0.4.1.1. Le choix des situations : la vente à domicile ou « Vente Directe » en systématique

a) choix du terrain : la Vente Directe

Le choix des situations est la première étape de la démarche d’analyse des interactions. Ce choix n’est pas sans suggérer un certain regard sur les données qui seront recueillies. En effet, « (…) même si l’on parle de démarche “conduite par les données”, le choix des situations dépend d’hypothèses préalables générales sur ce qu’on cherche et sur les situations susceptibles de le procurer » (Traverso, 1999 : 22). Aussi le choix du terrain de la vente à domicile a-t-il été effectué dans un cadre de réflexion plus général sur les interactions en situations de commerce. Commençons par définir ce à quoi renvoie exactement la Vente Directe.

La Vente Directe, nom officiel de la vente à domicile, est la troisième voie de la distribution après la vente en magasin et la vente par correspondance. Ce type de démarche commerciale comprend le contact avec des clients potentiels, la présentation et la démonstration de produits (qui peuvent être des biens ou des services), la prise de commande et éventuellement, dans le cas de la vente d’un bien, la livraison de la marchandise, puis la perception d’un paiement. Les clients potentiels sont visités soit à leur domicile ou au domicile d’un tiers, soit sur leur lieu de travail ou en des endroits similaires, mais dans tous les cas hors des magasins.

C’est cette caractéristique qui nous a fait nous intéresser à la Vente Directe. Face à un ensemble d’études menées par différents chercheurs du laboratoire ICAR sur les interactions dans les commerces 103 , une rencontre commerciale développée hors-site a éveillé notre intérêt. Pour être au plus près du commerce le plus ordinaire, c'est-à-dire tel qu’il met en scène un client désirant acquérir un bien, nous nous sommes orientée vers les démarches de Vente Directe effectuées auprès d’un client potentiel isolé 104 , sollicité pour l’achat d’un bien (et non d’un service). Nous avons également fait le choix d’un client ordinaire, et non d’un acheteur professionnel travaillant pour une entreprise ; c’est pour cette raison que les démarches qui font l’objet de notre étude relèvent du porte à porte : le vendeur se rend successivement au domicile de différents particuliers, et ceci sans qu’ils en aient été préalablement avertis 105 .

Initialement, notre démarche de recherche s’inscrivait dans une continuité avec les analyses menées dans des sites commerciaux (tels que boulangerie, librairie, etc.) car elle comptait pointer les différences formelles engendrées par le fait que l’interaction transactionnelle se déroule hors-site et que ce soit le vendeur qui sollicite le client et non l’inverse 106 . Le programme « Commerces » visait à dégager les règles qui sous-tendent le fonctionnement des échanges commerciaux. Les études sur corpus qui ont été développées dans ce cadre s’articulent autour de quatre principaux pôles 107  : la mise à jour de scripts, la présence de développements hors-script que sont les échanges conversationnels, l’emploi de la politesse linguistique ou encore le rapport de places entre les interactants 108 . Ces axes semblaient pouvoir s’appliquer à l’étude de démarches commerciales de Vente Directe et une analyse comparative entre interactions de commerce en site et interactions de commerce hors-site était envisageable.

Notes
103.

Le programme de recherche « Commerces », dirigé par V. Traverso et C. Kerbrat-Orecchioni, est né au sein du GRIC (Groupe de Recherche sur les Interactions Communicatives) en 1997. Les principaux travaux issus de ce projet sont Dumas (2003) et, dans une perspective interculturelle, Trinh (2002), Hmed (2003), Dimachki (2004).

104.

Nous avons écarté les démarches de vente en réunion dans lesquelles le vendeur présente des produits au domicile d’une hôtesse qui invite pour cette occasion d’autres personnes.

105.

Nous n’avons pas intégré dans notre objet d’analyse certaines démarches effectuées auprès de clients choisis (soit parce qu’ils sont d’anciens clients de la société de vente, soit parce qu’ils sont parrainés par d’autres particuliers démarchés, etc.) et qui sont précédées d’un premier contact téléphonique. Cet appel est l’occasion d’une prise de rendez-vous qui place le particulier dans l’attente d’une visite dont il connaît les raisons.

106.

Dans une interaction en site commercial, c’est le client, en franchissant la porte d’entrée du magasin, qui sollicite le vendeur. Dans un petit commerce, tel tabac-presse ou boucherie, l’ouverture de la porte tient d’ailleurs lieu de sommation (voir respectivement Dumas [2003] et Hmed [2003]).

107.

Cette articulation est révélée par le travail de Dumas (2003 : 42-43).

108.

Un autre axe de recherche s’est ouvert sur des études comparatives interculturelles telles que France‑Vietnam (Thrin, 2002) France-Tunisie (Hmed, 2003) ou encore France-Liban (Dimachki, 2004), comme précisé précédemment.