1.2.2.1. Une première stratégie extra-linguistique

L’attitude physique du vendeur est la première stratégie relevée. Elle n’entraîne aucune manifestation linguistique, mais elle est appliquée dans la totalité des interactions. Ce comportement est évoqué par la tenue générale du vendeur. C’est un élément immédiatement perceptible par le prospect. Avant même que l’interaction soit initiée, le particulier est face à une personne dont l’apparence est un premier indice d’identité. Cette apparence concerne l’ensemble de l’attitude du démarcheur qui s’applique à afficher une tenue vestimentaire correcte ainsi qu’une comportement convenable.

L’apparence physique des vendeurs peut, certes, les desservir. Leur tenue vestimentaire académique et leur allure peuvent effectivement favoriser leur catégorisation comme commerciaux. Cette identification renforce alors la menace actualisée par la référence à une histoire interactionnelle défavorable 247 . Cependant, cette présentation soignée est indispensable. Le vendeur se fait un devoir de démarcher dans la tenue la plus correcte, par respect pour ses interlocuteurs. Il impose de cette manière une image respectable de lui-même et considère que le particulier ne peut alors pas lui reprocher sa tenue vestimentaire 248 . Ainsi, même si son identité de vendeur est découverte, il sera au moins certain que sa visite ne sera pas assimilée à une démarche légère.

Le vendeur s’oblige, par conséquent, à donner une présentation physique correcte de lui-même. Il adopte alors une tenue vestimentaire adéquate à laquelle s’ajoute plusieurs autres principes. La Vente Directe bannit ainsi chewing-gum, cigarette, lunettes de soleil, etc. Il impose un comportement convenable qui va du port de la cravate au sourire affiché, même si l’exigence d’une tenue vestimentaire adéquate peut être moins stricte selon les milieux démarchés.

Un vendeur nous a expliqué s’imposer une tenue vestimentaire stricte uniquement lorsque cela s’avérait réellement utile. Une simple chemise apparaît de circonstance dans certains sites, alors que le port d’une veste et d’une cravate s’impose dans d’autres. Selon ce vendeur, cette différence serait à mettre en parallèle avec l’écart social qui existe, par exemple, entre les habitants du sixième arrondissement de Lyon et ceux d’une ville comme Vaulx-en-Velin. La tenue vestimentaire du vendeur varie selon les lieux démarchés dans la mesure où il s’impose une allure qui tient compte des prospects rencontrés. A l’ouverture de la porte, en revêtant une tenue adaptée, le démarcheur veille à ne pas imposer de distance trop importante, voire à suggérer une proximité avec son interlocuteur 249 .

La position du corps constitue également un élément caractéristique de l’attitude du vendeur. Outre sa tenue vestimentaire, le démarcheur se doit d’adopter un comportement convenable par rapport à l’espace qu’il occupe. Il doit ainsi se tenir dans une position correcte et à une distance donnée du seuil de la porte. De cette façon, il ne semble pas s’imposer au prospect, sans non plus se trouver dans une position trop effacée.

Par son apparence physique, le vendeur propose une image de lui. Son comportement est primordial et constitue la première stratégie d’approche qu’il utilise. La fonction de l’allure qu’il s’impose face aux prospects est décrite par Goffman. Il indique à ce propos qu’il s’agit bien d’un « (…) élément du comportement cérémoniel qui se révèle typiquement à travers le maintien, le vêtement et l’allure, et qui sert à montrer à l’entourage que l’on est une personne douée de certaines qualités (...) » (Goffman, 1974 : 69).

Notes
247.

Une des vendeuses rencontrées pense qu’il est plus aisé pour une femme de s’écarter d’une telle assimilation dans la mesure où sa tenue vestimentaire est plus libre. La garde-robe d’une femme étant plus ouverte que celle d’un homme, les vendeuses peuvent faire preuve de davantage de fantaisie et éviter la catégorisation rapide dont sont sujets les commerciaux cravatés.

248.

Il semble évident que le vendeur ne s’attendrait pas à un reproche explicite du client mais plutôt à une réaction enchaînée. Le particulier se trouvant face à une personne dont il juge la tenue incorrecte pourrait avoir un sentiment négatif et être moins favorable au développement d’une interaction. C’est dans ce sens que le reproche peut être manifesté : comme un élément qui altère la rencontre et non comme une formulation explicite de la critique.

249.

Dans les quartiers difficiles d’une ville comme Vaulx-en-Velin, le port d’un « costume-cravate » pose une distance défavorable à la démarche du vendeur, alors qu’une simple chemise facilite un rapprochement.