3.1.3.1. Une justification spontanée

Contrairement aux cas où le vendeur fournit lui-même une justification au refus qui lui est adressé 331 , le corpus présente de nombreuses interventions explicatives qui restent à la seule initiative du prospect. Des justifications sont ainsi souvent relevées à la suite de la formulation du refus. Plusieurs exemples sont caractéristiques. A la question : « est-ce que vous avez quelques petites minutes à nous accorder » sont adressés des refus justifiés par diverses formules.

Interaction n°3 :’ ‘10 C : pas du tout là je: j’ai même pas l’temps d’manger je: j’bois un café et j’m’en vais bosser’ ‘ Interaction n°10 :’ ‘11 C : j’vais vous dire la vérité j’ai travaillé toute le nuit et: j’vais aller manger pour aller me recoucher’ ‘ Interaction n°27 :’ ‘15 C : heu: pas bien longtemps parce que ça sera bientôt l’heu- l’heure d’la tétée [...]’ ‘ Interaction n°29 :’ ‘58 C : ben: j’étais à table écoutez en toute franchise’ ‘ Interaction n°32 :’ ‘10 C : [...] j’suis en train de déménager alors heu:’ ‘ Interaction n°34 :’ ‘5 C : ben j’ai pas l’temps non j’vais partir là maintenant alors j’ai pas l’temps’

Dans ces extraits, le refus est justifié pour un manque de temps ou une occupation en cours (repas, déménagement, etc.). L’offense est alors minimisée par une formule réparatrice. Cependant, le prospect n’a aucun compte à rendre à quelqu’un qui le sollicite jusque sur son lieu de résidence. Ainsi, entre les refus non justifiés et ceux, minimisés, qui viennent d’être mentionnés, il existe des formules intermédiaires qui justifient la position du particulier sans pour autant être aussi précises.

‘Interaction n°6 :’ ‘3 V : bonjour monsieu:r (.) excusez-nous de vous déranger on fait une petite enquête auprès des habitants du quartier est-ce que vous avez quelques p’tites minutes à nous accorder’ ‘4 C : pas trop (PETIT RIRE)’ ‘Interaction n°8 :’ ‘8 V : d’a:ccord (.) on réalise une petite enquête auprès des habitants du quartier est-ce que vous avez quelques p’tites [minutes à nous accorder/’ ‘9 C : [non franchement non’ ‘Interaction n°31 :’ ‘4 V : excusez-nous d’vous déranger on réalise une petite enquête auprès des habitants du quartier est-ce que vous [auriez quelques p’tites minutes-’ ‘5 C : [heu: non j’aurai pas l’temps’

Ces minimisations restent sommaires car les raisons du refus ne sont pas, ou peu, détaillées (contrairement aux interactions 3, 10, 27, 29, 32 et 34 précitées) ce qui souligne le fait que le prospect ne doit aucune explication au démarcheur. Dans tous les cas de justification, la question de la sincérité du particulier peut se poser. Certains refus ne trouvent une raison que tardivement.

Interaction n°4 :’ ‘18 V : on f- fait une petite enquête est-ce que vous avez quelques p’tites minutes à [nous accorder/’ ‘19C : [ah non (.) non non parce que non (.) parce que bon heu: j’ai: mon kiné qui vien:t (.) j’ai tout ça: heu’

Le particulier commence par refuser l’enquête (« ah non (.) non non ») et trouve progressivement une justification (« j’ai mon kiné qui vient »). Entre les deux, la présence de conjonction « parce que » indique la volonté de trouver une raison qui ne vient pas (« non non parce que non ») et l’intervention se termine par une extension générale (« j’ai tout ça heu »). L’absence de spontanéité, marquée par les nombreuses hésitations, suggère que l’excuse avancée n’est pas la vraie raison du refus, mais qu’elle sert juste de prétexte 332 . Une justification est donnée, mais son manque de sincérité peut ne pas minimiser réellement l’offense causée par le refus.

Ainsi, la présence d’une justification n’atténue pas forcément l’offense provoquée par le refus. Certaines, comme l’argument du manque d’intérêt, sont même susceptibles de l’amplifier.

Interaction n°11 :’ ‘10 C2 : une enquête pour quoi/’ ‘11 V : pour savoir comment les gens s’informent’ ‘12 C2 : non: mais ça m’intéresse pas\’ ‘ Interaction n°28 :’ ‘6 V : on fait une petite enquête pour savoir comment les gens s’informent’ ‘(1’’)’ ‘7 C : ça m’intéresse pas là votre enquête monsieur’

Ce n’est alors pas une cause externe à l’interaction qui empêche le particulier d’accéder à la demande du visiteur, mais bien une cause interne : le manque d’intérêt que suscite la démarche. Et c’est bien cette démarche en tant que telle qui est rejetée. Même si le refus est justifié, la face positive du démarcheur est grandement offensée puisque la jsutification fonctionne ici comme un durcisseur.

Un acte de justification peut également minimiser l’offense provoquée par une réponse négative. Mais une telle formule n’est véritablement réparatrice que si la raison exprimée du refus ne constitue pas un nouvel acte menaçant. Lorsque c’est la démarche même qui est critiquée, l’offense est renforcée. Elle est d’ailleurs d’autant plus durcie que le particulier peut parfois exprimer plus qu’un manque d’intérêt général (« non: mais ça m’intéresse pas », 12C2, I11) : il peut directement viser l’enquête particulière et le démarcheur qui la propose par une formule telle que « ça m’intéresse pas là votre enquête monsieur » (7C, I28).

Notes
331.

Se reporter au point 3.1.2.2.c).

332.

Un autre indice confirme parfois l’absence de sincérité du particulier. Dans plusieurs interactions, lorsque ce dernier évoque une indisponibilité temporelle et que le vendeur propose de repasser à un moment plus opportun, on relève des interventions qui montrent que le manque de temps n’est pas forcément le seul problème (13C) :

Interaction n°35  :
4 V : […] est-ce que vous avez quelques p’tites minutes à nous accorder/=
5 C : =pas du tout
[…]
10 V : bon on repassera un aut(re) jour alors
11 C : d’accord
12 V : à quelle heure par contre on peut s’permettre de passer sans qu’ça vous dérange trop/
13 C : ben ça dépend c’est pour quoi exactement/