4.2.2.1. Favoriser le développement : échoïsation et empathie

a) Encouragement linguistique

Dans une conversation, « (…) chaque participant est tour à tour émetteur et récepteur ; l’émetteur parle, le récepteur se tait et attend pour parler que l’autre se taise » (de Gaulmyn, 1987 : 203). L’étude plus microscopique d’une interaction montre qu’en réalité, en dehors de ces tours de parole officiels, le participant placé dans la position de récepteur est actif car il produit de multiples régulateurs. Il intervient pendant les interventions du locuteur, sans pour autant l’interrompre et lui prendre la parole. Cette activité parallèle se manifeste de façon non-verbale (c'est-à-dire par divers moyens expressifs tels que le regard, le sourire, le hochement de tête, etc. 423 ) mais aussi de façon verbale. Se distinguent alors :

‘à l’intérieur de ce que J. Cosnier appelle la régulation verbale, les régulateurs vocaux non identifiables comme unités de la langue et les régulateurs verbaux qui correspondent à un ou plusieurs mots repérables comme tels malgré une intensité sonore faible et une tension articulatoire modérée. (Ibid., 204)’

Le travail de régulation effectué par un récepteur marque le rôle qu’il tient et manifeste son attention aux propos du locuteur. Les régulateurs, qu’ils soient verbaux ou non-verbaux, sont omniprésents dans une interaction ; l’absence d’activité régulatrice est d’ailleurs fortement marquée 424 . Les interactions de notre corpus ne dérogent pas à la règle mais l’activité de régulation menée par le vendeur est bien différente de celle du particulier. Lorsque le démarcheur prend la parole sur des sujets annexes à l’enquête, le particulier ne produit qu’une régulation minimale.

Interaction n°56 :’ ‘13 V : […] c’est dur d’trouver du monde dans le- (.) dans l’coin (RIRES) à l’heure qu’il est (.) c’est normal hein/ (RIRES)’ ‘14 C : mm’ ‘15 V : c’est un petit peu normal\ (1’’) heu::: bien ’ ‘(2’’) donc là j’sais même plus où on est (.) on est toujours rue X/’ ‘16 C : ou:ais (.) [toujours’ ‘17 V : [c’est ça/ (.) d’accord ’ ‘(4’’) non parce qu’elle est longue c’te rue et comme (il n’)y a que des::: (.) des noms en vérité de fleurs heu=’ ‘18 C : =mm=’ ‘19 V : =on sait plus où- (RIRES) on sait plus où on en est quoi (RIRES)’ ‘20 C : ben (inaudible) c’est que des noms de fleurs=’ ‘21 V : =ouais ouais ben c’est c’que j’ai vu c’est marrant/ (.) c’est marrant\ (.) heu: bien combien d’personnes vivent dans votre foyer/’ ‘22 C : trois’

Outre la réponse « ouais (.) toujours » (16C) apportée à la question du démarcheur, le particulier ne produit que deux régulateurs vocaux (« mm » en 14 et 18C) et une intervention (« ben (inaudible) c’est que des noms de fleurs », 20C) qui ne fait que reprendre, avec une très faible intensité vocale 425 , le contenu précédemment exprimé par le démarcheur (deuxième partie de l’intervention 17V). Le locuteur principal est alors amené à ponctuer lui-même son discours, comme le montre la répétition du syntagme « c’est marrant » dans l’intervention 21V 426 , et débute rapidement l’enquête attendue par son interlocuteur (deuxième partie de l’intervention 21V).

L’activité de régulation exercée par le particulier est minimale 427 . Il joue son rôle de récepteur et manifeste l’attention qu’il porte aux propos du locuteur principal mais l’on peut douter du fait que ces contributions linguistiques « ne provoquent pas d’interruption dans la parole du locuteur principal » et « l’encouragent au contraire, à prolonger son intervention. » (Ibid., 204). Le particulier ne produit que des régulateurs et, dans ce sens, ne produit pas de tours de parole susceptibles de le placer comme locuteur et de convoquer du même coup le démarcheur dans un rôle de récepteur. Si le particulier n’interrompt pas le démarcheur, alors que c’est sans doute ce qu’aimerait le vendeur désireux de voir se développer des épisodes conversationnels, il ne l’encourage pas pour autant à poursuivre.

