1.2.2.3. Une reprise en écho du comportement observé

Le vendeur peut varier sa tenue vestimentaire en fonction du milieu social des particuliers démarchés. Il tente alors d’être en accord avec les habitudes vestimentaires de ses interlocuteurs afin de ne pas paraître trop distant. Le contact s’établit plus facilement entre deux personnes qui semblent appartenir au même milieu social et l’apparence physique en est, comme nous l’avons observé, un premier indice.

Le rapprochement de deux personnes ne se base pas seulement sur ces éléments extra‑linguistiques, mais également sur des manifestations strictement linguistiques. Dès les premiers instants de l’interaction, le vendeur détient des informations sur son interlocuteur. Que ces données soient issues de caractéristiques linguistiques ou extra‑linguistiques 250 , elles permettent toutes une identification plus claire du partenaire d’interaction.

Alors que le prospect n’a pas le souci de se tenir au même niveau que son interlocuteur 251 , le vendeur, lui, s’emploie à cerner rapidement son client pour lui présenter une image équivalente. Il accentue délibérément un phénomène spontané de négociation conversationnelle. Alors qu’une simple adaptation à la compétence communicative du client serait nécessaire pour permettre l’interaction, le vendeur opère une véritable transformation de sa personnalité, calquée sur celle de son interlocuteur. Il s’emploie alors à paraître le plus proche de ce qu’il voit.

Outre une adaptation quant à la forme de l’interaction 252 , le corpus présente plusieurs interventions qui marquent cette transformation. On relève, dans diverses interactions, une reprise en écho d’un comportement caractéristique du prospect. Ainsi, le vendeur emploie dans l’intervention « oh la la (.) vous avez l’air fatigué (.) oh: » le même ton las que celui que son interlocuteur a utilisé lors de son « bonjour » (interaction n°1). Le même phénomène est attesté au cours des échanges suivants :

Interaction n°4 :’ ‘9 C : ben: (il) faut bien hein=’ ‘10 V : =ah: ben on: on f- on f- on fait aller hein’ ‘ Interaction n°14 :’ ‘2 C : oui:/’ ‘4 V : j’vous ai réveillée/’ ‘ Interaction n°22 :’ ‘3 C : bonjour’ ‘4 V : excusez-moi d’vous déranger’

Ces trois exemples marquent la reprise d’un ton las alors que les deux suivants présentent respectivement un ton pressé et des chuchotements :

Interaction n°5 :’ ‘1 C : oui/’ ‘3 V : oui: hou la (.) vous avez l’air pressée (.) qu’est-ce qui s’passe/’ ‘ Interaction n°27 :’ ‘3 C : bonjour (.) oui mais- (.) (il) y a un bébé qui dort’ ‘4 V : ah mais (il) y a- ch:ut tais-toi ((s’adressant au chien))’

Le vendeur essaie alors de « séduire » son interlocuteur, de l’amadouer. En compatissant à sa fatigue ou en répondant sur le même ton pressé, il apparaît plus sympathique 253 . Le vendeur use également d’une autre stratégie qui consiste à employer l’humour. Dans quelques interactions, le démarcheur fait preuve de légèreté face à la réaction du prospect. Des interventions centrées sur des sujets singuliers sont développées :

Interaction n°1 :’ ‘12 C : ah oui ((RIRES)) non mais ça: non je: (.) pour des livre:s [non (.) la télé non plus’ ‘13 V : [c’est pas des livres (.) c’est des porte-avions’ ‘14 C : [des/’ ‘15 V : [on vend- on vend des porte-avions nous’ ‘ Interaction n°29 :’ ‘30 C : j’veux pas me: j’veux pas m’mettre des: des bouquins sur le dos hein/’ ‘31 V : non/=’ ‘32 C : =en plus de ça j’ai des encyclopédies qui m’embarrassent plus qu’aut(re) chose que j’vais filer à ma fille pour ses gamins’ ‘33 V : et une montgolfière/ non (.) ça vous intéresse pas/ (.) non pas de montgolfière/ (.) non un grille-pain/ (.) non plus/’

Le vendeur apparaît alors sous un angle plus sympathique. Le particulier entre parfois même dans son jeu :

Interaction n°1 :’ ‘31 V : [...] et un porte-avions dans la bibliothèque vous en voulez pas /’ ‘32 C : heu: non’ ‘33 V : ça tiendra pas’ ‘34 C : je- j’en ai des: anciennes voitures mais pas d- pas d’porte-avions (RIRES)’

L’étude des négociations conversationnelles montre clairement que les participants s’adaptent l’un à l’autre pour initier une interaction. Cependant, la particularité des interactions de notre corpus réside dans le fait que le vendeur accentue ces adaptations. Il profite des premières interventions de son interlocuteur pour reprendre exactement le même comportement. Alors que, dans une conversation banale, les participants s’adaptent l’un à l’autre dans le but de permettre l’interaction tout en conservant leur personnalité et leur disposition psychologique générale, le démarcheur pousse cette adaptation jusqu’à « s’approprier » l’état d’âme du particulier.

Le vendeur s’emploie à se rapprocher le plus possible de son partenaire. Il est ainsi perçu différemment par le prospect 254 . Cette stratégie est observée à travers l’apparence physique du vendeur autant qu’à travers la nature de certaines de ses interventions. Elle correspond à l’un des conseils énoncé lors du stage de formation que nous avons suivi. Le formateur a clairement expliqué cette stratégie en ces termes : « les gens seront fonction de ce que vous êtes : soyez sympa et ils seront sympa. ».

Notes
250.

Les caractéristiques linguistiques sont issues d’interventions développées, alors que les caractéristiques extra-linguistiques sont manifestées à travers des éléments tels que la tenue vestimentaire ou l’allure plus générale du prospect.

251.

Outre les négociations spontanées qui s’effectuent entre deux participants (voir Kerbrat-Orecchioni, 1984), le prospect ne tente pas, dans une autre mesure, de s’adapter à son interlocuteur. 

252.

Comme le décrit Kerbrat-Orecchioni (1984 : 225), lorsqu’une interaction s’engage entre deux étrangers, certains accommodements peuvent avoir lieu quant à la langue ou encore au style dans lesquels les échanges vont se développer.

253.

Ce phénomène qui consiste à reprendre en écho le comportement observé est évoqué sous le terme d’échoïsation (voir le point 3.2.2.1).

254.

Il peut néanmoins arriver que cette adaptation du vendeur soit telle qu’elle indispose le prospect. Ce dernier peut, en effet, s’apercevoir de la stratégie d’« amadouage » du démarcheur et y être totalement hermétique. Ce cas est répertorié dans plusieurs interactions dont la n°28. Le vendeur reprend en écho « pas du tout du tout », mais ne parvient pas pour autant à se faire accepter par le particulier.