b) Le recueil des données

Nous avons nous-mêmes recueilli les données en nous déplaçant sur le terrain au gré des démarches du vendeur. Cette méthode n’allait pas de soi au moment de notre entrée sur le terrain car deux accords restaient à obtenir : celui du directeur d’agence puis celui des vendeurs eux-mêmes 119 . L’accord du directeur nous a d’abord semblé inaccessible. Nous nous sommes tout d’abord présentée comme une étudiante en linguistique désireuse de travailler sur les rencontres commerciales. Un accueil chaleureux nous a été fait et nous avons rapidement été mise en contact avec une équipe de vendeurs 120 . Ce n’est que lors de discussions avec le directeur d’agence et le responsable de l’équipe que notre objectif a été déclaré : enregistrer les rencontres 121 . Cette méthode a surpris par son originalité mais n’a pas posé de problèmes d’anonymat, de secret professionnel ou même d’« espionnage ». Il nous a suffit de préciser que nous travaillions sur la parole vive, que l’enregistrement était indispensable à l’analyse minutieuse des marques linguistiques et de donner pour exemple la « petite baguette » demandée dans une boulangerie 122 pour que l’idée d’une politesse linguistique les amuse et les convainque 123 .

Une fois l’accord du directeur et du responsable d’équipe obtenu, il nous restait à trouver des vendeurs volontaires. Intéressés par nos recherches — et assurés que ce n’était pas leur supérieur hiérarchique qui nous envoyait —, plusieurs se sont prêtés au jeu et ont accepté que nous les accompagnions 124 . Nous les avons donc suivis, pendant plusieurs semaines, dans leurs démarches auprès des particuliers. Nous étions appareillée d’un baladeur enregistreur et d’un micro-cravate qui, comme nous l’avons déjà indiqué, étaient cachés. L’enregistrement vidéo des rencontres était impossible car un matériel trop volumineux aurait entravé leur bonne marche. Nous ne pouvions prévenir le particulier des raisons d’un enregistrement sans modifier son comportement, moins sur le plan interactionnel que relationnel 125 . La réalisation de notre objectif de description du comportement du particulier qui se trouve face à une interaction commerciale imprévue aurait été impossible si nous l’en avions averti. L’accord des participants quant à l’enregistrement effectué est déséquilibré : un des participants, le vendeur, sait qu’il est enregistré alors que l’autre, le particulier, l’ignore.

Notes
119.

C’est avec le personnel de l’agence du sixième arrondissement de Lyon (rue Guimet) que nous avons effectué les démarches sur le terrain.

120.

Les vendeurs sont regroupés dans une équipe. Ils se déplacent par six ou sept pour démarcher un secteur pendant plusieurs jours, puis changent de lieu. Un vendeur expérimenté est responsable de cette équipe.

121.

Nous avions jusqu’alors passé sous silence cet objectif. Consciente que l’enregistrement, étape indispensable, pouvait poser des problèmes et être refusé, nous avons d’abord cherché à entrer sur le terrain et à faire accepter notre présence avant de solliciter cette autorisation.

122.

Nous faisons ici référence à une analyse importante du programme « Commerces ». L’analyse des interactions verbales effectuée par Sitbon (1997) dans une boulangerie a été révélatrice des stratégies de politesse linguistique employées dans les petits commerces.

123.

Ce n’est qu’après les premiers enregistrement que le directeur de l’agence nous a demandé de rédiger un document dans lequel nous nous engagions à ne pas faire usage des informations obtenues (non seulement par les enregistrements des démarches mais également durant toute la période d’immersion dans la société) dans un cadre autre que celui de nos recherches universitaires.

124.

Nous avons donc suivi quatre vendeurs différents, deux hommes et deux femmes, comme nous le préciserons lors de la présentation de notre corpus.

125.

Blanche-Benveniste et Jeanjean (1987) notent sur ce point : « (…) une technique très riche va de pair avec un appauvrissement de la situation de paroles ».