Lorsque le démarcheur prend la place de récepteur, son attitude est, elle, beaucoup plus participative. Il produit davantage de régulateurs verbaux (qui correspondent à un ou plusieurs mots repérables comme tels) que de contributions strictement vocales (éléments non identifiables comme unités de la langue tels que « mm ») 428 . Son comportement est ainsi beaucoup plus à même d’encourager le locuteur principal à prolonger son intervention.

Interaction n°51 :’ ‘89 C : =alors moi (.) pour ma part je préfère les auteurs contemporains hein/’ ‘90 V : [d’acco:rd’ ‘91 C : [alors je veux vous citer: Pennac:/’ ‘92 V : mm (.) [ah oui’ ‘93 C : [alors s- ’ ‘94 V : très connu:’ ‘95 C : si vous l’avez pas lu [lisez-les’ ‘96 V : si si (.) si si’ ‘97 C : ça- ça devrait être remboursé par la Sécu [ça hein (RIRES)’ ‘98 V : [ah oui ah oui oui oui (.) c’est très marrant’

Les interventions du démarcheur ponctuent avec vivacité celles du locuteur principal 429 . Les deux premiers régulateurs produits (« d’accord », 90V, et « mm », 92V) accusent réception de la réponse apportée à une question de l’enquête et accompagnent l’acte d’écriture des éléments de réponse sur la fiche 430 . Les réactions suivantes telles que « ah oui » (92V et 98V), « très connu » (94V) ou encore « si si » (96V) régulent et encouragent nettement la parole du particulier. Dans certains cas, les réactions du démarcheur sont parfois à la limite de constituer un tour de parole, et donc d’interrompre le particulier.

Il arrive que les productions verbales du récepteur interrompent le locuteur principal qui « laisse la parole » 431 . Dans ce cas, le démarcheur exprime davantage qu’une simple régulation et les régulateurs deviennent de véritables tours de parole. Néanmoins, cette participation, même si elle est plus développée, reste subordonnée au discours du particulier. Le démarcheur ne prend la parole que pour étayer le discours de son interlocuteur. Il ne se place jamais comme locuteur principal dans un épisode conversationnel entièrement consacré à la parole du prospect 432 . Son comportement marque son attention, mais également une proximité psychoaffective.

Notes
423.

Sur les régulateurs non-verbaux, voir les nombreux travaux de Cosnier.

424.

Dans une interaction qui suppose un engagement mutuel des participants, la non-production de régulateurs de la part du récepteur du message rompt l’accord tacite, préalablement établi, basé sur une collaboration interactive. Le locuteur n’a alors aucune certitude concernant la bonne réception ou encore la bonne compréhension de son message.

425.

Cette faible intensité est marquée par une partie de l’intervention qui reste inaudible.

426.

Ce syntagme est repris après une courte pause et s’inscrit dans une courbe intonative descendante. Il apparaît en réponse au premier « c’est marrant » qui, produit avec une intonation montante, n’a suscité aucune réaction du particulier.

427.

La place de ces échanges de type conversationnel dans le déroulement de l’interaction (ils sont produits lors de l’installation dans le nouveau cadre de l’appartement) est, certes, susceptible d’expliquer la retenue du particulier (comme étudié sous le point 4.2.1.2). Cependant, c’est par comparaison avec le comportement plus engagé qu’aurait le démarcheur, si les rôles étaient inversés, que nous analysons l’attitude du particulier comme minimale.

428.

Ces définitions qui posent la distinction entre régulateurs verbaux et vocaux sont proposées par De Gaulmyn (1987 : 204).

429.

Cet extrait fera l’objet d’une étude approfondie sous le point suivant.

430.

L’activité graphique du démarcheur sera analysée dans le Chapitre 8.

431.

Ces interruptions sont le fait de la règle d’alternance des tours de parole et ne sont en rien les marques d’un conflit.

432.

Dès l’entrée en porte, nous avons déjà remarqué que lorsqu’un épisode conversationnel se présente, la parole doit être laissée au prospect.