8.2.1.1. Une verbalisation de l’acte d’écriture : la répétition

Lors de l’analyse longitudinale des interactions du corpus, le premier accompagnement verbal de l’acte d’écriture relevé dans le discours du vendeur est le phénomène de la répétition. Une fois que le particulier a exprimé sa réponse à la question posée, le démarcheur la reporte sur la fiche et agrémente cette activité en répétant littéralement les termes qui viennent d’être employés par son interlocuteur. Cette reprise 617 verbale pourrait être considérée comme une demande de confirmation adressée à l’enquêté (l’intonation montante fréquemment relevée appuierait cette interprétation) mais elle joue en fait un tout autre rôle. Non seulement le ton montant semble n’avoir qu’une fonction d’ouverture sur une nouvelle étape de l’interaction mais, surtout, cette répétition n’est suivie d’aucune confirmation verbale ou non-verbale du particulier.

Si la reprise des termes employés par l’enquêté apparaissait, dans l’interaction, comme la sollicitation de l’expression d’un accord, l’acte de question du vendeur initierait deux échanges successifs construits comme suit :

‘1 V - question’ ‘1 C - réponse’ ‘2 V - demande de confirmation’ ‘2 C - confirmation ’ ‘( acte d’écriture par V)’

Dans un tel schéma, seule la dernière intervention du particulier (2C) rendrait possible l’écriture de la réponse sur la fiche. Or, dans le corpus, l’inscription se fait dès la réponse donnée, c’est-à-dire dès la fin de l’intervention 1C, et le deuxième échange n’est pas développé. L’acte d’écriture n’attend en fait, pour se réaliser, aucune confirmation de l’enquêté. La répétition du démarcheur n’initie pas de réaction car elle ne constitue pas une demande de confirmation : elle est une verbalisation de l’acte d’écriture. Le vendeur explicite en effet ce qu’il note sur le document 618 . L’acte d’écriture et de parole (la répétition) ont le même contenu et sont simultanés. Ainsi, le particulier ne peut interpréter la parole du démarcheur comme une demande de confirmation dans la mesure où le geste graphique n’est pas mis en attente. Il est immédiat et cette rapidité ne laisse pas la possibilité au particulier d’interpréter la répétition produite comme une intervention initiative qui sollicite une réaction 619 .

La répétition produite par le vendeur est donc bien une verbalisation de l’acte d’écriture qu’il réalise. La simultanéité de ces deux actes est sans équivoque et laisse le particulier parfaitement silencieux. Il attend la fin de l’inscription sur le document de la réponse qu’il a donnée. Si les deux actes se superposent, ils ne sont pas pour autant synchrones. La durée de répétition verbale des termes notés est souvent plus courte que celle de leur inscription et un décalage est relevé entre le moment où le vendeur achève son acte de répétition et celui où l’inscription est terminée. Cet écart temporel apparaît dans le discours : une courte pause verbale suit l’acte de répétition 620 . La preuve que le vendeur n’a pas achevé son activité graphique est que le particulier ne saisit jamais l’occasion que lui offre ce silence pour prendre la parole. Il est témoin du fait que si le démarcheur cesse son activité verbale, il n’en a pas moins fini son travail graphique 621 .

La répétition des termes employés par l’enquêté n’est réalisée que lorsque la réponse est précise, c'est-à-dire lorsque la question posée sollicite une réponse claire et non un témoignage. Ainsi, c’est plutôt dans les premières étapes de l’enquête, lors des questions sur la composition du foyer et sur les moyens pratiques d’information utilisés, que le démarcheur peut reprendre les mots précis du particulier pour les noter tels quels et verbaliser cette inscription. Différents types de mots sont alors repris graphiquement et verbalement. Ils correspondent à la réponse apportée par le particulier qui est, elle, fonction de la forme de la question posée. L’enquêté répond par « oui » ou par « non » à une question totale, et spécifie un contenu lorsque la question est partielle 622 .

