif commercial.

Cette définition ne va pas forcément à l’encontre de la vision que le particulier a de l’interaction. Puisque « les participants à une interaction possèdent bien, lorsqu’ils s’engagent dans un échange, certains savoirs préalables sur les caractéristiques de cet échange » (Kerbrat-Orecchioni et Traverso, 2004), il est plus que probable que le particulier ne se contente pas des critères internes à l’interaction, à savoir ceux qui la présentent comme une enquête, pour la définir. Il n’est ainsi aucunement exclu, même si nous ne pouvons pas en être certaine, que le particulier perçoive bien l’interaction comme ayant une finalité commerciale et non celle d’une enquête.

Mais que faire des séquences d’échanges questions/réponses observés dans les interactions ? On ne peut pas dire que l’enquête annoncée ne se réalise pas. En fait, le but final de la vente est atteint grâce à la réalisation d’objectifs plus ponctuels comme celui de mener une enquête. L’enquête qui se déroule n’est cependant pas une enquête sociologique mais une enquête sur la personnalité du client potentiel que représente le particulier. Elle permet au vendeur de choisir le produit qui conviendrait le mieux à son interlocuteur 88 . L’enquête a donc la fonction de servir l’objectif transactionnel (seul le vendeur en est assurément conscient) et c’est pour cette raison qu’elle n’est qu’une étape d’une interaction résolument commerciale. Selon les termes de Kerbrat-Orecchioni et Traverso (2004), on peut dire que s’articule alors un G2 « enquête » dans un G1 « commerce ».

‘G1 : catégories de textes plus ou moins institutionnalisés dans une société donnée. Certains préconisent le mot “genre” à cette sorte d’objets (en référence à la tradition des “genres littéraires”) (…) G2 : “types” plus abstraits de discours caractérisés par certains traits de nature rhétorico-pragmatique, ou relevant de leur organisation discursive. (Kerbrat‑Orecchioni et Traverso, 2004)’

Dans la mesure où nous ne retenons pas l’hypothèse que l’interaction est véritablement une « enquête menant à la vente », il n’y a pas deux moments successifs « enquête » et « vente », positionnés au même niveau (c’est-à-dire tous deux G2) et tous deux constitutifs d’un genre plus large : le genre (ou G1) « enquête menant à la vente ». Puisque nous posons l’interaction comme une interaction commerciale et que nous établissons que l’enquête est un type de discours de ce genre interactionnel « commerce », l’enquête et la vente ne se situent pas au même niveau hiérarchique. L’un est constitutif de l’autre. Dans le système de la Vente Directe ici décrit, l’activité discursive « enquête » est une étape constitutive du type d’interaction « commerce » 89 .

Soulignons qu’en analysant les interactions commerciales développées dans le système de la Vente Directe, nous nous rapprocherons de deux autres types d’interactions, éloignés l’un de l’autre : les interactions de travail et les interactions familières. Tout d’abord, comme nous étudions le discours du vendeur produit, pour lui, dans une situation de travail, nous envisagerons quelques activités constitutives des interactions de travail. Nous les aborderons néanmoins, comme précisé plus haut, en tant qu’elles permettent de réussir l’objectif commercial de cette interaction commerciale 90 . Ensuite, nous étudierons une autre particularité de cette interaction de commerce : son site. Le fait que celle-ci soit développée dans un site privé, et non pas dans un site officiel tel le petit commerce, est tout à fait spécifique et nous relèverons des traces de cette situation originale. Nous montrerons que l’interaction se sert de ce cadre spatial propre aux interactions familières pour se donner des « effets de familiarité » et ainsi rapprocher le client potentiel du vendeur 91 .

Notes
87.

Selon la terminologie d’Aston (1988b : 26), notre approche relève du type « top-down », c’est-à-dire partant des traits situationnels pour décrire l’interaction, et non « bottom-up » qui vise à reconstituer l’activité à partir du discours lui-même.

88.

Dans notre corpus, le vendeur s’aide des réponses de l’enquêté pour choisir une encyclopédie parmi la dizaine disponible. Le Chapitre 5 montrera comment l’enquête est orientée à cette fin.

89.

Le Chapitre 6 montrera que l’interaction débute bien sur une enquête mais que diverses traces révèlent une interaction commerciale sous-jacente. L’activité discursive « enquête » ne précède donc pas le moment de la vente mais est radicalement inscrite dans ce type qu’est l’interaction commerciale.

90.

Une activité de travail telle que le report graphique des réponses de l’enquêté fera l’objet du Chapitre 8.

91.

Le vendeur produit par exemple des commentaires de site comme « oh c’est sympa les tables comme ça » (voir point 4.2.1.1).