6.1.2. D’autres éléments plus ambigus

Les principales caractéristiques de l’enquête sont bien présentes et confirment la définition de l’interaction, mais l’étude du corpus révèle d’autres indices équivoques.

6.1.2.1. Quelques dérapages dans la présentation de l’enquête

La présentation que le visiteur fait de la démarche indique au particulier qu’il fait l‘objet d’une enquête. Dans la plupart des rencontres, cette définition de la situation est explicite mais le vendeur manque parfois de cohérence dans sa description de l’enquête.

Interaction n°55 :’ ‘7 V : comme j’vous l’disais heu c’est une p’tite fiche d’information sur la presse donc sur c’que vous lisez et regardez à la télé en général quoi’

Le démarcheur précise que l’enquête concerne la presse et évoque immédiatement la télévision. Selon la logique de son intervention, la presse apparaît comme thème général et la télévision comme un sous-thème alors que tous deux n’appartiennent pas au même média. L’étude de l’ensemble du corpus révèle que les pratiques télévisuelles du particulier sont effectivement abordées dans l’enquête mais, dans cette seule explication du sujet de l’enquête, le démarcheur fait preuve d’une certaine incohérence. Ce dernier peut également manquer de spontanéité et aller jusqu’à trahir son objectif réel lorsque le particulier attend trop de précisions. Dans l’interaction suivante, le particulier demande à plusieurs reprises des explications.

Interaction n°51 :’ ‘6 V : […] on visite tous les habitants du quartier et on a une p’tite fiche d’information sur la presse à remplir’ ‘7 C : oui: c’est- ben écoutez rentrez/ (.) [heu si vous voulez’ ‘8 V : [d’accord (.) merci’ ‘(3’’)’ ‘9 V : on trouve [pas grand monde heu::: dans le: quartier hein/’ ‘10 M : [merci’ ‘11 C : dans les immeubles ou dans le:::=’ ‘12 V : =oui oui heu: [dan- même dans l’immeuble heu’ ‘13 C : [oh ben parce qu’il y a des gens qui [travaillent (.) rentrez je vous en prie’ ‘16 V : [oui c’est non- [merci’ ‘17 M : [merci’ ‘18 C : c’est pour quoi/ alors je::: ’ ‘19 V : donc c’est: (.) sur vos lectures et c’que vous regardez à la télé en général’ ‘20 C : ah:=’ ‘21 V : =voilà\ on fait partie heu du groupe Lagardère’ ‘22 C : je commençais à m’endormir devant la télé’ ‘23 V : [(RIRES)’ ‘24 M : [ah (.) on vous a [réveillée’ ‘25 C : [asseyez-vous=’ ‘26 V : =merci=’ ‘27 C : =bon alors je vais: j’vais vous dire heu: (.) en vitesse asseyez-vous Madame’ ‘28 M : merci’ ‘29 C : vous êtes (.) donc c’est un sondage/’

Après la présentation spontanée du démarcheur, le particulier sollicite, à deux reprises, d’autres précisions. Il accueille le visiteur chez lui mais il met fin aux échanges liés au commentaire de site produit par le démarcheur pour demander le thème exact de l’enquête (« c’est pour quoi », 18C). Après un second développement de type conversationnel, le particulier relance le démarcheur en lui demandant confirmation (« donc c’est un sondage », 29C). Et, alors qu’à la première question le vendeur répond comme à son habitude (« donc c’est: sur vos lectures et c’que vous regardez à la télé en général », 19V), la seconde sollicitation du particulier trouve une réponse beaucoup moins spontanée.

