3.1.3.4. Un refus poli

Sans excuse ou justification, certains refus restent polis par le seul fait de leur formulation. La menace est alors atténuée par le calme et le tact du prospect comme dans l’interaction n°37.

Interaction n°37 : ’ ‘1 V : bon:jour monsieur=’ ‘2 M : =bonjour=’ ‘3 V : =excusez-nous d’vous déranger on réalise une petite enquête auprès des habitants du quartier est-ce que vous avez quelques p’tites minutes à nous accorder/’ ‘4 C : non’ ‘5 V : non/ vous n’avez p’t’être pas trop l’temps maintenant/’ ‘6 C : non’ ‘7 V : et: à quel moment p’t’être vous avez quelques minu- vous [auriez quelques minutes à nous accorder/’ ‘8 C : [heu::: je sais pas (.) a priori j’en n’ai pas=’ ‘9 V : =vous en n’avez pas/=’ ‘10 C : =non=’ ‘11 V : =oh c’est vraiment pas très- c’est vraiment très court hein/’ ‘12 C : oui non mai:s heu: non’ ‘13 V : [on pourra revenir apr-’ ‘14 C : [je préfère pas’ ‘15 V : vous préferez pas/’ ‘16 C : non=’ ‘17 V : =ça a rien d’indiscret j’vous rassure hein si c’est [heu:’ ‘18 C : [oui oui non mai:s heu je préfère pas=’ ‘19 V : =d’accord (.) ben merci quand même alors=’ ‘20 C : =j’vous en prie’ ‘21 M : [au revoir’ ‘22 V : [bonne journée’ ‘23 C : bonsoir’

Malgré les tentatives du démarcheur de minimiser l’ingérence commise, le particulier reste sur ses positions. Ses interventions sont minimales (il n’exprime que le fait qu’il ne « préfère pas ») et il adopte un comportement exclusivement réactif. L’offense de son refus n’est pas pour autant ressentie de manière forte compte tenu du ton courtois sur lequel se développe ces échanges. A l’inverse, l’interaction n°28 présente le même type de refus, mais son expression agressive augmente l’offense commise.

Interaction n°28 :’ ‘1 M : [bonjour’ ‘2 V : [bon:jour monsieur’ ‘3 C : bonjour=’ ‘4 V : =excusez-nous d’vous déranger on fait une petite enquête auprès des [habitants-’ ‘5 C : [c’est quoi/’ ‘6 V : on fait une petite enquête pour savoir comment les gens s’informent’ ‘(1’’)’ ‘7 C : ça m’intéresse pas là votre enquête monsieur’ ‘8 V : ça vous intéresse pa:s [vous êtes sûr/’ ‘9 C : [pas du tout’ ‘10 V : pas du tout du tout/’ ‘11 C : pas du tout du tout du tout’ ‘12 V : même pas un tout p’tit peu/ qu’est-ce qui vous intéresse alors’ ‘13 C : rien’ ‘14 V : [rien’ ‘15 C : [vivre (.) travailler (.) manger et: jusqu’à la mort c’est tout’ ‘16 V : et ben dites donc’ ‘17 C : ah: ben c’est comme ça’ ‘18 V : vous avez des plaisirs simples comme on dit’ ‘19 C : ah: je suis bien heureu:x avec la vie que j’ai: là et: j’ai besoin de rien du tout’ ‘20 V : d’a:ccord et ben dans ces cas-là bonne journée monsieur’ ‘21 C : je vous souhaite bonne chance pour l’aut(re) côté’ ‘22 V : merci [au revoir’ ‘23 M : [merci’

L’intervention 7C précédemment évoquée 334 durcit l’offense du refus et la fermeté incisive du particulier la renforce encore davantage. Ces deux types de refus produisent des effets bien différents sur la face positive du démarcheur. Bien que la dernière intervention de l’interlocuteur de l’interaction n°28 soit la formulation d’un souhait de réussite future (21C), son comportement global n’adoucit pas le refus. Le particulier de l’interaction n°37 introduit, lui, une dose de courtoisie favorable à la rencontre. Il apparaît ainsi, comme le souligne Vion, que :

‘Il est d’ailleurs “du meilleur effet”, d’accompagner la férocité de certaines attaques de marques de considération et de civilité. Toute attaque trop brusque, toute manifestation d’irritation, peuvent se révéler disqualifiantes. La mesure dans la critique, la civilité dans l’attaque confèrent à l’énonciateur l’image de sa propre maîtrise et, contribuant à maintenir l’échange dans la coopérativité, désarme partiellement la riposte de l’interlocuteur. (Vion , 1992 : 115)’

Face à un tel comportement interactionnel, le démarcheur est amené délicatement à mettre un terme à l’interaction (« d’accord (.) ben merci quand même alors », 19V, I37). La menace est alors moins fortement ressentie que lors de refus brutaux. Cependant, même si l’initiative des échanges reste attribuable au vendeur, il est désarmé et ne peut que clore l’interaction. Ainsi, l’offense est minimisée mais le vendeur achève l’interaction dans une position clairement inférieure à celle du prospect.

Le particulier peut ainsi développer des comportements très différents face à l’invasion territoriale. Il peut l’accepter et entrer dans un rapport de places enquêteur/enquêté, ou bien la refuser de deux façons opposées. Il refuse parfois l’enquête par des comportements proxémiques et interactionnels particuliers qui accentuent l’offense que cette réaction négative représente pour le vendeur — qui l’a lui-même préalablement menacé par sa démarche. Il arrive également que l’expression d’un désaccord soit minimisé par des procédés tels que la justification, l’excuse ou encore le rire.

Contrairement aux multiples procédés que développe le démarcheur pour minimiser les actes menaçants qu’il formule, le prospect n’a pas les mêmes exigences. Il n’attache pas la même importance à l’établissement d’une relation. Néanmoins, malgré les quelques refus sèchement formulés, répertoriés dans le corpus, les comportements négatifs sont, dans la majorité des cas, minimisés par des procédés variés.

Chacun visant à ménager la face de l’autre, les interactions créées fonctionnent majoritairement sur un mode coopératif, c’est-à-dire avec la bonne volonté des interactants. Le fait de protéger la face de l’autre revient à minimiser les risques de se voir soi-même menacé. Cependant, quelles que soient les dominations de l’un ou l’autre des interactants et les minimisations apportées par chacun d’eux pour établir une certaine coopération dans l’interaction, la relation interpersonnelle ne peut être réellement définie que lorsque l’interaction est achevée.

Notes
334.

Se reporter au point 3.2.2.3.a).