6.1.1.3. Des questions dignes d’une enquête

Des paramètres extérieurs à la structure même des échanges, tels que la présentation générale que le vendeur fait de la démarche et la preuve matérielle de la fiche, définissent la rencontre comme une enquête. Mais c’est dans la forme même de l’interaction qu’on trouve la confirmation incontestable d’une telle définition. En effet, lorsque l’interaction se poursuit dans l’appartement du particulier, l’enquête n’est plus simplement suggérée, elle devient réelle. Le démarcheur se conforme au scénario de l’enquête puisqu’il initie de véritables séries de questions.

Interaction n°55 :’ ‘29 C : ben alors asseyez-vous’ ‘30 V : oui/ merci hein’ ‘(7’’) bon donc on va remplir cette petite fiche’ ‘(2’’) donc vous c’est Monsieur X c’est ça/’ ‘32 C : oui’ ‘33 V : d’accord (.) voilà (.) donc heu combien d’personnes vivent dans votre foyer/’ ‘34 C : on est quatre’ ‘35 G : ouais’ ‘36 V : qua:tre donc deux enfants’ ‘37 C : voilà’ ‘38 V : ils sont à l’école tous les deux’ ‘39 C : oui’ ‘40 V : ok (.) vous pouvez m’donner leur âge et leur classe s’il vous plaît/’ ‘41 C : alors il est au C.P./ (.) il a: six ans et demi/’ ‘42 V : [d’acco:rd’ ‘43 G : [et ma sœur trois ans’ ‘44 C : trois/ (.) voilà et elle- la: la [p’tite fille elle a: trois ans et demie elle va avoir qua-’ ‘45 V : [et trois ans/ (.) donc elle- elle est en maternelle/’ ‘46 C : voilà’ ‘47 V : d’accord (.) est-ce que vous exercez une activité professionnelle/’ ‘48 C : heu: oui/’ ‘49 V : oui: qu’est-ce que vous faites/’ ‘50 C : heu fabrication de double vitrage’ ‘51 V : ah d’accord’ ‘52 C : dans la: miroiterie quoi (.) j’sais pas s’il y a’ ‘53 V : d’accord (.) et: votre épouse/’ ‘54 C : aide-soignante’

Cette première série de questions permet au démarcheur de débuter l’enquête. Il en signale l’ouverture de manière explicite (« bon donc on va remplir cette petite fiche », 30V) et commence par recueillir des renseignements sur le prospect et sa situation familiale 490 . Le particulier donne les quelques indications demandées sur son foyer et se plonge réellement dans son rôle d’enquêté. Son intervention « j’sais pas s’il y a: » (52C) fait référence à l’inscription sur la fiche 491 . Elle montre qu’il se soucie de la façon dont sera reportée sa réponse et manifeste son application dans cette enquête. Après cette série de questions préliminaires, le thème de l’enquête est abordé.

Interaction n°55 :’ ‘55 V : d’accord (.) donc parmi les moyens pratiques d’information quels sont ceux qu’vous utilisez l’plus souvent […]’

L’accusé de réception « d’accord » montre que les renseignements préalablement fournis sont bien pris en compte 492 et le connecteur « donc » marque le lien entre ce qui a été annoncé lors de l’entrée en porte et la nouvelle série de questions qui débute.

