4.1.1. Un nouveau cadre spatial

4.1.1.1. Un cadre intermédiaire

L’accès à l’appartement se fait de manière progressive. Un lieu transitoire accueille les visiteurs : le hall d’entrée. Cet espace est celui qu’occupe le particulier lors de l’entrée en porte. Il se tient alors à une extrémité de cette surface car en ouvrant la porte, après que le démarcheur a signalé sa présence en sonnant ou en frappant, il se place tout près du seuil de l’appartement et maintient cette position tout au long de la prise de contact.

Une fois sa porte ouverte, le visité ne se retire que très rarement du seuil de la porte 362 . La tendance observée est que le particulier empiète sur le palier plus qu’il ne reste réellement dans le hall de son entrée. Il occupe alors les deux espaces : il se trouve à la limite entre le palier et son appartement. Cette situation favorise la mise à distance d’un visiteur inconnu puisqu’elle limite l’accès, visuel autant que physique, à l’appartement.

Cependant, lorsque le particulier autorise l’accès à son domicile, il libère l’espace pour laisser pénétrer le visiteur. Cette ouverture est marquée de manière verbale — avec une invitation du type : « entrez » —, mais aussi de manière non‑verbale puisque le particulier ouvre entièrement sa porte et s’écarte du centre de l’espace vertical délimité par le montant de la porte. Le démarcheur s’introduit alors dans l’espace qu’occupait, seul, le prospect et son avancée va même au-delà de la position de son interlocuteur. Le particulier reste en effet en contact avec la porte qu’il désire refermer après le passage du visiteur et, dans un hall d’entrée généralement étroit, le démarcheur est amené à dépasser son hôte 363 .

Une fois la porte refermée, le particulier repasse devant le démarcheur — ou l’invite à poursuivre son entrée — afin de dégager cet espace étroit qui impose aux deux participants, qui ne se connaissent pas, une promiscuité inconfortable 364 . L’accès à l’appartement se fait donc en deux étapes.

‘Interaction n°56 :’ ‘6 V : donc comme j’vous l’disais on visite tous les habitants du quartier donc on a une p’tite fiche d’information sur la presse donc c’est sur c’que vous lisez et regardez à la télé en général\’ ‘7 C : oui (.) [entrez ’ ‘8 V : [voilà\ (.) ok (.) merci’ ‘(2’’)’ ‘9 M : merci=’ ‘10 C : =bonjour ’ ‘(2’’) allez-y entrez entrez=’ ‘11 V : =merci/’ ‘(5’’)’ ‘12 C : asseyez-vous’ ‘13 V : merci’

Par une première invitation (« entrez », 7C), le particulier autorise l’accès à son appartement. Les visiteurs entrent en le remerciant (8V et 9M), mais ne vont pas au-delà du hall d’entrée. La porte se referme et une deuxième intervention signale alors un accès plus large : « allez-y entrez entrez » (10C). Les visiteurs sont alors dirigés vers le salon 365 . L’insistance de cette invitation révèle que le couloir n’est qu’un espace intermédiaire. Ce cadre n’est que traversé par les participants qui ne s’y établissent pas.

Interaction n°52 :’ ‘7 V : voilà c’est sur c’que vous lisez et regardez à la télé en général=’ ‘8 C : =ouais ben ouais [entrez’ ‘9 V : [ouais/’ ‘10 C : j’vous en prie’ ‘11 M : [merci’ ‘12 V : [me:rci’ ‘13 C : dans la cuisine s’il vous plaît’ ‘14 V : ouais’ ‘15 M : hop’ ‘(2’’)’ ‘16 V : oh c’est sympa: (1’’) j’aime bien les: (1’’) les tables comme ça ((RIRES))’ ‘17 C : asseyez-vous hein’ ‘18 V : merci’

Outre l’expression de remerciements (11M et 12V) ou de précisions rapides (13C), l’interaction verbale est comme suspendue et ne reprend qu’après l’arrivée dans un espace plus propice à la discussion (16V). Le hall d’entrée n’est qu’un cadre transitoire dans lequel les participants ne s’arrêtent pas. Même lorsque des échanges supplémentaires sont développés, le mouvement dirigé vers l’intérieur de l’appartement ne s’interrompt pas.

Interaction n°51 :’ ‘6 V : (PETITS RIRES) on visite tous les habitants du quartier et on a une p’tite fiche d’information sur la presse à remplir’ ‘7 C : oui: c’est- ben écoutez rentrez/ (.) [heu si vous voulez’ ‘8 V : [d’accord (.) merci’ ‘(3’’)’ ‘9 V : on trouve [pas grand monde heu::: dans le: quartier hein/’ ‘10 M : [merci’ ‘11 C : dans les immeubles ou dans le:::=’ ‘12 V : =oui oui heu: [dan- même dans l’immeuble heu’ ‘13 C : [oh ben parce qu’il y a des gens qui [travaillent (.) rentrez je vous en prie ’ ‘16 V : [oui c’est non- [merci’ ‘17 M : [merci’ ‘18 C : c’est pour quoi/ alors je::: ’ ‘19 V : donc c’est: (.) sur vos lectures et c’que vous regardez à la télé en général’ ‘20 C : ah:=’ ‘21 V : =voilà\ on fait partie heu du groupe Lagardère’ ‘22 C : je commençais à m’endormir devant la télé’ ‘23 V : [(RIRES)’ ‘24 M : [ah (.) on vous a [réveillée’ ‘25 C : [asseyez-vous=’ ‘26 V : =merci=’ ‘27 C : =bon alors je vais: j’vais vous dire heu: (.) en vitesse asseyez-vous Madame’ ‘28 M : merci’

L’intervention 7C propose l’accès à l’appartement puis l’invitation exprimée dans la dernière partie de 13C précise aux visiteurs de poursuivre leur entrée au-delà du hall. Aucune interaction du corpus ne voit les participants s’établir, ne serait-ce qu’un instant, dans cet espace restreint. Dans tous les cas, ils s’installent dans une pièce plus large telle que le salon ou la cuisine. Le fait que le hall d’entrée ne soit considéré que comme un lieu intermédiaire est imposé par son étroitesse, mais aussi par le fait que le démarcheur a pu préalablement solliciter « un p’tit coin d’table ». Ainsi, il semble qu’à partir du moment où le particulier accueille le visiteur, il ne limite pas l’accès offert et l’oriente vers une plus large pièce.

Notes
362.

Le seul cas relevé est celui de l’interaction n°10 où le particulier ouvre la porte alors qu’il est en pleine conversation téléphonique. Il clôt alors cette interaction et recule de quelques pas pour poser le combiné sur son socle avant de revenir près du palier pour répondre à la sollicitation du visiteur.

363.

Certains halls d’entrée sont des espaces plus larges. Le démarcheur peut alors s’orienter sur la droite de la porte — le prospect se plaçant sur la gauche. Une telle avancée latérale couvre une distance moins importante que dans un hall étroit où l’espace doit être libéré pour que la porte puisse se refermer. Le démarcheur peut ainsi rester au-devant d’une ligne horizontale perpendiculaire délimitée par la position du particulier.

364.

Selon la largeur du hall d’entrée, cette promiscuité se rapproche de ce que Hall (1971 : 150-152) décrit comme la distance personnelle. Elle peut varier entre mode proche et mode lointain.

365.

La troisième invitation, qui consiste à proposer au visiteur de s’asseoir, fera l’objet du point suivant.