‘29 C : vous êtes (.) donc c’est un sondage/’ ‘30 V : [voilà’ ‘31 C : [non/’ ‘32 V : exactement’ ‘33 C : [oui’ ‘34 V : [heu c’est un sondage et heu::: (.) nous on recueille heu les avis (.) et les remarques des gens’ ‘35 C : [mm’ ‘36 V : [sur des choses qu’on fait aussi ou qu’on::: projette de faire’ ‘37 C : mm’ ‘38 V : donc ça nous permet de: de pas nous tromper quand on fait certaines choses (.) voilà’ ‘39 C : [d’accord’ ‘40 V : [tout simplement’ ‘41 C : alors allons-y’

L’intervention « donc c’est un sondage » n’est pas conclusive. Elle fonctionne plutôt comme ouverture d’un thème au moment où les interactants entrent dans un nouveau rapport proxémique 494 . Par une intonation montante, le particulier exprime le désir d’obtenir de plus amples informations sur la démarche. Le vendeur interprète dans un premier temps l’intervention de son partenaire comme une demande de confirmation puisqu’il répond « voilà » (30V) et « exactement » (32V), mais le « non » interrogatif qui suit (31C) souligne que le particulier attend une réponse plus développée.

L’explication du démarcheur intervient enfin. Le particulier se place alors comme destinataire et encourage la parole de son interlocuteur en produisant des régulateurs (« mm », 35 et 37C). Face à cette attente du prospect, les interventions du vendeur sont bien hésitantes. Il reprend tout d’abord les termes de son interlocuteur (« c’est un sondage », 34V), comme pour gagner du temps, puis se lance dans un développement empreint d’un certain embarras : les hésitations (« heu », 34V), les allongements de sons (« on::: projette », 36V) et les pauses sont très fréquents au cours des trois tours de parole sur lesquels s’étend l’explication du démarcheur (34, 36 et 38V).

Cet embarras le conduit d’ailleurs à s’éloigner de la définition première de l’enquête : après avoir présenté « on visite tous les habitants du quartier et on a une p’tite fiche d’information sur la presse à remplir » (6C), puis avoir précisé, non sans une certaine incohérence, « donc c’est sur vos lectures et c’que vous regardez à la télé en général » (19C), le vendeur expose finalement « nous on recueille heu les avis et les remarques des gens sur des choses qu’on fait aussi ou qu’on projette de faire » (34 et 36V). La présentation de l’enquête évolue jusqu’à évoquer l’apparition de produits qui seront soumis à l’avis du prospect. L’enquête s’éloigne alors de son prototype pour se rapprocher du scénario de l’interaction de vente 495 .

En présentant la démarche comme une enquête, le vendeur se prépare à donner des précisions sur son contenu mais ses possibilités sont restreintes. Il ne peut expliquer l’objectif de l’interaction de manière plus approfondie qu’il le fait lors de l’entrée en porte sans évoquer quelques pistes équivoques comme celle de la présentation d’un produit. Malgré la présence finale d’un « voilà » (38V), qui suggère une certaine clarté et une transparence quant aux objectifs de l’enquête, puis de la locution adverbiale « tout simplement » (40V), qui atténue l’impact que peut avoir une telle description, c’est l’embarras du démarcheur qui est le plus marqué. La présentation initiale qu’il fait de la démarche est spontanée, puisque préparée 496 , mais le vendeur éprouve, par la suite, une réelle difficulté à trouver les mots pour poursuivre cette description de l’enquête sans trahir son objectif commercial.

Notes
494.

Les interactants viennent de s’asseoir autour de la table du salon.

495.

Dans un continuum, présenté dasn l’Introduction Générale, entre l’enquête et la vente, nous avons évoqué qu’une enquête comprenant la présentation d’un produit se situe à un niveau intermédiaire entre l’enquête type, dont la raison d’être n’est pas l’existence d’un produit, et la vente, qui vise à faire acheter ce produit.

496.

Comme évoqué dans le Chapitre 1, des énoncés tels que « on visite tous les habitants du quartier et on a une p’tite fiche d’information sur la presse à remplir » (6C) et « donc c’est sur vos lectures et c’que vous regardez à la télé en général » (19C) sont mémorisés par le vendeur et sont produits de manière quasi‑systématique lors de la prise de contact sur le pas de la porte.