Interaction n°52 :’ ‘54 V : d’accord’ ‘(2’’) donc parmi les moyens pratiques d’information quels sont ceux qu’vous utilisez l’plus souvent’ ‘55 C : les m:oyens pratiques d’information ben pff=’ ‘56 V : =la télé/’ ‘57 C : la télévision’ ‘58 V : mm/=’ ‘59 C : =la presse’ ‘60 V : les journaux donc/ heu:::’ ‘61 C : mm (.) plutô:t magazines en fait voilà (.) pas trop journal heu:=’ ‘62 V : =pas trop/’ ‘63 C : [non ’ ‘64 V : [donc peu’ ‘65 C : voilà’ ‘66 V : et autrement des revues/ des magazines/=’ ‘67 C : =ou:i (.) [accessoirement’ ‘68 V : [de quel genre/’ ‘69 C : ben tout ce qui est économie moi [L.S.A:. heu (.)’ ‘70 V : [tout c’qui est économique/’ ‘71 C : [voilà’ ‘72 V : [ouais j’crois qu’j’connais ’ ‘73 C : et cætera’ ‘74 V : heu: et autrement pour l’reste de la famille/ (.) c’est aussi heu’ ‘75 C : [ben’ ‘76 V : [des revues féminines des non/=’ ‘77 C : =non pas beaucoup de revues d’féminines (.) très peu’ ‘78 V : d’accord (.) heu autrement des li:vres des romans: [heu’ ‘79 C : [mm beaucoup d’littérature ouais’ ‘80 V : beaucoup/ (1’’) d’accord (.) heu est-ce que vous avez des livres de cuisine’ ‘81 C : ouh la: oui deux mais bon vu qu’on cuisine pas heu (RIRES)’ ‘82 V : (RIRES) oui mais vous en avez quand même=’ ‘83 C : =voilà=’ ‘84 V : =même si ils servent pas ils sont en déco (RIRES) heu sur la santé’ ‘85 C : pff non’ ‘86 V : non/ (.) ou sur d’autres choses comme heu les animau:x heu: le spo:rt=’ ‘87 C : =heu: oui mon père des: d’la voile (.) des magazines de voile’ ‘88 V : mm/ (1’’) d’accord (.) vous possédez un dictionnaire/’ ‘89 C : oui’ ‘[…]’ ‘94 V : d’accord (.) heu quelles sont vos émissions télé préférées (.) à part les films et les jeux’ ‘(3’’)’ ‘95 C : les émissions télé- j’sais pas=’ ‘96 V : =oui alors c’est-à-dire genre [heu reporta:ge’ ‘97 C : [genre heu ben moi j’regarde Capital et tous ces mâchins-là=’ ‘98 V : =voilà oui donc c’est [ça reportages documentai:res’ ‘99 C : [des Racines et des Ai:les et caetera=’ ‘100 V : =mm/=’ ‘101 C : =voilà\’ ‘102 V : autrement des émissions de débat [comme ça se discute ou des trucs comme ça/’ ‘103 C : [non (.) ouais (.) il y a: non c’est pas ça s’discute il y en un autre j’crois (.) heu: (.) pas- (.) un truc c’est pas présenté par Dechavanne/ j’sais plus c’est pas: ça s’discute/ je sais pas ça passe à vingt deux heures trente/ j’sais pas quand’ ‘104 V : ça s’discute c’est présenté par- Jean-Luc Delarue :’ ‘105 C : non c’est pas ça’ ‘106 V : Dechavanne il a arrêté d’faire des émissions enfin maintenant j’crois qu’il en a repris une mais sur le câ:ble’ ‘107 C : ah ben je sais pas=’ ‘108 V : =me semble-t-il=’ ‘109 C : =n:on pas trop- ouais des débats mais bon pas::: (.) on va pas- enfin (.) j’vais pas me mettre derrière la télé pour ça quoi j’vais regarder heu comme ça quoi donc non [pas spécialement ’ ‘110 V : [oui comme ça heu: [d’accord (.) ok’ ‘111 C : [voilà (.) pas spécialement’ ‘112 V : vous avez un magnétoscope/’ ‘113 C : oui’ ‘114 V : oui: un ordinateur/’ ‘115 C : heu oui’

Les questions posées par le démarcheur conduisent le particulier à répondre à une véritable enquête sur les différents moyens d’information utilisés dans son foyer 493 . Cette séquence est construite sur une structure alternant questions de l’enquêteur et réponses de l’enquêté, lesquelles sont inscrites sur la fiche. Dès l’installation dans le nouveau cadre spatial de l’appartement, l’interaction prend ainsi distinctement la forme d’une enquête. Le scénario correspond aux attentes du particulier qui tient son rôle en livrant les informations requises.

Les échanges se succèdent selon le schéma des interventions complémentaires du type question/réponse. Les deux premières séries de questions s’enchaînent et laissent le particulier s’installer dans son rôle d’enquêté. Aucun décalage n’est perçu entre l’interaction annoncée lors de la prise de contact et celle qui prend concrètement forme. Selon les termes de Goffman, le vendeur « fabrique » le cadre attendu par son interlocuteur.

‘Certaines fabrications ont tout de la grande escroquerie, étant constituées de petites simulacres d’activités qui sont autant d’éléments d’un scénario unique. A partir de là, les auteurs d’une machination peuvent fort bien y insérer une séquence d’action normale afin d’en accentuer la vraisemblance. (Goffman, 1991 : 130-131)’

L’interaction s’amorce ainsi sur une véritable enquête à laquelle le particulier collabore. Sa structure confirme la définition de l’interaction mais l’analyse approfondie des échanges révèle la présence d’éléments plus ambigus.

Notes
490.

Ces informations prises sur le foyer visité semblent être légitimes puisqu’aucun particulier ne refuse de délivrer ces quelques renseignements. Ils apparaissent comme une étape préliminaire indispensable à la validité de toute enquête.

491.

Cette intervention montre que le particulier doute de la place disponible sur la fiche pour l’inscription de sa réponse « fabrication de double vitrage ». C’est pour cette raison qu’il propose le terme de « miroiterie », graphiquement plus court.

492.

Ces renseignements sont d’ailleurs inscrits par le démarcheur sur la fiche.

493.

Nous entrerons dans le détail de ces échanges dans les Chapitres suivants. Nous nous contentons ici de constater que la forme de l’interaction correspond bien à celle d’une enquête.