Chaque intervention du vendeur débute par le reprise de la réponse du particulier. Il peut s’agir d’un simple mot ou, plus rarement 623 , d’un groupe de mots formulé lors d’une courte réaction à la question posée 624 . Cette hétéro-répétition 625 se fait à la frontière des tours de parole et une telle position marque « la cohésion du discours par enchaînement d’un tour sur l’autre » (Clinquart, 2000 : 342). Le vendeur accompagne son geste en le verbalisant et permet ainsi de maintenir le contact et de faciliter l’enchaînement avec la question suivante 626 .

Notes
617.

Nous prenons ici le terme « reprise » comme un synonyme de « répétition » même si certaines théories les distinguent. Nous opposerons par contre les répétitions des reformulations dans la mesure où ces dernières impliquent une modification (syntaxique et/ou lexicale) de la séquence discursive reprise qu’exclut la répétition.

618.

La seule exception relevée dans le corpus est causée par l’étonnement du démarcheur. La réponse apportée par le particulier le surprend. Il répète alors les termes employés par son interlocuteur et son intervention fonctionne bien comme une demande de confirmation. Ce n’est alors qu’après confirmation de l’enquêté qu’il note sa réponse.

Interaction n°52  :
306 V : donc au niveau présentation extérieure [qu’est-ce que vous en pens-
307 C : [j’trouve que ça fait trop sérieux moi
308 V : c’est trop sérieux/
309 C : ouais
310 V : ah bon\ (.) ben j’note hein comme vous m’dites (RIRES)

619.

Le fait que le répétition ne puisse pas être considérée comme une demande de précision n’empêche pas le fait qu’elle atteste bien d’une prise en compte du discours du particulier. En effet,

Quelles que soient les fonctions que ces reprises remplissent, elles sont toutes marquées par rapport au tour de parole précédent, celui de l’enquêté. Ces interventions se caractérisent donc par une orientation de l’enquêteur vers le discours de l’autre. Elles signalent en quelque sorte la prise en compte de son discours et par conséquent de lui-même. (Richard-Zappella, 1999 : 190)

620.

L’intonation montante qui marque la répétition verbale peut alors également être considérée comme l’indice d’un acte en cours. Le démarcheur produirait alors ce ton ascendant pour accompagner une activité en cours, non achevée. Les allongements de sons parfois relevés ont cette même fonction. Des productions telles que « n:on » (50V, I52) seraient utilisés pour que la répétition verbale soit davantage synchronisée avec le geste graphique.

621.

Rappelons que ce travail graphique apparaît au particulier comme la raison d’être de la démarche, les réponses apportées devant être consciencieusement notées pour être traitées hors des limites de la présente rencontre.

622.

Pour une définition de ces deux types de questions, voir Kerbrat-Orecchioni (1991a : 18-20).

623.

En effet, la répétition de plusieurs mots est peu fréquente car lorsque plusieurs unités sont reprises, il y a plutôt reformulation, comme l’atteste l’exemple de l’interaction n°56 où il y a modification du pronom personnel et du déterminant possessif.

624.

Nous verrons sous le point suivant que, lors d’une réponse plus développée, les termes employés par le particulier ne sont pas répétés.

625.

L’hétéro-répétition s’oppose à l’auto-répétition en ce sens qu’elle reprend la parole du partenaire d’interaction et non du locuteur lui-même.

626.

L’interprétation de la répétition comme un moyen d’indiquer au particulier la réponse qui est réellement prise en compte et notée sur le questionnaire n’est pas retenue ici dans la mesure où les informations concernées laissent peu de place à une hésitation de la part de l’enquêteur. En effet, une réponse comme « quatre » à la question « combien de personnes vivent dans votre foyer » ne laisse pas d’alternative dans le report de la réponse sur la fiche. Il nous paraît alors peu probable que le terme « quatre » ne soit repris par le vendeur que par un souci de transparence.