3.2.1. Un compromis satisfaisant

Lorsque la requête du vendeur se trouve rejetée pour la simple raison que le prospect est dans l’impossibilité immédiate de poursuivre l’interaction, le refus n’est pas catégorique. L’indisponibilité du particulier n’est que temporaire. Le démarcheur peut espérer pouvoir le rencontrer ultérieurement pour développer l’interaction désirée. Les interactants fixent alors un rendez-vous afin de se rencontrer à un moment plus opportun 336 .

L’initiative de cette nouvelle rencontre naît du démarcheur. Lorsqu’une prise de rendez-vous est proposée, quelques prospects la refusent. Croyant éviter toute interaction en prétextant une indisponibilité immédiate, ils se retrouvent de manière imprévue face à la proposition d’une nouvelle rencontre. Ils ne répondent alors pas favorablement à cette nouvelle requête.

Interaction n°44 :’ ‘1 M :[bonjour’ ‘2 C : [bonsoir’ ‘3 V : [bonsoir monsieur (.) j’vous dérange pas trop j’espère=’ ‘4 C : =si on a du monde (RIRES)’ ‘5 V : ah mince (.) écoutez on repassera à un aut(re) moment alors’ ‘6 C : ben: c’était pour quoi de toute façon=’ ‘7 V : =[c’était simplement pour une heu:’ ‘8 C : [pour vous économiser heu:’ ‘9 V : une petite enquête qu’on faisait auprès des habitants du quartier’ ‘10 C : qui concerne/=’ ‘11 V : =les moyens d’information qu’vous utilisez=’ ‘[…]’ ‘22 C : =mais là j’ai du monde à l’apéritif (.) [j’suis désolé’ ‘23 V : [d’accord (.) j’vous en prie (.) merci=’ ‘24 M : =au revoir=’ ‘25 V : =au revoir’

Devant l’éventualité d’une nouvelle rencontre (« écoutez on repassera à un autre moment alors », 5V), le particulier marque un temps d’hésitation (« ben ») avant de présenter la démarche à travers l’usage d’un imparfait de politesse (« c’était pour quoi »). Enfin, la locution « de toute façon » exprime le fait que, peu importent ses disponibilités présentes ou futures, il n’est pas forcément disposé à répondre à la démarche. La réaction du particulier à la proposition d’une visite ultérieure prend bien la forme d’une demande de précision (« ben c’était pour quoi de toute façon »), mais elle marque une forte réticence.

D’autres particuliers ne refusent pas l’idée d’une nouvelle visite. Même s’ils comptaient initialement se défaire du démarcheur, une fois l’interaction entamée, ils sont amenés à donner les horaires auxquels ils sont disponibles et à fixer, du même coup, le moment d’une nouvelle rencontre.

Interaction n°4 :’ ‘1 C : [messieurs dames/’ ‘2 M : [bonjour’ ‘3 V : bonjour’ ‘[…]’ ‘18 V : on f- fait une petite enquête est-ce que vous avez quelques p’tites minutes à [nous accorder/ (.) vous avez pas bien l’temps/’ ‘19 C : [ah non (.) non non parce que non (.) parce que bon heu: j’ai: mon kiné qui vien:t (.) j’ai tout ça: heu= (inaudible)’ ‘20 V : =ah d’accord (.) ah ben on pass’ra un aut(re) jour alors’ ‘21 C : oui voilà (RIRES)’ ‘22 V : à quel moment on peut passer=’ ‘[…]’ ‘48 V : =vous êtes là plutôt l’matin: plutôt l’après-midi:/’ ‘49 C : oh l’après-midi:’ ‘50 V : l’après-midi/ ben-=’ ‘51 C : =pas- pas c’t’après-midi [surtout parce que j’ai des gens qui viennent’ ‘52 V : [non non (.) la s’maine prochaine/ (.) la s’maine prochaine j’passerai’ ‘53 C : voilà’ ‘54 V : [d’a:ccord’ ‘55 C : [e:t qu’est-ce que vous posez comme question là=’ ‘56 V : =ben simplement c’que les gens comm- regardent comme émissions à la télévisio:n c’qu’i(ls) aiment bien comme progra:mmes [c’qu’i(ls) faudrait change:r et tout’ ‘57 C : [ah ouais (.) mm’ ‘58 V : c’est pas compliqué à quelle heure i(ls) regardent la télévisio:n (.) oh c’est pas bie- c’est pas bien méchant’ ‘59 C : d’a:ccord’ ‘60 V : et ben j’pass’rai dans l’après-midi d’la s’maine prochaine [alors/’ ‘61 C : [d’accord pas d’problème=’ ‘62 V : =au revoir [madame (.) au revoir Jimmy’ ‘63 M : [au revoir madame [bonne journée’ ‘64 C : [au revoir messieurs dames […]’

