6.1. Le prospect dans une enquête ambiguë

A l’ouverture de la porte, le démarcheur propose au particulier de participer à une enquête. Le fait que l’interaction proposée soit susceptible de répondre, en réalité, à un objectif commercial est parfois évoqué par le prospect.

Interaction n°44 :’ ‘1 M :[bonjour’ ‘2 C : [bonsoir’ ‘3 V : [bonsoir monsieur (.) j’vous dérange pas trop j’espère=’ ‘4 C : =si on a du monde (RIRES)’ ‘5 V : ah mince (.) écoutez on repassera à un aut(re) moment alors’ ‘6 C : ben: c’était pour quoi de toute façon=’ ‘7 V : =[c’était simplement pour une heu: ’ ‘8 C : [pour vous économiser heu:’ ‘9 V : une petite enquête qu’on faisait auprès des habitants du quartier’ ‘10 C : qui concerne/=’ ‘11 V : =les moyens d’information qu’vous utilisez=’ ‘12 C : =les moyens d’information et qui concerne/ (.) [plus exactement/ (.) (inaudible)’ ‘13 V : [ben radio: télévision: journaux revues Minitel Internet heu:=’ ‘14 C : =pour en arriver à quoi/ (.) pour être plu:s rapide ((RIRES))’ ‘15 V : et ben pour en arriver à quoi ben à ça=’ ‘16 C : =simplement non/ vous avez pas après (il n’)y a rien [de:’ ‘17 V : [alors non après [(il n’)y a pas d’ventes’ ‘18 C : [c’est- vous travaillez pour quelle entreprise en fait c’est quelle entreprise qui vous a demandé-=’ ‘19 V : =ldp=’ ‘20 C : =ldp/=’ ‘21 V : =j’sais pas si: non c’est pas très connu c’est normal c’est une p’tite entreprise lyonnaise=’ ‘22 C : =mais là j’ai du monde à l’apéritif (.) [j’suis désolé’ ‘23 V : [d’accord (.) j’vous en prie (.) merci=’ ‘24 M : =au revoir=’ ‘25 V : =au revoir’

Le particulier n’est pas disponible dans l’immédiat (« on a du monde », 4C) mais ne semble pas davantage disposé à recevoir le démarcheur ultérieurement (« ben c’était pour quoi de toute façon », 6C) 480 . Il demande alors des précisions sur l’enquête proposée et exprime rapidement un doute sur la pertinence des éléments présentés par son interlocuteur par rapport à la finalité réelle de la visite. Les indications données par le démarcheur ne lui suffisent pas puisqu’il poursuit sans cesse sa demande d’explication (« qui concerne », « qui concerne plus exactement », « pour en arriver à quoi (.) pour être plus rapide », 10, 12 et 14C). Le particulier va finalement au bout de ses pensées en suggérant assez explicitement les suites de l’enquête (« vous avez pas après il n’y a rien de », 16C) puisque le vendeur répond tout aussi clairement « alors non après il n’y a pas d’ventes » (17V).

Dans cette interaction, le particulier se réfère à d’autres situations similaires et cette actualisation l’amène à refuser l’enquête proposée 481 . Dans les autres rencontres, il est possible que les particuliers soient conscients de cette éventualité commerciale sans pour autant l’exprimer de la sorte et refuser l’interaction. En effet, l’analyse du corpus ne révèle que de rares cas où un tel soupçon, quant à la finalité transactionnelle réelle de la démarche, est exprimé. Dans la grande majorité des interactions, aucun accès à la conception que se font les prospects de la démarche n’est possible 482 . Cependant, qu’ils s’attendent ou non à être finalement impliqués dans un interaction de vente, à partir du moment où ils ne l’expriment pas et laissent entrer le visiteur, le travail du vendeur est le même : la démarche qu’il applique prend bien la forme d’une enquête (6.1.1.), mais d’une enquête marquée par une certaine ambiguïté (6.1.2.).

Notes
480.

L’utilisation de l’imparfait et de la locution « de toute façon » marquent sa réticence.

481.

La référence à l’histoire interactionnelle du prospect et ses répercussions sur le déroulement de la démarche ont été étudiés sous le point 1.1.

482.

D’une part, aucune marque linguistique ne révèle si les particuliers envisagent ou non l’objectif commercial de l’interaction et , d’autre part, aucun entretien d’explicitation ne nous a permis d’avoir accès à cet élément.