6.1.1.2. Une fiche de renseignement

Comme nous l’avons déjà vu, les démarcheurs mettent en avant, dès l’ouverture de la porte, une fiche qui est présentée comme le support de l’enquête. Cet objet apparaît dans le champ de vision du particulier et le vendeur peut exprimer sa fonction dans l’interaction proposée.

Interaction n°14 :’ ‘8V : […] on doit remplir cette petite fiche avec vous’ ‘ Interaction n°53 :’ ‘11 V : […] on remplit des p’tites fiches comme ceci’ ‘ Interaction n°21 :’ ‘14 V : si on peut la remplir ensemble ça prend deux p’tites minutes/’ ‘ Interaction n°24 :’ ‘15 V : […] c’est très rapide hein en fait il faut simplement remplir ce p’tit heu: ce pet- petit résumé ici […]’

La fiche matérialise l’enquête annoncée 485 . Elle est même perçue, et présentée, comme une preuve de cet objectif interactionnel. En effet, pour qu’une interaction puisse être définie comme une enquête, « l’un des critères les plus décisifs réside dans l’utilisation d’un questionnaire » (Vion, 1992 : 131). D’après les éléments qui lui sont proposés, lorsque le particulier accepte de poursuivre l’interaction, il s’engage donc à participer à une enquête. Dès l’installation dans le nouvel espace de l’appartement, la fiche est placée comme objet central de l’interaction 486 . Le fait qu’elle soit posée sur la table et que le démarcheur soit muni d’un stylo indique de manière concrète que des renseignements vont être pris et notés en vue d’une utilisation qui sera faite hors des limites de l’interaction en cours. Sans cette fiche, l’objectif de l’enquête ne serait pas crédible puisqu’aucune trace ne subsisterait après la rencontre.

L’objectif du vendeur est d’entraîner son interlocuteur dans un cadre particulier : celui de l’enquête. Goffman évoque les éléments qui permettent la fabrication d’un cadre particulier.

‘Il suffit que les circonstances s’y prêtent. (…) Il suffira d’une intention, du caractère fallacieux de telle ou telle ou de ses ressources (sic). On se débrouillera pour fabriquer des preuves matérielles en vue de reconstituer les faits et maquiller les causes. (Goffman, 1991 : 436) ’

La fiche apparaît alors comme une preuve matérielle de l’enquête. Ce document présenté par le démarcheur est constitué de cases à remplir et de séries de courtes questions suivies d’espaces blancs où les réponses fournies par le prospect sont inscrites 487 . Il s’agit donc d’un questionnaire type. Cette fiche a, certes, pour fonction de conduire le vendeur dans les étapes successives de la démarche 488 mais ce n’est pas son unique rôle puisque les renseignements apportés par l’enquêté sont véritablement inscrits par le démarcheur 489 . Si ce document ne servait que de guide à la vente, aucun espace graphique ne serait laissé libre pour que le vendeur reporte les réponses de son interlocuteur. La fiche, telle qu’elle est présentée puis manipulée par le démarcheur, est bien le premier indice de l’enquête et ce support est utilisé dans la totalité des démarches.

Notes
485.

Elle en pose également les limites, comme étudié dans le Chapitre 1.

486.

Cette position d’objet partagé sur lequel se porte l’attention des deux participants est étudiée sous le point 4.1.2.1.

487.

Ce document est présenté dans le volume annexe.

488.

Ce rôle sera envisagé sous le point 6.2. 

489.

Les modalités d’inscription des réponses sur la fiche seront analysées dans le Chapitre 8.