La raison invoquée par le particulier pour justifier son refus manque de spontanéité (19C) 337 , mais il s’avère que ce prospect, manifestement défavorable à l’enquête (23C‑47C) 338 , prend finalement rendez-vous avec son interlocuteur (60V et 61C) 339 . Même si quelques particuliers se trouvent piégés et que la prise de rendez-vous est le seul moyen correct d’interrompre la présente interaction 340 , cette décision résulte d’un accord entre les deux interactants. Le démarcheur ne l’impose pas, même s’il la dirige. Certains prospects suggèrent d’ailleurs spontanément un rendez-vous ultérieur. Cette négociation est alors un intermédiaire qui permet au vendeur de pouvoir finalement recontacter son client et à celui-ci de ne pas être dérangé dans ses activités actuelles. Cette prise de rendez-vous manifeste ainsi une première issue possible des interactions. Aucun des deux interactants ne produit de menace démesurée pour la face de l’autre puisqu’ils arrivent à un accord, fruit d’une collaboration.

L’étude d’un cas intéressant apporte une précision importante. Dans l’extrait suivant, le particulier propose une rencontre ultérieure, mais le démarcheur la rejette.

Interaction n°14 :’ ‘20 C : ah: là il faut passer un autre jour mais pas maint(e)nant’ ‘21 V : ben c’est l’dernier jour madame (.) on pourra pas repasser’

La réaction du vendeur n’est pas sincère. Sa présence sur le secteur d’habitations du particulier doit se prolonger quelques jours et, aucun programme de visite n’étant véritablement fixé à l’avance, il lui est tout à fait possible de revenir le voir. Cette réponse indique en fait que la prise de rendez-vous n’est pas forcément une alternative intéressante au refus du particulier d’accepter, dans l’immédiat, la démarche. En réalité, de très nombreux cas de prise de rendez-vous restent sans suite. L’accord conjoint des interactants sur une rencontre ultérieure ne conduit à une nouvelle visite que dans les cas où le démarcheur a senti son interlocuteur particulièrement favorable à la démarche. Dans le cas contraire, comme illustré par l’interaction n°4, malgré l’accord sur une proposition telle que « et ben j’pass’rai dans l’après-midi d’la s’maine prochaine alors » (60V, I4), le démarcheur ne tient pas parole 341 . La prise de rendez-vous n’a alors pour fonction que d’exprimer un accord conjoint visant à préserver la face des interactants 342 .

Notes
336.

La requête du démarcheur qui suggère une rencontre ultérieure a été envisagée sous le point 2.1.3.3.b).

337.

Cet acte de justification a été commenté sous le point 3.2.2.3.a).

338.

Se reporter au corpus présenté en dans le volume annexe pour prendre connaissance des échanges situés entre les tours de parole 23C et 47C. Ceux-ci ne sont pas reproduits dans ces lignes dans un souci de lisibilité de l’extrait (en rapport avec l’objet étudié : la prise de rendez-vous).

339.

Cette attitude renvoie à la notion de « double contrainte », notion définie sous les termes de « double bind » par Bateson (voir sur ce point l’Introduction Généralede ce travail) qui, appliquée à la communication ordinaire renvoie au fait que « (…) les règles qui régissent nos comportements dans l’interaction peuvent entrer en conflit les unes avec les autres » (C. Kerbrat-Orecchioni, in Charaudeau et Maingueneau, 2002 : 195).

340.

L’autre possibilité étant de refermer la porte de l’appartement sans précautions particulières pour la face du démarcheur (comme évoqué sous le point 3.2.2.2.a)).

341.

Dans cette interaction, le particulier a montré sa réticence et a notamment exprimé la possibilité que l’objectif de la démarche soit la vente de livres (« (j’suis) sûr vous vendez des livres » 25C, I4). Le vendeur s’en étant défendu avec fermeté (« c’est pas pour vendre des livres » 33V, I4), il doute alors de l’intérêt de se présenter une nouvelle fois au domicile de ce particulier et ne revient pas malgré le rendez-vous fixé.

342.

Il arrive parfois que l’idée d’une nouvelle visite soit exprimée en toute fin d’interaction sans même qu’un jour et une heure soit fixés.

Interaction n°40  :
10 V : et ben écoutez on repassera à un aut(re) moment alors/=
11 C : =d’accord=
12 V : =au revoir

Devant l’indisponibilité du particulier, le démarcheur propose de revenir à un moment ultérieur sans qu’aucun des deux interactants n’apporte de précision sur cet instant. Cette observation prouve par conséquent que la prise de rendez-vous (ici seulement évoquée) a l’unique intérêt de permettre de clore l’interaction sur un accord. Elle restera d’ailleurs sans suite.